vendredi 11 avril 2014

LE ROCK AU CINEMA - partie 2, par Luc B.

Pour les retardataires, ou ceux qui n'ont pas tout compris (Sonia me demandait : mais M'sieur Luc, vous avez vu réellement tous ces films en une semaine ?!) la première partie de cet article se trouve ici : LE ROCK AU CINEMA partie 1.


Le Nouvel Hollywood 

Le futur réalisateur du FACTEUR SONNE TOUJOURS DEUX FOIS (version 1981), Bob Raferlson, est subjugué par HARD DAY’S NIGHT. Y’a une idée à creuser. Il monte une série télé autour d’un groupe pop, recruté par petites annonces : The Monkees. La série fonctionne si bien que le projet est décliné au cinéma : HEAD (1967). Au même moment, le futur réalisateur de FRENCH CONNECTION, William Friedkin, sort GOOD TIMES avec Sonny and Cher. Deux films qui n’ont rien à voir avec les bluettes d’Elvis ! De son côté, Jack Nicholson, qui écrit et produit en indépendant, est maqué avec Roger Corman, le pape de la série Z. Ils travaillent sur le film THE TRIP (1967). Ce film tente de restituer un trip à l’acide, et l'acteur Peter Fonda se porte volontaire pour y gober du LSD devant la caméra. C’est beau le professionnalisme... La musique est signée du groupe éphémère Electric Flag, avec Michael Bloomfield, Buddy Miles et le chanteur Nick Gravenites. Le disque s'appelle "A long time coming" et un des titres s’appelle « Easy Rider »... Ajoutons que dans le film, celui qui joue de dealer est l'acteur Dennis Hopper. Hooper, Fonda, Nicholson... les protagonistes sont là, le titre est même trouvé, alors, y'a plus qu'à...

Peter Fonda et Dennis Hopper mettent en chantier EASY RIDER avec l’idée de réaliser un western hippie, les Harleys feront offices de canassons. Pour le scénario précis, ils trouveront en cours de route, au gré de leur imagination et des substances ingurgitées… Le film est réalisé de bric et de broc, montage anarchique de scènes sans suite, mal filmées pour la plupart, avec des effets psychédéliques totalement désuets aujourd'hui. Ça défie toutes les lois de réalisation ! Outre l’esprit libertaire qui y souffle, l’idée de génie est d’y avoir apposé une bande-son constituée de chansons déjà écrites, et non une partition originale (ce qui deviendra la marque de fabrique de Martin Scorsese). Au départ Crosby, Stills and Nash devaient composer la musique. Les partitions ne sont pas prêtes. Au montage, pour caler ses plans, Hopper utilise des disques, dont le « Born to be wild » de Steppenwolf qui vient de sortir. Ça colle ! Et il essaie avec d’autres chansons, des trucs inconnus ou du Hendrix. Le film et le disque battent des records de vente, EASY RIDER rafle un prix à Cannes, mais surtout, explose à la face d'un cinéma de studio moribond, lance une tendance, et un genre : le road-movie. Et cerise sur le cake : dans le film, c’est Phil Spector qui joue le dealer de coke…

Hopper, Raferlson, Friedkin, Nicholson, et plus tard Lucas, Scorsese... Le Nouvel Hollywood va bouleverser la donne, jusqu'à modifier les rapports entre les studios et le réalisateur, et la manière de faire un film. Les nouveaux cinéastes s'intéressent aux préoccupations de leur génération, ressentent et transcrivent à l'écran les changements de mentalité. Cela passe par une nouvelle bande-son, non plus composée par des vétérans de la musique de film, mais piochée ça et là dans les disques à la mode, les artistes les plus en vue, qui se prêtent au jeu. Inscrire au gros sur une affiche "music composed by Pink Flyod" est aussi le gage d'attirer un public plus nombreux.

Il devient impensable de ne pas avoir de chansons pop dans son film. Après BLOW-UP, Antonioni filme la contestation étudiante et les nouvelles libertés sexuelles dans  ZABRISKIE POINT (1970). Il convoque Pink Flyod et Grateful Dead (on y entend "Dark Star") pour accompagner ces dizaines de hippies partouzant sous le soleil californien. Et n’oublions pas les chansons de Simon & Gartfunkel trois ans plus tôt qui rythmaient LE LAUREAT de Mike Nichols. "Mrs Robinson" est aujourd'hui indissociable d'Anne Bancroft et Dustin Hoffman. Roger Corman travaille avec Country Joe & Fish sur GASSSS (1970). Même le soft-pornacrate Russ Meyer immortel créateur de la série SUPERVIXENS s'adonne au rock avec LA VALLÉE DES PLAISIRS, mettant en scène un groupe de rock féminin. Un trio. Donc pour Meyer l'assurance d'avoir au moins trois belles paires de miches à filmer. 

Mais celui va mettre tout le monde d’accord, c’est Martin Scorsese, dans le soin qu’il met à choisir les chansons qui parsèmeront ses films. Plus tard, Scorsese collaborera avec Robbie Robertson,  guitariste du groupe The Band, ex accompagnateur de Bob Dylan. Scorsese aussi a été marqué par le film de Richard Brooks GRAINE DE VIOLENCE (voir la partie 1). Il dit : "j'ai réalisé que la musique de film pouvait changer, qu'elle pouvait correspondre au monde dans lequel je vivais". Scorsese écoute Cream, Hendrix, les Stones, mais aussi le blues, et les rengaines jazzy, c'est cette musique qu'il veut retrouver dans ses films, parfois juste quelques mesures, pour façonner une scène, un plan, un personnage. Dès MEAN STREETS (1975) avec le « Jumping Jack Flash » des Rolling Stones jusqu’à l’éblouissante B.O. de LES AFFRANCHIS avec Cream, Sid Vicious, Tony Bennett ou Muddy Waters, ou encore CASINO avec Dinah Washington, Jimmy Smith ou Jeff Beck. Rappelons que Scorsese était monteur sur WOODSTOCK (le film, 1970), qu’il a filmé le dernier concert de The Band dans LA DERNIERE VALSE, et les Stones dans SHINE A LIGHT(2008). Et plein de documentaires dont on parlera plus tard...

D’autres productions plus fauchées utilisent la musique comme bande-son : la Black Exploitation. Là encore, ce courant du cinéma-bis Noir américain, constitué de gangsters, de macs et de gros seins (dont l’imagerie sera recyclée dans les clips de rap) et indissociable de la musique Soul ou funky. Ces films souvent subversifs se servent de chansons aux propos engagés pour diffuser des idéaux louables, mais contre productifs à force d’être caricaturaux. La magnifique « Soulville » d’Isaac Hayes pour SHAFT (1971), les titres de Curtis Mayfield dans SUPERFLY (1972), le sublime « Across 101th street » de Bobby Woomack dans le film du même nom (repris par Tarantino dans JACKIE BROWN, mais vous pensez bien qu’on en reparlera plus tard de ce coco-là). Le meilleur coup, mais un coup unique et sans lendemain, nous vient de Jamaïque, en 1973, avec THE HARDER THEY COME de Perry Henzell, une histoire de gangsters, dont le héros est joué par le chanteur Jimmy Cliff qui y signe entre autre « Many rivers to cross », « Rivers of Babylone »

La nouvelle comédie musicale.

L’évolution logique serait de mixer musique et cinéma, et de dépoussiérer la comédie musicale. Le coup de départ est donné par Robert Stigwood, manager des Bee Gees, qui produit sur scène JESUS CHRIST SUPERSTAR (1973), puis son adaptation au cinéma. Fort de ce succès, il met en chantier TOMMY (1975) réalisé par Ken Russell, sur un livret de Pete Townsend, guitariste des Who. Joyeux bordel kitsch ou boursoufflure mystique, le film ne laisse pas indifférent. Stigwood va ensuite produire SATURDAY NIGHT FEVER, officialisant la vague Disco qui déferle sur le monde. Sur une musique de ses poulains (pardon… kangourous… en fait même pas, ils étaient de Manchester !) les Bee Gees. Le film fit d’une star son interprète John Travolta, immédiatement recyclé par le même Stigwood dans GREASE, où cette fois la bande-son donne dans le revival pop-rock’n’roll (un filon qui ne va pas tarder à être exploité aussi...). Succès colossal !

Où est ma chemise grise, où est ma chemise grise, ouh ouh ouh
Où l'as-tu mise, où l'as-tu mise, ouh ouh ouh
Si tu ne me la rends pas...
Prends garde à toi !

Grisé par GREASE (hum hum…) Stigwood se lance dans une adaptation de SERGENT PEPPER d'après le disque de qui vous savez [si vous ne savez pas, je ne peux plus grand chose pour vous...] avec une ménagerie hétéroclite : Peter Frampton, les Bee Gees, Alice Cooper, Aérosmith, Earth Wind & Fire… Un désastre absolu, et la ruine de son producteur. Si vous rajoutez l’échec artistique et commercial cuisant de THE WIZ, adaptation Soul du MAGICIEN D’OZ avec Diana Ross et Michael Jackson, piteusement réalisée par Sydney Lumet, plus statique et coincé du derche, tu meurs. On comprend que les investisseurs délaissent la comédie musicale à la fin de la décennie 70. Il y avait eu pourtant de belles réussites comme PHANTOM OF PARADISE (1973) de Brian de Palma revisitant le mythe de Faust, et où le compositeur des chansons Paul Williams jouait aussi le premier rôle, ou le foutraque ROCKY PICTURE SHOW (1974) avec une BO Glam-rock bien foutue (comme Susan Sarandon en petite culotte... mais au contraire de Meat Loaf sur sa moto), rigolo comme tout, et bourré de clins d'oeil au cinéma fantastique.

Pour rester dans le même style de musique, citons THAT’LL BE THE DAY (1973) de David Puttman, avec David Essex. Ce chanteur reprendra son rôle dans STARDUST de Michael Apted, racontant la chute d’une rock star. Le groupe du film s’appelle les Stray CatsRichard Loncraine engage le groupe Slade, alors de très grandes stars, pour jouer les musicos prolos dans FLAME (1974), un Ken Loach glam ! Il rappelle au passage que la lutte des classes est chère au cinéma britannique (souvenez-vous de THE COMMIMENTS). A la fin de la décennie, Milos Forman fait renaître les fantômes hippies dans HAIR (1979) adaptation de la comédie musicale où les chanteurs étaient tout nus, et Alan Parker installera ses caméras dans une école de musique, pour FAME (1980) avec Irène Cara chantant : fame ! I'm gonna live forever, I'm gonna learn how to fly... flame ! 

On peut aussi être chanteur de rock, et vouloir faire l’acteur pour de vrai. Avec plus ou moins de bonheur. Plutôt moins pour John Lennon dans COMMENT J’AI GAGNE LA GUERRE de Richard Lester, ou son pote Ringo Starr dans THE MAGIC CHRISTIAN avec Peter Sellers, LISZTOMANIA (1975) de Ken Russell ou encore BLINDMAN (1971) un western italien Ferdinando Baldi. [Rockin' vous en a parlé de celui-là, allez voir dans notre index cinéma...]. Bob Dylan tourne avec Sam Peckinpah PAT GARRETT ET BILLY THE KID (1973, sublime) dont il compose aussi la musique et le fameux « Knocking on heaven’s door » pour l'occasion. Il a pour partenaire le chanteur Kris Kristofferson, qui tournera encore avec Pekinpah dans AFREDO GARCIA (1974), LE CONVOI (1978), et aussi dans LES PORTES DU PARADIS (1980) de Michael Cimino, le très beau LONE STAR (1992) de John Sayles (il y joue un féfié salopard, admirable ! Quel film !) ou PAYBACK (1999). En fait, Kristofferson a tourné beaucoup plus de films qu'il n'a enregistré de disques. David Bowie flirtera pas mal avec la caméra, c’est lui l’extraterrestre pâlichon de L’HOMME QUI VENAIT D’AILLEURS (1975) de Nicolas Roeg. On le retrouve en vampire assoiffé dans l’ultra clipesque LES PREDATEURS (1983) de Tony Scott entièrement pompé sur l'esthétique BARRY LYNDON, avec Catherine Deneuve, qui a assez mal vieilli - pas Catherine, le film. Bowie encore en major britannique dans FURYO (1983) de Nagisa Oshima, et en Ponce Pilate dans LA DERNIERE TENTATION DU CHRIST (1988) de Martin Scorsese.  

AMERICAN GRAFFITI de George « stars war » Lucas réalisé en 1973 sur impulsion de Francis F. Coppola (qui fera plus tard PEGGY SUE S'EST MARIÉE) va sortir le spectateur des brumes opiacées, des petites pilules bleues, et de la contestation, pour le renvoyer au début des charmantes 60’s, avec ses drive-in et ses milk-shake. Dans l’histoire, un mystérieux DJ diffuse la nuit des airs de rock qui mettent sens dessus dessous la jeunesse d’une petite ville. Transistors, auto-radio, juke-box déversent du bon vieux rock'n'roll à la Chuck Berry. On y voit Harrison Ford, Ron Howard et Richard Dreyfus. Succès foudroyant. Le filon nostalgique est en marche... A la mort d’Elvis Presley, en 1977, le pays entier entame un long deuil, et c’est John Carpenter qui réalise (d’abord pour la télé) son dytique sur le King, avec son complice Kurt Russel dans le rôle-titre. Un peu révérencieux mais intéressant. Juste avant, Steve Rash réalise THE BUDDY HOLLY STORY (1978) biopic du lunetteux avec Gary Busey dans le rôle titre, si si, vous le connaissez, il a joué des centaines de salauds au cinéma depuis ! Il a d'ailleurs composé une partie de la musique du film NASHVILLE (1975) de Robert Altman, film choral situé dans la capitale de la Country Music. Et AMERICAN HOT WAX (1978) est un portrait du DJ Alan Freed (voir première partie) dépeint comme un rebelle, et le film une belle célébration au Rock’n’Roll des pionniers. On y entend Johnny Otis, The Everly Brothers, Jackie Wilson, Eddie Cochran... Le revival Rock'n'roll joue à fond.

Loin des ors hollywoodiennes, des biopics un peu trop lisses, du revival rockabilly, la fureur des punks gronde. A New York ou à Londres, eux aussi auront droit à leur quart d’heure de célébrité sur grand écran…

Rendez-vous dans 15 jours pour la suite... 15 jours  ? Bah oui, je pars en retraite spirituelle sur les terres tourbées de Saint Rory. Vendredi prochain, FreddieJazz fera l'intérim. 

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Au menu du jour, l'incontournable hit "Born to be wild" sur des images de EASY RIDER, la gentille Olivia et et le gentil John dans la bande annonce de GREASE, et Jimmy Cliff dans THE HARDER THEY COME

2 commentaires:

  1. Le Sergent Pepper avec Frampton et Les Bee Gees, C'était déja dur à écouter (J'avoue, j'ai l'album ! ), mais à regarder...! En 78, tu as eu un gros nanard "Kiss contre les fantômes"; A voir par curiosité, j'avais trouvé la performance de Slade dans Flames très moyenne, celle de Kiss est carrément lamentable ! Je sais..Ce sont des rockers pas des acteurs. Qu'ils restent sur scènes et les vaches seront bien gardées.

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  2. Félicitations pour l'article. Il n'y a que ceux qui n'écrivent pas qui ne se doutent pas du temps qu'on y passe. J'ai lu récemment un bouquin (dont le titre m'échappe) qui parle de la genèse d'Easy Rider: un foutoir innommable en effet, avec un Dennis Hopper fou furieux, se brouillant avec tout le monde. Dans le film, surnagent les premières minutes et la fin. Zabriskie Point est à vomir, l'opportunisme à l'état brut. D'accord pour Pat Garrett, remarquable.

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