dimanche 20 juillet 2014

Johnny Winter - R.I.P. - 23 février 1944 - 16 juillet 2014



     La nouvelle est tombée comme un couperet froid, glacé :

Johnny Winter, Johnny Dawson Winter III, est décédé le mercredi 16 juillet 2014, à 70 ans, dans sa chambre d'hôtel à Zurich.

     Il y a déjà plusieurs années, on ne donnait pas cher de sa peau, les plus pessimistes ne lui donnant pas une année à vivre. Notamment ceux qui étaient allés le voir sur scène lors de ses déplorables prestations scéniques de la tournée 2002, où il déléguait la majeure partie de son chant et où il devait être soutenu pour franchir les quelques mètres qui le menaient jusqu'à sa chaise.
Et puis, presque par miracle, une inespérée embellie.
Johnny a un sursaut d'orgueil, de fierté. Après un passage à l'hôpital, et une modification totale de son traitement, recouvrant alors sa lucidité, il renvoie son manager Bruce Houghton (apparemment bien filou), que l'on soupçonne d'avoir maintenue Johnny dans cet état déplorable et surtout de l'avoir honteusement exploité.

 Soutenu par Paul Nelson (1) qui reprend les choses en main, il retourne en studio, et sort en 2004, un nouvel opus, « I'm a Bluesman », assez bien accueilli dans l'ensemble. Un Johnny Winter diminué mais de nouveau concerné, présent.
Suivent quelques tournées, démontrant qu'il est  - en petite - mais bien meilleure forme.  En 2011, l'album « Roots », un très bon disque de covers, le présente avec un surcroît d'énergie. Les médias (presse et bloggers) saluent la galette, et, pour la première fois depuis des lustres, Johnny répond présent aux nombreuses sollicitations d'interviews. Mieux, il a repris du poil de la bête et arpente à nouveau la scène, se produisant pas plus tard que le 15 juillet courant, au festival de Blues de Cahors. Un dernier disque, "Step Back", venait d'être finalisé, avec quelques invités (dont Clapton, Bonamassa, Ben Harper et Dr. John), et devait sortir vers la fin de l'été.

     Johnny Winter... Ce Texan albinos, né à Beaumont le 23 février 1944, d'une famille de musiciens (2). Celui que la presse surnommât la "tornade blanche" suite à son teint blafard et à ses prestations torrides. Malgré des débuts difficiles (il enregistre son premier disque à 15 ans), il a laissé une empreinte indélébile dans l'histoire de la musique. Il est même devenu une icône, un nom incontournable que tous les amateurs de musique Rock et/ou Blues connaissent obligatoirement. On peut même dire qu'il a largement débordé de ces secteurs tant son patronyme résonnait haut et fort, parfois même mentionné par les médias "populaires", "bobos" et vides.

     Johnny Winter c'est un parcours de presque 10 ans, avec son frère Edgar, pour décrocher des contrats. Dès 1959, les deux frangins enregistrent un premier 45 tours pour un label d'Houston. Plus tard, ils tracent vers New York. Ils enregistreront tous les deux, sous divers noms d'emprunt, des dizaines de disques. Au Texas, Johnny Winter est au confluent de plusieurs styles : Blues, mais aussi Rock, Country, Swamp... Il bénéficie déjà d'une réputation suffisante pour être solliciter pour accompagner des bluesmen du cru. Il maîtrise tous les styles, ce qui lui permet de colorer ses soli, de mélanger les genres, de s'adapter. Vous voulez du Twist ? Je vous fais du Twist. Du cajun ? On y va. On peut d'ailleurs se demander dans quelle mesure il n'est pas un des initiateurs du style Southern Rock, lui, le pote des Allman's Brothers, qui descendait en Louisiane pour jouer dans des bouges infâmes, et se frotter au style du bayou. Souvenir du temps où son père, originaire du Mississippi, et y traînait ses gosses écouter un festival de Delta Blues. Son frère Edgar (saxophoniste, pianiste) est tourné vers le Rock'n'Roll aussi bien que le Jazz ou le Free Jazz. Chuck Berry et Coltrane sur la même scène ! Mélange détonnant. Et si on écoute "Second Winter" on y trouve même quelques arrangements psychédéliques (époque oblige).

   Il n'est pas encore majeur qu'on le réclame en studio, où il joue derrière un nombre impressionnant d'artistes locaux, blues, western, country... Autant de bandes qui ressortiront ci et là dans les années 90. Son professionnalisme, sa sincérité sont reconnus par tous, y compris la communauté Noire. Je vous rappelle qu'on est au Texas au début des années 60... Lui, l'albinos, le plus blanc que blanc (l'ultra-blanc qui joue le Blues noir), le gamin qui ne pouvait pas sortir au soleil jouer avec ses copains, se sentait exclu, s'est totalement identifié à la douleur du peuple Noir. Le Blues était le seul échappatoire. En 1962, B.B. King le fait monter sur scène, médusé par son jeu, mais surtout par l'enthousiasme du public Noir. 

     Respecté, oui, mais aussi apprécié de tous. L'homme est charmant, timide, et se lie avec tout le monde, aussi bien John Lennon (qui lui écrit "Rock'n'roll people"), les Stones, Hendrix (il a joué à sa veillée funèbre), Patti Smith, qui dans son livre de souvenir "JUST KID", écrit de belles pages sur lui, alors qu'ils logeaient au Chelsea hôtel, à New York. Johnny Winter était superstitieux, persuadé de suivre Jim Morrison, Janis Joplin et Jimi Hendrix, Brian Jones dans la tombe, parce que lui aussi porte un "J" dans son nom ! Être reconnu des professionnels de la profession, c'est bien, mais ça ne fait pas vendre de disques...

     Les choses sérieuses commencèrent le jour où, à Chicago, il rencontra Michael Bloomfield. Ce dernier l'invite à se produire avec lui, et son pote Al Kooper, au Fillmore East (de New-York). Par hasard, ou non, il y a dans la salle des représentants du label Columbia qui, enthousiasmés par la prestation du jeune Winter, lui permettent de signer un contrat avec une forte avance (considérée comme une des plus importantes jamais données à un jeune artiste à l'époque). Ce concert, et la présentation de Bloomfield est sorti en cd : "Fillmore East, the lost concert tapes, 12/13/68". Son morceau de bravoure est alors "It's my own fault baby", un blues lent qu'il transcende d'un chorus interminable.
 
     Comme d'autres, tout démarra vraiment à partir de sa prestation remarqué de Woodstock (3) où des dizaines de milliers de spectateurs découvre un échalas blafard, presque un fantôme, entonner un Blues sec, rugueux, authentique, respectueux des anciens mais dérivant déjà vers le Rock, arrivant à les tenir en haleine de sa seule douze-cordes. En une nuit, et neuf titres, Johnny, par son jeu en picking (avec un onglet au pouce, hérité tant du Blues que de la Country, et notamment de Chet Atkins), par cette slide abrasive, ce son privilégiant les aiguës (4), sans être criard, ses soli fiévreux ponctués de bends vertigineux et pull-off et hammer-on acrobatiques, avait déposé un trade-mark qui allait faire date ; et de nombreux émules, dont seulement un nombre très restreints parvint à échapper au ridicule, ou à l'emphase.

     Suivent alors deux albums essentiels, mais Johnny est arrêté net dans son parcours florissant par des problèmes de drogue. Columbia Records sort rapidement un premier live en 1971, afin d'entretenir la côte de popularité ascendante. Un premier témoignage live parfois critiqué, parfois encensé, néanmoins incontournable : "Live Johnny Winter and". 


     Ce n'est qu'en 1973, que Jeannot l'Hiver réapparaît, et c'est le bien nommé "Still, Alive and Well" qui marque ce retour. C'est un tournant : l'album est riche, tant par les sonorités que par le répertoire, tout en accentuant une orientation profondément Blues-rock. C'est également son plus grand succès commercial. Avec les deux opus suivants, "Saints & Sinners" et "Johnny Dawson III", ils représentent le zénith de sa carrière, du moins celle s'étalant de 1968 à 1990. Avec le succès, vient l'argent, et donc de quoi remplir un peu plus ses seringues (la pression du succès, des tournées, du management, n'arrangent guère les choses). Et adieux aux tournées misérables, place aux grandes salles, et même aux stades géants, comme le montre une photo sur "Captured Live" (1976), où il fait de "Highway 61" de Dylan 10 minutes épiques et renversantes, et de "It's all over now" des Stones un concentré d'énergie et de twin-solo (c'est l'époque où il a recruté le jeune Floyd Radford issu du power-trio Tin House [lien]). (Winter est davantage un immense interprète qu'un compositeur doué ; toutefois, il convient de préciser que même si Winter écrit peu, ses compositions sont toutes - sans exception ? - de qualité, certaines rivalisant même avec les standards). Jouer dans les stades signifie augmenter le son, et sa musique au mi-temps des années 70 n'est plus très éloignée du Hard-Blues.

     Après une nouvelle pause, il décide de renouer avec ses racines, celles d'un Blues plus pur, dénué de soli incendiaires. C'est la période où il produit Muddy Waters, jouant également sur ses disques (le hurleur sur "Mannish Boy", c'est lui) et l'accompagnant sur scène. Ces galettes, "Hard Again", "I'm Ready" et "King Bee", plusieurs fois honorées d'un Grammy Award, permettent à Muddy de retrouver les charts, bien que timidement, qu'il n'avait plus fréquentés depuis 1969 (avec l'album "Fathers & Sons"). C'est avec l'orchestre de Muddy Waters qu'il enregistre une de ses plus fameuses galettes, "Nothing but the Blues" en 1977.


     En 1980, Winter reprend le flambeau du Blues-Rock avec le méconnu "Raisin' Cain", le dernier pour Blue Sky et le premier à ne pas parvenir à entrer dans les charts. Pourtant, il n'a pas à rougir face à ses cadets. Mais l'heure est au Heavy-Metal et à la surenchère des décibels et du spectacle (parfois autant kitsch que grand-guignolesque), et Johnny n'a alors plus sa place, comme autrefois, aux côtés des jeunes apprentis forgerons de métaux lourds qui ont oublié, ou volontairement occulté, les racines Blues.

Les frères Johnny et Edgar (Johnny avec la Lazer)
     En 1984, c'est à juste titre, qu'il entre dans l'écurie de Bruce Iglauer, "Alligator Records". De ce nouveau contrat découlent trois disques de qualité qui marquent un nouveau retour vers le Blues, toutefois sans renier le Blues-Rock qui l'a rendu célèbre. C'est à ce moment là qu'il s'éprend de la Elerwine Lazer, une guitare sans tête et sans forme, qu'il choisit par commodité car elle est bien plus légère que ses Gibson Firebird (au grand dam de nombreux fans pour qui la Firebird étaient indissociable de Johnny, lui qui avait certainement le plus contribué à la popularisation de ce modèle né dans les usines Gibson en 1963, sous le coup de crayon de Ray Dietrich), mais aussi pour le son. 

     Le dernier, "Third Degree", le révèle sur des country-blues poignants et fringants, le plaçant presque comme un héritier de cet idiome aride et difficile à retranscrire sans paraître comme une pâle copie (généralement reconnu comme le meilleur des trois, c'est pourtant celui, d'Alligator, qui récoltât le moins de succès en terme de vente aux USA).
En 1988, c'est une consécration avec son introduction au "Blues Hall of Fame" (5).  
Après un passage éclair chez MCA, et un album controversé, "The Winter of 88'" (avec des soli en pilotage automatique et une production de Terry Manning plus rude) c'est Point Blank, la filiale "Blues" de Virgin, qui signe l'albinos le plus célèbre de la planète. Résultat : une renaissance. La production est ad-hoc et son talent apparaît nu, sans artifices,irradiant de toutes parts. Il y paraît alors indétrônable, inébranlable ; une personnification, voire une déité, d'une forme de Blues-rock où se sont unis, seulement pour le meilleur, le Blues Texan et le Chicago-blues, évidemment baignés de saines propriétés Rock. "Let Me In" (1991) et "Hey, Where's Your Brother ?" (1992) sont ses derniers grands disques.

     Avec la débâcle de Point Blank (lâché par la maison mère, bien que le catalogue était alors un des meilleurs du genre), Johnny part dans une semi-retraite. 
Ses excès passés ont bien entamé sa santé et ses problèmes d'albinisme ont empiré avec l'âge ; il a un albinisme oculo-cutané, souffrant ainsi sur scène du moindre éclairage un peu fort.


   Johnny Winter
, l'homme qui parvint à jouer avec ses idoles, avec Muddy Waters bien sûr, (puisqu'il oeuvra pour relancer la carrière de ce patriarche), mais également Walter Horton, Buddy Guy, B.B.King, James Cotton, les Rolling Stones. Et par la suite, les rôles s'inversèrent : désormais, les jeunes générations se faisait un honneur d'être sur les planches à ses côtés. Ainsi, on a pu le voir avec Rick Derringer qui fut un moment son fidèle lieutenant et qui, au passage, lui offrit quelques hits, mais aussi Stevie Ray Vaughan, Dr John, Eric Clapton, Slash, Alvin Lee (avec qui il devait jouer ensemble, à l'Olympia, en avril 2013), Bob Dylan, Peter Frampton, Derek Trucks, Kenny Neal, Leslie West, Warren Haynes. Et puis il y eut les fameuses jams avec Jimi Hendrix et Janis Joplin.

Pour beaucoup, il était l'un des meilleurs guitaristes de slide.

     Une étoile de plus est partie rejoindre la constellation des bluesmen disparus, apportant sa contribution pour illuminer la voûte céleste des nuits sans nuages.

     La sortie de son dernier album, "Step Back",  est prévue pour le 2 septembre 2014.



(1) Un diplômé de Berklee, ayant fait ses débuts discographiques avec Liege-Lord, groupe de Heavy-Metal assez pénible, n'ayant strictement aucun rapport avec le Blues. Ne faisant pas les choses à moitié, s'investissant à fond dans l'aventure, il devient le nouveau manager, soutien Johnny à la guitare et participe aux compositions.
(2) Son père, John, jouait du saxophone, du banjo et chantait, tandis que sa mère, Edwina, jouait du piano. Ce sont eux qui initièrent très tôt leurs deux rejetons à la musique, via la country et le Gospel. Johnny débuta par la clarinette vers 6/7 ans et dû arrêter à cause d'un problème dentaire.
(3) Avec Tommy Shannon à la basse, que l'on retrouvera des années plus tard aux côtés d'un autre Texan, et non des moindres, Stevie Ray Vaughan.
(4) Au sujet des aiguës de Johnny, à une certaine époque, pour ses enregistrement, il plaçait son ampli Fender dans une pièce adjacente avec les potards de volume et de treble à donf !
Toutefois, pour ne pas être strident, Johnny mixait son micro-chevalet avec celui du manche ; le volume de ce dernier étant à mi-course seulement. Cela pour avoir un son plein, consistant. 
(5) en même temps que Little Milton, Jay McShann et Mississippi John Hurt, par la "Blues Fondation". 

Petite sélection de disques de Johnny Winter, il y en a eu beaucoup, ceux-là restent les plus célèbres, et les meilleurs ! Le dernier est une réalisation de Johnny Winter pour Muddy Waters, auquel il participe aussi. 





Nous avions déjà évoqué l'albinos texan, dans nos colonnes... 
UN LIVE DE 1970 AU FILLMORE (cliquez)
Le récent ROOTS de 2011 (cliquez)


Pas de clip vidéo, pour Johnny. Il n'en avait aucunement besoin pour démontrer son talent.
Une des séquences les plus connues :



Une version bien grassouillette de la scie "Rock'n'Roll Hoochie Koo" 1970


Prestation de 1970, avant l'épaississement du son.

6 commentaires:

  1. Salut à tous! J'ai eu l'honneur (ou le malheur c'est selon) d'assister à la dernière prestation de Johnny lundi 14 juillet (pas le 15!) au festival de blues de Cahors. L'homme avait déjà un pied (et les 10 doigts!) dans la tombe! Prestation pathétique, jeu calamiteux, cela faisait peine à voir......J'ai éprouvé aussi un peu de colère en pensant à la bande de saligauds qui exploitait le bonhomme jusqu''a son dernier souffle. Il a fallu le porter sur scène....tristesse. Donc pas étonné plus que cela d'apprendre jeudi avant les concerts du soir à ce même festival la mort de Winter .
    Un petit mot sur les artistes vus à Cahors cette année: Johnny Lang lamentable! mais ca fallait s'y attendre! Joanne Shaw Taylor show énergique, blues-rock puissant mais grosse déception .....pas une once de feeling et puis Eric Burdon....pour l'ancien bab que je suis, plein de souvenirs et puis le type a encore une sacré présence sur scène, généreux et sympa tout le contraire de Melle Taylor....Amicalement

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    1. merci JP de tes précisons, le Johnny était passé pas loin de chez moi il y a 2 ans et je n'avais pas eu le courage d'aller le voir, un ami qui y était a décrit la même chose que toi, je suis même étonné qu'il ai tenu 2 ans de plus dans cet état...
      Quant à Johnny Lang, il est dans la lignée de son dernier album pitoyable....

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  2. C'est bien ici. Je reviendrai.

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    1. on espère bien; et en de meilleures circonstances qu'un enterrement....

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  3. gege_blues14/8/14 22:23

    Johnny Winter quand même...inoubliable !

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