samedi 12 avril 2014

BRAHMS : Trio pour piano et cordes N° 1 – Trio WANDERER – par Claude Toon



- Dites M'sieur Claude… Ce trio se joue toujours à trois, comme celui de Tchaïkovski il y a quelques semaines ?
- Heuu bizarre votre question Sonia… Quoique Gotlib avait imaginé des solutions à quatre avec des pianistes manchots…
- Oui j'avoue, ma question est mal posée, je voulais juste savoir si il s'agit d'un trio toujours avec un piano, un violon et un violoncelle ?
- Ah je vois mieux. Brahms a certes composé pour d'autres combinaisons, cor, clarinette… Mais aujourd'hui, oui, c'est en formation habituelle qu'il est joué…
- C'est un disque ancien comme l'autre jour ?
- Au contraire, un bel enregistrement de 2006 qui a fait la pige à une référence de 1968 avec un trio réuni autour de Julius Katchen… On va voir cela en détails.

Aimez-vous Brahms ? Question posée par Anatole Litvak dans son adaptation en 1961 du roman de Françoise Sagan de 1951. En cet après-guerre, la question est à la mode dans une France qui découvre le musicien mort depuis un demi-siècle. Adulé dans les pays anglo-saxons, le compositeur romantique fait enfin son entrée dans les salles de concert, mais dans mon livre scolaire d'histoire de la musique de 1962, on lui consacre 6 lignes (3 pages pour Gounod). Devenu un incontournable parmi les grands, je lui ai déjà consacré quelques articles : Le Requiem allemand (clic), La symphonie N°4 (clic), les quintettes pour alto et clarinette (clic) et une sonate violon et violoncelle interprétée par Hélène Grimaud et Sol Gabetta (clic). Je ne reviens donc pas sur la bio détaillée de l'épicurien génie natif de Hambourg. Par contre, pour poursuive l'exploration de son importante musique de chambre, impossible de faire l'impasse sur les trios pour piano, violon et violoncelle, et pour commencer, et bien… pourquoi pas le N°1 !
Dans la musique de chambre de Brahms, le piano est très présent sauf dans les quatuors à cordes et les deux quintettes cités. Ce n'est pas étonnant de la part d'un homme qui, comme Schubert, était un pianiste de grand talent. Le 1er trio porte le N° d'opus 8. C'est l'œuvre d'un tout jeune prodige de 20 ans écrite en 1853. On se représente souvent un Brahms ventripotent et arborant une barbe de prophète. Et bien, comme la photo le montre, Johannes Brahms a été aussi un jeune homme mince et fort séduisant qui ne laissait pas les femmes de marbre. Et cette passion, celle qui le liera (en tout bien tout honneur ?) à Clara Schumann, la passion, dis-je, est la quintessence de ce premier trio de jeunesse. Une réussite absolue.
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Le trio Wanderer est né  d'un projet de trois jeunes élèves du conservatoire de Paris en 1987. Ils ont emprunté leur nom à une Fantaisie et un Lied de Schubert.
Après leur formation parisienne, les trois compères se sont perfectionnés auprès de Menahem Pressler, le pianiste du Beaux Arts Trio et ont suivi les cours du quatuor Amadeus déjà souvent présenté dans ce blog (clic). Aucun des membres n'ayant la cinquantaine, il est licite de considérer cet ensemble comme un jeune trio. Leur carrière est déjà solide avec des invitations à se produire dans les salles de concerts prestigieuses : du Théâtre des champs Élysées de Paris au Concertgebouw d'Amsterdam en passant par la Scala de Milan.
En parallèle, ils ont déjà constitué une discographie imposante, soit seul comme pour les trios de Brahms, soit comme noyau de divers quatuors avec piano (c'est le cas dans le double album de ce jour qui comporte le quatuor avec piano Opus 25 de Brahms, Christophe Gaugué les ayant rejoint pour jouer la partie d'alto).
Je recommande pour les amateurs de Dmitri Chostakovitch un album comportant les deux trios du compositeur russe complété par celui de Aaron Copland. Un grand cru dans ce répertoire moins visité que celui de Schubert (que les Wanderer ont enregistré aussi…)
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Le 1er trio de Brahms date de 1853. C'est l'une de ses premières partitions d'importance qui ne soient pas écrites pour le piano seul.
Il semble que le jeune Brahms s'est fixé pour défi de jeter sur le papier tout ce qu'il a appris et tout ce qu'il veut imaginer de nouveau pour bouleverser la musique en cette période si féconde du romantisme européen (Chopin, Berlioz, Mendelssohn, Schubert, Schumann…). Il n'hésite pas à utiliser jusqu'à cinq thèmes dans le premier mouvement. Par sa durée, l'œuvre rappelle le trio l'archiduc de Beethoven, son modèle. Ne dira-t-on pas que la première symphonie de Brahms à venir est "la 10ème de Beethoven" !
Ne me demandez pas pourquoi, le trio est créé en novembre 1855 à New York dans cette version initiale. Brahms le remaniera profondément en 1891. La création sur le vieux continent à lieu à Breslau en décembre 1855.

1 – Allegro con brio : Une mélodie simple, d'une grande tendresse, au piano, introduit le grand allegro initial. À la fin de la cinquième mesure, le violoncelle lui répond par l'exposition d'un long thème élégiaque noté espressivo. Le pianiste et le violoncelliste exposent sans se faire concurrence ce thème empreint de sentimentalisme mais absolument pas liquoreux. Le Trio Wanderer adopte un jeu incisif, clair et pourtant poétique. Le violoncelle est soutenu très discrètement par le violon jusqu'à la mesure 15 où la reprise du thème se fait avec un violon plus allègre. Cette mélancolique et douce entrée en matière est caractéristique du style romantique de Brahms. Le flot musical reste pendant toute cette première partie très fluide et sensuel. Les premiers développements n'accusent aucune brutalité même si les trois musiciens accentuent avec gaité la fougue qui sous-tend cette méditation d'un Brahms qui se veut jeune soupirant, le désir en conflit avec l'inquiétude de la sortie de l'adolescence. Le mouvement, exceptionnellement développé pour un trio, musarde en exposant et confrontant pas moins de cinq motifs mélodiques, inventivité, elle aussi, tout aussi inhabituelle. La finesse du jeu et la détermination des trois instrumentistes évitent le moindre sentiment de longueur. C'est élégant, les trilles les plus joyeuses du violon se confrontent à la suavité nostalgique du violoncelle. Une gravure d'exception dès la première plage du CD !

2 – Scherzo : Allegro molto. Comme Beethoven dans sa 9ème symphonie et plus tard son ennemi (au sens musical) Bruckner, le jeune Brahms sait déjà qu'après un premier mouvement important, il est utile d'intercaler un passage de détente avant le mouvement lent. C'est le cas ici avec ce scherzo d'environ 6'30". Le scherzo expose de façon ludique un thème dansant et rythmé, un tantinet impétueux. On constate de nouveau l'extrême complicité des trois artistes du trio Wanderer à travers la dissociation subtile, voulue et maîtrisée par les protagonistes entre les timbres et les phrasés. On bénéficie à la fois de l'alacrité quasi symphonique propre à l'écriture vigoureuse de Brahms et de l'intimité galante. Le trio central affiche une durée importante avec son thème charnel et puissant. Le contraste marqué entre la sensualité du trio et la bonhomie du scherzo renvoie très loin la fonction purement ornementale habituellement dédiée à ce passage de transition.
3 – Adagio : Les premières notes solitaires du piano et une litanie aux accents douloureux du violoncelle surprennent dans ce début de l'adagio. Est-ce son spleen ou une prière aux accents mystiques que confie Brahms à ses portées ? [2'35] Le violoncelle dans son registre grave s'élance dans une belle complainte. Les trois instruments semblent hésiter, chercher leurs chemins. On retrouve une écriture épurée et secrète pendant tout le mouvement. C'est bouleversant. La main gauche de Vincent Coq ne quitte guère les octaves les plus sombres du clavier. Le jeune compositeur montre un don inné pour la forme trio ; ce qui pose question : pourquoi attendra-t-il 30 ans avant d'écrire le second ?
4 – Allegro : Après une première partie aussi intense dans ses intentions émotionnelles, Brahms opte pour un final de la même durée que le Scherzo. À 20 ans, le jeune Brahms s'écarte déjà des dogmes classiques qui imposent un final aux couleurs exclusivement positives. Il utilise un matériau sonore différent et dans le ton des mouvements précédents, mais la joie et la mélancolie se mêlent pour faire écho aux oppositions de styles, si marquées au sein du premier mouvement et entre le scherzo et l'adagio. Chaque passage léger semble se heurter à une idée plus sombre. C'est passionnant et très original. Il n'y aura décidément aucun point faible dans ce trio "pilote". La coda, puissante et cadencée conclut l'œuvre de manière plus optimiste. Le trio Wanderer évite de nouveau tout romantisme mielleux, au bénéfice d'un jeu précis et viril. Du grand, du très grand Brahms !! Un cru exceptionnel de la discographie très bien accueilli tant pas la presse spécialisée que part les commentateurs amateurs…
Parcourir la partition est bluffant. C'est noir de notes et tout, absolument tout, est détaillé à l'extrême : les variations de tempo, les crescendos, l'utilisation de la pédale… etc. etc. Et pourtant, à l'écoute, la musique parait extrêmement légère, voire diaphane dans l'adagio. On distingue les jeux sur double cordes, des accords en pizzicati sur trois cordes. Brahms n'offre aucune facilité. Les artistes du trio Wanderer assurent une mise en place exemplaire qui est un défi à la confusion. Bravo !

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Les trios de Brahms sont un passage obligé pour cette formation. Voici, à mon humble avis divers enregistrements qui méritent le détour :
Julius Katchen (1926-1969) est une légende de la discographie consacrée à Brahms. Mort bien jeune d'une longue maladie, le pianiste américain a été un pionnier dans la connaissance du compositeur allemand après la guerre. En 1968, il s'entoure du violoniste Josef Suk (avec qui il gravera les trois sonates avec violon) et du violoncelliste Janos Starker pour offrir à la postérité les trios. Cette version est restée pendant longtemps LA référence. Le jeu est chaleureux, émouvant, la prise de son exemplaire (DECCA - 6+/6)
Philips réédite toujours les disques du Beaux arts Trio dans leur formation de 1986 avec Isidore Cohen au violon : précision, délicatesse, intelligence du phrasé. Aucun hédonisme. Une autre perfection (Philips - 6/6).
Enfin Renaud et Gautier Capuçon accompagnés au clavier par Nicholas Angelich ont montré, si cela était nécessaire, l'étendu de leur talent avec une intégrale signée en 2004. Une seule petite réserve, les tempos un peu plus lents qui morcellent par moment le discours. (Erato - 5/6)

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1 commentaire:

  1. le scherzo. Allegro molto du trio de Brahms que tu peux entendre dans la B.O du film "Péril en la demeure" de Michel Deville en 1985

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