- Dites M'sieur Claude… Ce trio se joue toujours à trois, comme celui de
Tchaïkovski il y a quelques semaines ?
- Heuu bizarre votre question Sonia… Quoique Gotlib avait imaginé des
solutions à quatre avec des pianistes manchots…
- Oui j'avoue, ma question est mal posée, je voulais juste savoir si il
s'agit d'un trio toujours avec un piano, un violon et un violoncelle
?
- Ah je vois mieux. Brahms a certes composé pour d'autres combinaisons,
cor, clarinette… Mais aujourd'hui, oui, c'est en formation habituelle
qu'il est joué…
- C'est un disque ancien comme l'autre jour ?
- Au contraire, un bel enregistrement de 2006 qui a fait la pige à une
référence de 1968 avec un trio réuni autour de Julius Katchen… On va voir
cela en détails.
Aimez-vous Brahms
? Question posée par
Anatole Litvak dans son
adaptation en 1961 du roman de
Françoise Sagan de 1951.
En cet après-guerre, la question est à la mode dans une France qui découvre
le musicien mort depuis un demi-siècle. Adulé dans les pays anglo-saxons, le
compositeur romantique fait enfin son entrée dans les salles de concert,
mais dans mon livre scolaire d'histoire de la musique de
1962, on lui consacre 6 lignes
(3 pages pour
Gounod). Devenu un incontournable parmi les grands, je lui ai déjà consacré
quelques articles : Le
Requiem allemand
(clic), La
symphonie N°4
(clic), les
quintettes pour alto
et
clarinette
(clic) et une
sonate violon et violoncelle
interprétée par
Hélène Grimaud
et
Sol Gabetta
(clic). Je ne reviens donc pas sur la bio détaillée de l'épicurien génie natif
de Hambourg. Par contre, pour poursuive l'exploration de son
importante musique de chambre, impossible de faire l'impasse sur les trios
pour
piano, violon et violoncelle, et pour commencer, et bien… pourquoi pas le N°1 !
Dans la musique de chambre de
Brahms, le piano est très présent sauf dans les quatuors à cordes et les deux
quintettes cités. Ce n'est pas étonnant de la part d'un homme qui, comme
Schubert, était un pianiste de grand talent. Le
1er trio
porte le
N° d'opus 8. C'est l'œuvre d'un tout jeune prodige de 20 ans écrite en
1853. On se représente souvent
un
Brahms
ventripotent et arborant une barbe de prophète. Et bien, comme la photo le
montre,
Johannes Brahms
a été aussi un jeune homme mince et fort séduisant qui ne laissait pas les
femmes de marbre. Et cette passion, celle qui le liera (en tout bien tout
honneur ?) à
Clara Schumann, la passion, dis-je, est la quintessence de ce premier trio de jeunesse.
Une réussite absolue.
Le
trio Wanderer
est né d'un projet de trois jeunes élèves du conservatoire de Paris en
1987. Ils ont emprunté leur nom à une
Fantaisie et un
Lied de
Schubert.
Après leur formation parisienne, les trois compères se sont perfectionnés
auprès de
Menahem Pressler, le pianiste du
Beaux Arts Trio
et ont suivi les cours du
quatuor Amadeus
déjà souvent présenté dans ce blog (clic). Aucun des membres n'ayant la cinquantaine, il est licite de considérer
cet ensemble comme un jeune trio. Leur carrière est déjà solide avec
des invitations à se produire dans les salles de concerts prestigieuses : du
Théâtre des champs Élysées de
Paris au
Concertgebouw d'Amsterdam en
passant par la
Scala de Milan.
En parallèle, ils ont déjà constitué une discographie imposante, soit seul
comme pour les trios de
Brahms, soit comme noyau de divers quatuors avec piano (c'est le cas dans le
double album de ce jour qui comporte le quatuor avec piano Opus 25 de
Brahms,
Christophe Gaugué
les ayant rejoint pour jouer la partie d'alto).
Je recommande pour les amateurs de
Dmitri Chostakovitch un album comportant les deux trios du compositeur russe complété par celui
de
Aaron Copland. Un grand cru dans ce répertoire moins visité que celui de
Schubert (que les Wanderer ont enregistré aussi…)
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Le
1er trio
de
Brahms
date de 1853. C'est l'une de
ses premières partitions d'importance qui ne soient pas écrites pour le
piano seul.
Il semble que le jeune
Brahms
s'est fixé pour défi de jeter sur le papier tout ce qu'il a appris et tout
ce qu'il veut imaginer de nouveau pour bouleverser la musique en cette
période si féconde du romantisme européen (Chopin,
Berlioz,
Mendelssohn,
Schubert,
Schumann…). Il n'hésite pas à utiliser jusqu'à cinq thèmes dans le premier
mouvement. Par sa durée, l'œuvre rappelle le
trio l'archiduc de
Beethoven, son modèle. Ne dira-t-on pas que la
première symphonie
de
Brahms
à venir est "la 10ème de Beethoven" !
Ne me demandez pas pourquoi, le trio est créé en novembre
1855 à
New York dans cette version
initiale.
Brahms
le remaniera profondément en
1891. La création sur le vieux
continent à lieu à Breslau en décembre
1855.
1 – Allegro con brio
: Une mélodie simple, d'une grande tendresse, au piano, introduit le grand allegro initial. À la
fin de la cinquième mesure, le violoncelle lui répond par l'exposition d'un
long thème élégiaque noté espressivo. Le pianiste et le
violoncelliste exposent sans se faire concurrence ce thème empreint de
sentimentalisme mais absolument pas liquoreux. Le
Trio Wanderer
adopte un jeu incisif, clair et pourtant poétique. Le violoncelle est
soutenu très discrètement par le violon jusqu'à la mesure 15 où la reprise
du thème se fait avec un violon plus allègre. Cette mélancolique et douce
entrée en matière est caractéristique du style romantique de
Brahms. Le flot musical reste pendant toute cette première partie très fluide et
sensuel. Les premiers développements n'accusent aucune brutalité même si les
trois musiciens accentuent avec gaité la fougue qui sous-tend cette
méditation d'un
Brahms
qui se veut jeune soupirant, le désir en conflit avec l'inquiétude de la
sortie de l'adolescence. Le mouvement, exceptionnellement développé pour un
trio, musarde en exposant et confrontant pas moins de cinq motifs
mélodiques, inventivité, elle aussi, tout aussi inhabituelle. La finesse du
jeu et la détermination des trois instrumentistes évitent le moindre
sentiment de longueur. C'est élégant, les trilles les plus joyeuses du
violon se confrontent à la suavité nostalgique du violoncelle. Une gravure
d'exception dès la première plage du CD !
2 – Scherzo
:
Allegro molto. Comme
Beethoven
dans sa
9ème symphonie
et plus tard son ennemi (au sens musical)
Bruckner, le jeune
Brahms
sait déjà qu'après un premier mouvement important, il est utile d'intercaler
un passage de détente avant le mouvement lent. C'est le cas ici avec ce
scherzo d'environ 6'30". Le scherzo expose de façon ludique un thème dansant
et rythmé, un tantinet impétueux. On constate de nouveau l'extrême
complicité des trois artistes du
trio Wanderer
à travers la dissociation subtile, voulue et maîtrisée par les
protagonistes entre les timbres et les phrasés. On bénéficie à la fois de l'alacrité
quasi symphonique propre à l'écriture vigoureuse de
Brahms
et de l'intimité galante. Le trio central affiche une durée importante avec
son thème charnel et puissant. Le contraste marqué entre la sensualité du
trio et la bonhomie du scherzo renvoie très loin la fonction purement
ornementale habituellement dédiée à ce passage de transition.
3 – Adagio
: Les premières notes solitaires du piano et une litanie aux accents
douloureux du violoncelle surprennent dans ce début de l'adagio. Est-ce son
spleen ou une prière aux accents mystiques que confie
Brahms à ses portées ? [2'35] Le violoncelle dans son registre grave s'élance dans
une belle complainte. Les trois instruments semblent hésiter, chercher leurs
chemins. On retrouve une écriture épurée et secrète pendant tout le
mouvement. C'est bouleversant. La main gauche de
Vincent Coq
ne quitte guère les octaves les plus sombres du clavier. Le jeune
compositeur montre un don inné pour la forme trio ; ce qui pose question :
pourquoi attendra-t-il 30 ans avant d'écrire le second ?
4 – Allegro
: Après une première partie aussi intense dans ses intentions émotionnelles,
Brahms
opte pour un final de la même durée que le Scherzo. À 20 ans, le jeune
Brahms
s'écarte déjà des dogmes classiques qui imposent un final aux couleurs
exclusivement positives. Il utilise un matériau sonore différent et dans le
ton des mouvements précédents, mais la joie et la mélancolie se mêlent pour
faire écho aux oppositions de styles, si marquées au sein du premier
mouvement et entre le scherzo et l'adagio. Chaque passage léger semble se
heurter à une idée plus sombre. C'est passionnant et très original. Il n'y
aura décidément aucun point faible dans ce trio "pilote". La coda, puissante
et cadencée conclut l'œuvre de manière plus optimiste. Le
trio Wanderer
évite de nouveau tout romantisme mielleux, au bénéfice d'un jeu précis et
viril. Du grand, du très grand
Brahms
!! Un cru exceptionnel de la discographie très bien accueilli tant pas la
presse spécialisée que part les commentateurs amateurs…
Parcourir la partition est bluffant. C'est noir de notes et tout,
absolument tout, est détaillé à l'extrême : les variations de tempo, les
crescendos, l'utilisation de la pédale… etc. etc. Et pourtant, à l'écoute,
la musique parait extrêmement légère, voire diaphane dans l'adagio. On
distingue les jeux sur double cordes, des accords en pizzicati sur trois
cordes.
Brahms n'offre aucune facilité. Les artistes du
trio Wanderer
assurent une mise en place exemplaire qui est un défi à la confusion. Bravo
!
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Les trios de
Brahms
sont un passage obligé pour cette formation. Voici, à mon humble avis divers
enregistrements qui méritent le détour :
Julius Katchen
(1926-1969) est une légende de la discographie consacrée à
Brahms. Mort bien jeune d'une longue maladie, le pianiste américain a été un
pionnier dans la connaissance du compositeur allemand après la guerre. En
1968, il s'entoure du violoniste
Josef Suk
(avec qui il gravera les trois sonates avec violon) et du violoncelliste
Janos
Starker
pour offrir à la postérité les trios. Cette version est restée pendant
longtemps LA référence. Le jeu est chaleureux, émouvant, la prise de son
exemplaire (DECCA - 6+/6)
Philips réédite toujours les disques du
Beaux arts Trio
dans leur formation de 1986 avec
Isidore Cohen
au violon : précision, délicatesse, intelligence du phrasé. Aucun hédonisme.
Une autre perfection (Philips -
6/6).
Enfin
Renaud
et
Gautier
Capuçon
accompagnés au clavier par
Nicholas Angelich
ont montré, si cela était nécessaire, l'étendu de leur talent avec une
intégrale signée en 2004. Une seule petite réserve, les tempos un peu
plus lents qui morcellent par moment le discours. (Erato
- 5/6)
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le scherzo. Allegro molto du trio de Brahms que tu peux entendre dans la B.O du film "Péril en la demeure" de Michel Deville en 1985
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