Albert
Dupontel a tout fait à l’envers. D’ordinaire, on entend "je fais du cinéma pour payer
mes spectacles au théâtre, mon vrai métier, ma vraie passion"… Dupontel a fait l’inverse.
Après des cours dramatiques, il est remarqué comme humoriste, écrit ses one-man
show, qui remportent en franc succès. Et c’est grâce à l’argent gagnée sur
scène qu’il finance ses premiers films, BERNIE (1996), LE CREATEUR (1999),
ENFERMES DEHORS (2006) et LE VILAIN (2009). Au contraire de beaucoup de "comiques", dès le début de sa carrière, par ses sketches, ses personnages, Dupontel a imposé un style, un univers, entre Buster Keaton de Charlie Hebdo (pour faire simple...). Un univers transposé au cinéma, sans concession, et tant pis si ses films ne passent pas à 20h30 sur TF1...
Auteur
complet et interprète principal de ses films, Dupontel n’est pas loin d’avoir
écrit la meilleure comédie depuis des lustres. Sur le papier. Sans déflorer les
surprises, on peut tout de même raconter le principe du film. Ariane Felder est
célibataire, juge d’instruction, sérieuse, appliquée, on la destine à une jolie
carrière dans la magistrature. Elle apprend du jour au lendemain qu’elle est
enceinte de six mois. La date de la conception semble correspondre au réveillon organisé au Palais de Justice. Ariane Felder va donc chercher à identifier le père
(le juge Bernard qui lui fait les yeux doux depuis ?) en sollicitant un
légiste du palais pour une recherche d’ADN.
Le résultat tombe : l’enfant à venir serait le fils de Bob Nolan, un
dangereux psychopathe globovore (qui mange les yeux de ses victimes !).
Comment est-ce possible ?
Le
scénario est vraiment ingénieux. Il fonctionne sur le principe de : je sais
des choses, je sais que tu sais, ou je sais que tu ne sais pas, ou je crois savoir que tu sais... etc... Pour comprendre ce qu’il
s’est passé après le réveillon, Ariane Felder visionne les caméras de surveillance
de la police. Le flic ne sait pas que c’est Felder sur la bande, elle oui. Et c’est
très drôle, parce les deux n'ont pas la même lecture de ce qu'ils voient à l'écran. Même principe quand Ariane Felder reçoit Bob Nolan
dans son bureau. Elle sait qu’il est le père, et cherche à déceler un indice chez
Nolan. Le sait-il aussi ? Mais lui ne sait même pas ce qu’il fait là. Et quand Bob Nolan voit une photo
de Felder avec une perruque de juge sur la tête (elle en portait une aussi au
fameux réveillon) Nolan lui lance : "je vous préfère sans perruque". Dans l’esprit
de Felder, c’est donc qu’il l’a reconnue. Donc, qu'il sait. Quiproquo encore… (Il y a d’ailleurs
un running gag avec le mot perruque assez savoureux !) Tout repose sur ce
principe. Le scénario est vraiment bien pensé, rien n’est laissé de côté, pas
de digression (le film dure 1h20), Dupontel s’attaque à un sujet précis, en
explore toutes les possibilités.
A
ceci près… vers la fin, vient une scène où Bob Nolan apprend qu’il est le père de l’enfant.
Felder ignorant qu’il sait. Un très joli passage, sans doute pas assez exploité. Dupontel aurait sans doute pu développer l'idée, jouer
de cette nouvelle ambiguïté, il y avait des trucs à trouver, sûr.
La
mise en scène est aussi au point, on est dans le registre "à la Jean Pierre Jeunet", utilisation de couleurs franches, saturées, focale courte (grand angle), un
montage express (mais qui ne file pas le tournis, le rythme du film dépend moins
du montage que de ce qui se passe à l’intérieur des plans). Il y a plus d’idées
de cinéma dans trois minutes de NEUF MOIS FERME que dans toute l’œuvre de Dany
Boon. Comme ce travelling circulaire 360° autour des deux personnages qui travaillent plusieurs jours de suite, avec les lampes qui s’allument ou s’éteignent, marquant les jours et nuits qui passent. Ou quand Dupontel nous montre une action sous un angle de caméra, alors que le contre-champ nous dit autre chose : il se penche vers elle pour l'embrasser ? Changement de d'axe de caméra : non, pour coller son oreille à la porte et écouter ce qui se passe sur le palier. Dupontel s’amuse avec son outil, sa caméra, soigne chaque image, tout est
millimétré (voir le plan séquence du générique). Il joue sur plusieurs écrans, recrée de faux journaux télé, à
recours à l’animation, bref, tout un éventail de procédés au service de son
histoire. On perçoit l’influence des Monty Python, de Terry Gilliam en
particulier, qui d’ailleurs fait une apparition de deux secondes dans le film
(le taulard anthropophage anglais !).
Car
le film tient aussi grâce à ses comédiens, Jean Dujardin et Yolande Moreau
faisant aussi un passage express (sur le coup je n’avais pas reconnu Gaspard Noé et Jan Kounen…).
Dupontel est parfait, sa gestuelle précise, son visage élastique, ses tics, un
jeu très physique, dans la tradition des Keaton, Chaplin, Tati. Sandrine Kiberlain est épatante, et ce qui réjouit, ce sont
les nombreux seconds rôles, notamment Maitre Bernard (dont Felder découvre la
fiche wikipédia avec ses ancêtres !!) qui ne cesse de se recevoir des
objets lourds sur la gueule, et Maitre Trolos, l’avocat de Nolan, qui développe
une éloquence toute lyrique au tribunal, mais malheureusement, il bégaie !!
Ces interventions sont vraiment tordantes.
Dupontel
propose du burlesque, du gag, du comique de situation, des dialogues assez fins, précis, donne aussi dans l'absurde, et cède parfois à l’humour trash, notamment pour expliquer comment on peut perdre ses bras,
jambes et yeux par accident dans sa cuisine ! Et grande qualité, le
film développe une relation touchante entre Nolan et Felder, mais nous épargne la romance pré-digérée, grâce à ce personnage que compose
Dupontel, mi-homme mi-enfant, apeuré, profondément gentil en réalité (« mais
non je ne mange pas les yeux des gens ! »).
Dupontel n’est pas loin d’avoir
écrit la meilleure comédie depuis des lustres. Sur le papier. Sur le papier seulement, après tous les compliments que je viens de faire ? Oui, parce qu’une
fois à l’écran, on ne rit pas autant qu'on le pensait en entrant dans la salle. NEUF MOIS FERME est évidemment très au-dessus
du lot des comédies françaises, à cent bornes de "Les Seigneurs" pour citer un des films les plus lamentables de ces 20 dernières années. Il y a, je répète, de vraies intentions de
cinéma, un scénar très bien ficelé, des comédiens épatants, mais
paradoxalement on n’est pas plié en quatre sur son siège tout le temps. Et pour une comédie, c'est embêtant ! Dupontel
joue sur l’absurde, le décalage, l'interprétation au second degré, c'est plus subtil qu'il n'y parait, plus exigeant. Et parfois ce sont les idées toute
simples qui restent le plus efficaces.
NEUF MOIS FERME
réal, scé et dialogues : Albert Dupontel
Couleurs - 1h21 - scope1:2,35
Entre le dernier Woody Allen et le dernier Dupontel, devine vers lequel ira ma préférence ...
RépondreSupprimerUn indice : toujours se méfier d'un réalisateur qui joue de la clarinette dans un groupe (???) de jazz ...
Pas sûr, mais il me semble que Dupontel joue du ukulélé dans un groupe de rock progressif...
RépondreSupprimerEnfin Albert Dupontel revient !! le dernier film dans lequel je l'avais vu et apprécié était "Le bruit des glaçons" le film de Blier ou il jouait le rôle du cancer ! Un grand bonhomme que j'apprécie et un film au vu de la chronique et de la bande annonce qui fait bien envie. Essai réussis et transformé Luc,
RépondreSupprimerJ'ai vu ce film complètement déjanté, dans l'absurde et l'humour noir, l'histoire n'est pas banale. L'imagination d'Albert Dupontel est mortelle ! et puis il joue son rôle de petit truand déphasé avec un naturel plus vrai que nature, c'est que c'est un drôle de monsieur ce Dupontel ! et Sandrine Kiberlain, quelle performance ! elle est sublime dans la peau d'une juge d'instruction dépassée par les évènements. Un film à voir pour ses péripéties délirantes, persnonellement j'ai passé un bon moment.
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