mercredi 5 février 2014

Robben FORD "Bringing it Back Home" (18 février 2013) - by Bruno


La classe

     Voilà. Cela fait un petit moment déjà que je voulais parler de ce disque. Et puis malheureusement, mon travail au Déblocnot' n'est pas à plein temps (heureusement, diront certains), et puis il y a eu également beaucoup d'actualités musicales intéressantes l'année dernière, sans oublier les Oldies qui sont encore à des années-lumière d'être exhaustifs. Et surtout, j'ai volontairement attendu de plancher sur une petite chronique parce qu'à chaque écoute de ce disque, j'avais l'impression d'y déceler quelque chose de nouveau. C'était parfois un infime détail, une résonance, une inflexion, un accord, une frappe particulière sur un pattern, etc, etc... Bref ce "Bringing It Back Home" me paraît si riche, si fort, qu'il me fallait attendre.
   

 C'est que mister Robben Ford en a fait du chemin depuis sa Californie natale (il est né le 16 décembre 1951 à Woodlake, en Californie). A 18 ans, c'est le premier groupe, avec ses frères Mark et Patrick, le Charles Ford Band (baptisé ainsi en hommage à leur père), où Robben affiche déjà de belles dispositions à faire pâlir de jalousie bon nombre de guitaristes de Blues. En 1972, juste après la sortie d'un premier disque, il part accompagner Jimmy Whiterspoon jusqu'en 73. L'année suivante, c'est l'excursion dans le folk-rock en incorporant le L.A. Express qui accompagne Joni Mitchell en tournée (dont une partie est immortalisée sur "Misles of Aisles", une des meilleures réussites commerciales de la chanteuse canadienne). En 1977, c'est au tour du Jazz-rock /Jazz-fusion avec les Yellowjackets ; groupe qu'il monte avec l'extraordinaire bassiste Jimmy Haslip (que l'on retrouvera dans le Jing Chi). Il quitte le groupe en 1983 pour se lancer dans une carrière solo. Désormais connu depuis son expérience "Mitchell", il est sollicité par les studios. Ses quelques prestations en qualité de musiciens de studio démontre qu'il est capable au besoin de faire preuve d'éclectisme. En effet, contre toute attente, on le retrouve sur le "Creatures of the Night" du groupe de Hard-Glam-rock guignolesque, Kiss.
     En 1986, Miles Davis fait appel à ses services pour l'accompagner en tournée. Et 1988 marque le vrai départ de sa carrière solo, dorénavant totalement axée Blues, avec le remarqué "Talk to Your Daughter" qui lui vaut son premier Grammy Award. En 1992, c'est la création d'un trio de Blues-rock chiadé avec le bassiste Roscoe Beck. Si le premier opus passe relativement inaperçu, le second secoue le petit monde du Blues avec sa haute teneur, son originalité et ses raffinements. Le suivant, "Handful of Blues", le plus relevé, est un pur joyau ne souffrant d'aucun défaut. Un album référence, une pierre angulaire dans la riche discographie de Robben.
 

   Après quelques problèmes avec sa maison de disques (il est généralement admis que "Tiger Walk" n'a été réalisé que pour des obligations contractuelles), il se ressaisit à partir de 1999. Suit alors une petite série de disques toujours très bons, bien que sans réelle surprise, avec en parallèle le trio de jazz-fusion, Jing Chi réunissant Vinnie Colaiuta et Jimmy Haslip. En 2007, "Truth", un excellent album de Blues classieux, légèrement Rock, démontre un fait primordial : Robben Ford, en dépit d'un bagage technique et d'expérience déjà très lourd, progresse encore, évolue, se remet en question. L'apanage des grands.
Fait que confirme le collectif "Renegade Creation" (clic) (avec Michael Landau, Jimmy Haslip et Gary Novak) fondé en 2010, qui lui permet de fouler des terres nettement plus Rock, saturées de sons distordus planant sur des rythmes plus marqués.

     Enfin, en 2013, il y a ce "Bringing it Back Home" qui frôle la perfection. Au point que tout commentaire parait superflu, superfétatoire. Indéniablement, c'est une grande œuvre. Certes, par contre, l'élever au titre de disque ultime serait prétentieux et dithyrambique parce qu'il y a déjà de nombreuses reprises, même si elles ne sont pas des copies conformes, ensuite parce que Robben n'est certainement pas le meilleur chanteur de Blues. Toutefois, à ce titre, il convient de préciser qu'il chante toujours dans le ton de la chanson. Il connaît ses limites et en conséquence ne se frotte jamais à des registres où il serait ridicule. Ou alors il opère une mue dans la tonalité afin d'être toujours juste. D'ailleurs, généralement, dans sa musique, l'absence d'un performer plus puissant, un shooter, ne se fait pas ressentir tant le chant de Robben est en osmose avec la mélodie. Plus que jamais depuis "Blue Moon", et même encore plus aujourd'hui qu'hier !


     Enfin, bref, "Bringing it Back Home" est un oasis dans un désert musical formé d’amoncellement de résidus d'arrivistes en tout genre, de sons synthétiques et gluants, de séquences de basse artificielles et  lobotomisantes, de bimbos botoxées et de poseurs sans âme. Une bouée de sauvetage dans cet océan noir et néfaste brassant de faux artistes et de vrais carriéristes.
"Bringing it Back Home" est un disque sans âge, doté d'une production incroyable qui, en évitant tout polissage, parvient à restituer la chaleur de ce Blues avec un équilibre rare. Tous les instruments sont discernables dans les moindres détails. La basse, ou plutôt la contrebasse, de David Piltch (1) résonne comme si on avait l'oreille calée contre le corps, donnant ainsi l'image d'une force tranquille. Rarement le cycle vibratoire des "crash", des "ping", et des "splash" des cymbales ont bénéficié de tant d'attention au mixage, tout comme les balais lorsqu'ils caressent la caisse claire dans une danse amoureuse ; c'est digne des meilleures productions de jazz et, à coup sûr, les batteurs apprécieront tant de définition. Mais vraiment quel batteur ! Quel fluidité, quels rythmes ! C'est que Harvey Mason n'a rien d'un apprenti avec son C.V. qui remonte aux débuts des années 70 et sur lequel on peut lire les noms de Lee Ritenour, Miles Davis, Herbie Hancock, George Benson, Chick Corea, Joe Pass, Gabor Szabo, Grover Washington Jr, Véronique Sanson même (Le Maudit en 74), et d'autres.
Quant à Robben, il est simplement assis à côté de vous lorsqu'il chante. Sa guitare est un peu moins claire et claquante qu'autrefois, privilégiant dorénavant des sons plus feutrés, comme si la plupart du temps il jouait avec les deux micros, les mixant au besoin. A moins que tout simplement, il ne s'agisse du son naturel de la hollow-body, l'Epiphone Riviera 66'  avec laquelle il s'affiche sur les photos du livret. A l'écoute, on croirait reconnaître le son d'une Gibson ES335 avec une once -ou deux- en moins de puissance. Un timbre qui se rapproche parfois du Jazz, du Jazz-Blues, sans vraiment y toucher.

   Ce disque nous offre un voyage dans un Blues frais et feutré, aux couleurs chatoyantes dont une bonne partie aborde celles de New-Orleans, cachant presque totalement les quelques réminiscences jazzy et west-coast survivantes. Un Blues où le trombone de Stephen Baxter (2) a presque autant de place que l'orgue Hammond de Larry Goldings (3) et qui insuffle ainsi ce parfum louisianais entraînant et enjoué, qui force les pieds à se lancer dans des esquisses de danse improvisées.
Dans cet idiome, Robben rend hommage à l'illustre Allen Toussaint, mais aussi à Earl King (clic). Une autre figure emblématique de la Nouvelle-Orléans, quoique pratiquement inconnu dans l'hexagone.

   Quelquefois, néanmoins, cette pointe d'éléments jazzy se fait relativement plus forte, donnant alors la vague impression que Johnny "Hammond" Smith, Ronny Jordan, Wes Montgomery, Kenny Burrell auraient décidé de se consacrer à des sonorités nettement plus Blues. "On That Morning" flirte même avec le Smooth-Jazz habillé par un orgue qui chante des phrases propres à Jimmy Smith
A d'autres moments, c'est la mélodie qui prime. Comme avec "Oh, Virginia" qui nous propulse dans un rêve romantique d'une étreinte tendre avec une personne aimée, entre le slow et la valse, d'un pas de deux langoureux avec sa dulcinée. Un instant qui nous fait croire que la vie est simple et facile.

On soulignera le bon goût d'inclure le "Most Likely You Go You Way And I'll Go Mine" de Bob Dylan, qui est parfait pour se fondre dans l'ambiance générale du disque.

Un disque sain, réalisé par un type sain et humble, jouant une musique saine et chaleureuse. Enjoy !!

  1. Everything I Do Gonna Be Funky  (Allen Toussaint)
  2. Birds Nest Bound  (Big Joe Williams)
  3. Fair Child  (Allen Toussaint)
  4. Oh Virginia
  5. Slick Capers Blues  (Charlie Doyle)
  6. On That Morning  (Traditionnel arrangé par R.Ford
  7. Traveler's Waltz  (Ann Kerry Ford, Michael McDonald)
  8. Most Likely You Go You Way And I'll Go Mine  (Bob Dylan)
  9. Trick Bag  (Earl King)
  10. Fool's Paradise  (Bob Geddins, Johnny Fuller & David Avid)
48 minutes et 51 secondes de bonheur.

(1) David Piltch, avec ses participations pour Allen Toussaint, Mose Allison, Solomon Burke, Aaron Neville, Joe Henry, Bonnie Raitt et T.Bone Burnett, se révèle être le choix idéal pour ce disque. Notons également son travail pour Elton John, Bill Frisell, Bruce Cockburn, Richard Thompson, Loudon Wainwright, et d'autres encore.
(2) Aucun rapport avec l'écrivain anglais. Celui-ci, tout comme les autres messieurs accompagnant Robben, présente un CV impressionnante. Il a joué pour Ray Charles, Marcy Gray, Joss Stone, The Crusaders, Chakan Khan, Bette Midler, Eddy Mitchell (Frenchy), Johnny "Guitar" Watson, The Temptations (2006 et 2007), Stevie Wonder, Beck, Patti LaBelle, The O'Jays, Gladys Knight, Justin K...
(3) Pas un manchot celui-là aussi. Nominé en 2007 pour le Grammy Award du meilleur groupe de jazz instrumental, et en 2000 et 2001, élu au rang du meilleur claviériste par la "Jazz Journalists Association". Compositeur, ce sont ses disques qui reçoivent le titre de meilleur album de jazz par le "New-Yorker magazine", en 1996 et en 1997.
En qualité de sideman, on le retrouve avec Solomon Burke, Norah Jones, John Mayer, Al Jarreau, James Taylor, Herbie Hancock, Lee Ritenour, Christinia A..., Melody Gardot, Tracy Chapman, John Scofield, Jim Hall, etc... Il joue aussi de l'accordéon.





The Trailer

Et puis le titre d'ouverture

13 commentaires:

  1. Dans le même créneau, j'ai découvert il y a quelques années un superbe guitariste, Matt Schofield, un anglais au style tout en finesse, très lyrique. Un nouveau cd sort ce mois çi.

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    1. Et bien, coïncidence ! Je viens de le découvrir, via le net, il y a seulement quelques heures (son live et "Anything but Time") et cela a l'air d'être effectivement bon. Avec des phrasés de guitares intéressants et nantis de feeling. Il semble un peu à l'écart de la tripoté de guitares, certes excellents mais trop bavards et bravaches.

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  2. C'est tout à fait cela, rien à voir avec le blues-rock des Walter Trout , Bonamassa et autres, bien que je les apprécie également! Ce type joue sans esbrouffe et avec un feeling hors du commun. En plus des deux cd que tu cites, je rajouterais le "Heads Tails and Aces" (2009) Le" live from the Archive" est excellent. AmicalementJP

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  3. J'ai toujours trouvé Robben Ford très fort que ce soit dans le bon gôut de ses reprises ou pour sa technique parfaite dans les Bends jamais une note approximative, du travail d'orfèvre mais sans perdre la Soul comme certains artilleurs modernes semble l'avoir ignoré. Petite coquille me semble t'il c'est Larry GOLDINGS j'ai eu l'occasion de l'entendre à deux reprises une fois avec les JB Horns et l'autre avec Eddie Harris et John scofield et à chaque fois il m'a scotché par la qualité de son jeu et son groove en effet assez Louisianais.

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    1. Oups ! Mais où qu'il est passé ce "L" ??
      Tout à fait Jipes, Robben est un technicien hors pair, et je pense que l'on ne se rend même compte à quel point parce qu'il favorise le feeling, la note juste, à l’esbroufe et l'épate.
      Ce n'est d'ailleurs pas le premier venu qui peut venir jouer avec des gabarits comme Miles Dvis, Larry Carlton et Michael Landau.
      C'est un Grand Monsieur.

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  4. un article sur Robben ford! je suis un grand fan et je suis d'accord avec le début de l'article....s'il existe un disque parfait c'est bien "handful of blues" OK après effectivement ses CD sont plus mitigés, du bon et un peu de remplissage...arrive ce "Bringing it back home" .. que j'attendais impatiemment au vu des critiques dithyrambiques comme celle de Bruno et que je n'arrive pas à apprécier.
    Je ne comprends toujours pas ce déluge d'éloge ( pas mal celle la!). Beaucoup de reprises mais perso je n'en connaissais aucune.. elles ont bercé sa jeunesse parait il..il a toujours son toucher unique mais je m'ennuie à l'écoute du CD.. trop feutré, trop lisse, manque de feeling bluesy...on a perdu l'énergie des premiers disques et effectivement le clinquant du son . Je sais qu'il a une culture jazzy( avec le jazz c'est pareil j'arrive pas... trop technique, manque de feeling à mon gout.. désolé). alors là ce disque ni blues, ni jazz j'accroche pas et je trouverai dommage que ceux qui ne connaisse pas Robben commence par ce disque...

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    1. "Handful of Blues" reste un grand disque, c'est indéniable (pour ma part, l'album de la redécouverte, après avoir connu Robben via "Talk to your Daughter"). Toutefois, je me souviens de certaines critiques de l'époque qui lui reprochaient alors d'être... trop rock.
      Je serai également tenté de conseiller "Handful of Blues" pour découvrir Robben, mais les goûts divergent, et suivant les personnes, je conseillerai volontiers ce "Bringing it Back Home" ; tout comme "Truth". Quant à savoir quel est le meilleur... En fait, seul "Tiger Walk" me paraît totalement dispensable. En ce qui concerne les autres, ils sont toujours pourvus de quelques pépites. En tout cas, il serait fort dommage de se contenter d'un seul disque de Robben Ford, tant sa discographie est riche. Certains, d'ailleurs, sont bien plus jazzy que celui-ci.

      Il est probable que Robben ne ressente plus le besoin d'injecter une (ou plus) dose de Rock dans son Blues classieux, puisque désormais il assouvit ce penchant avec le collectif "Renegade Creation".

      Le petit dernier, "A Day in Nashville", qui n'a que quelques jours, continue la voix tracée par son prédécesseur, avec toutefois une orchestration un tantinet plus fournie et un soupçon de rudesse en sus, donnant ainsi la sensation d'un enregistrement live. (Il me semble même qu'il y ait quelques pains sur deux soli du maître - étonnant de sa part -). Peut-être correspondra-t'il plus à tes attentes ?

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    2. grand fan de robben j'ai bien sur encore craqué sur "a day in Nashville" ...mais effectivement il est dans la lignée du précédent. Il faut que je me fasse une raison , la grande époque du trio avec Roscoe Beck c'est terminé, c'est beaucoup plus calme moins rock, moins de soli de guitares bien péchus tout ça est bien poli, bien chiadé..tant pis je suis fidèle et il reste l'un de mes guitaristes préférés.. je vais écouter le conseil de jean pascal sur matt Schofield....jamais entendu parler de lui.

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    4. J'écoute depuis peu Matt Schofield, et ce que j'en retiens, pour l'instant, c'est... qu'il a dû tomber "dans une marmite de Robben Ford étant petit". C'est du Robben Ford anglais, dans le sens où quelques fois ils remontent à la surface des influences du British Blues. Et même du John Mayall de ce siècle.
      Finalement moins goûteux que Robben (il manque peut-être la patine des ans), toutefois, c'est indéniable, ce gars-là sait jouer. Il me paraît plus intéressant dès qu'il agrémente son Blues d'épices Pop ou Funky.
      Il se placerait assez bien parmi la cohorte des jeunes loups du Blues-Rock.

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  5. gege_blues21/2/14 21:23

    Je suis un admirateur de Robben Ford et je l'ai bêtement raté lors de son passage à Paris ce 4 février dernier ! Concernant Matt Schofield je vous conseille de vous délecter de son album live enregistré à Amsterdam "Live From The Archive" ou du CD studio "Anything But Time" vous m'en direz des nouvelles !

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  6. J'ai ce "Anything But Time", très bon dans l'ensemble où Matt démontre qu'il sait faire respirer ses notes, au contraire de nombre de ses pairs qui confondent guitare et sulfateuse. Sa voix d'un peu plus de chaleur ou de caractère, mais là encore, il se place tout de même au-dessus d'une légion de gratteux qui s'imposent en tant que chanteur, hélas au détriment de leur musique. Kenny Wayne Sheperd l'a bien compris lui.

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