samedi 26 octobre 2013

DOCTEUR SLEEP de STEPHEN KING (2013) – par Claude Toon


- B'jour M'sieur Claude… Z'avez marre de nous parler de musique classique, un article littéraire en dehors de la période estivale, ça ne vous ressemble pas ? Une reconversion ?
- Comme chantait Bécaud, tout juste le désir de "changer d'air mes valises", une période comme cela, un concours de circonstances…
- Elle me fait un peu peur la couverture, on dirait un enfant qui fume des boyards papier maïs !!!!!
- Ah, Ah, non ! C'est ce que Stephen King a appelé la "vapeur"… dans son roman qui est la suite de Shining, 36 ans après l'édition originale et le tournage du film de Kubrick…

Wendy, Dan et Jack Torrance dans Shining de Kubrick
En toute franchise, je n'ai jamais lu Shining écrit en 1977. Par contre j'avais vu en 1980 l'adaptation qu'en avait faite Stanley Kubrick. Stephen King aimait le style terrifiant du film, mais trouvait l'esprit de son roman un peu trahi dans ses intentions, notamment à propos de l'alcoolisme, élément désintégrateur du couple Torrance plutôt que le maléfice régnant dans l'hôtel hanté. Autre différence, dans le livre Dan, le jeune garçon aux pouvoirs paranormaux (le Don), Wendy, sa mère, et le cuisinier Dick Hallorann survivent tous, tandis que Jack Torrance ne se transforme pas en statue de glace en poursuivant Dan dans le labyrinthe de feuillages, non, il explose façon puzzle avec la chaudière. Dick Hallorann, le cuisinier noir, ne meurt donc pas avec la hache des pompiers plantée dans la poitrine.
Ce nouveau roman reprend l'histoire à l'adolescence de Dan. Dick Hallorann qui a, bien entendu, le Don (une aptitude hétéroclite à la voyance, la télépathie, la télékinésie), apprend à l'enfant a contrôler au mieux ce qui est plutôt une malédiction, le bouleversement au quotidien de l'inconscient.
Dans la première partie de ce nouvel opus, Dan va plonger dans un enfer social, glander de petits boulots en petits boulots, et surtout de bar en bar ! Comme seuls compagnons, l'alcool et la came. Jusqu'à ressentir de l'abjection envers lui-même en se réveillant un matin à coté de l'inconnue d'un soir, dans des draps crasseux, et face à un mouflet de 18 mois dont la couche est un cloaque depuis des lustres, et qui lèche les reliefs des rails de coke sur la table basse. Écœuré, il s'enfuit, trouve un job grâce à Billy, un ouvrier sexagénaire qui va se prendre d'amitié pour lui, et surtout, avec la complicité du patron, le faire fréquenter assidument les AA. Désintoxiqué et sobre, il devient aide soignant dans une clinique qui accueille les mourants. Guidé par ses intuitions parapsychiques, Dan accompagne dans la sérénité les patients à la dernière extrémité, d'où le sobriquet de Docteur Sleep… Une dizaine d'années va s'écouler...

Après ce préambule pour établir un lien entre les deux livres à 37 ans d'intervalle, voici le temps des présentations des protagonistes de ce long roman solide (mais moins lourd que les 1000 pages de 23/11/1963 commenté par Luc il y a quelques semaines). Commençons par les pittoresques et monstrueux Vrais :
Rose O'Hara est le gourou, le guide suprême d'un groupe de Vrais, à savoir une cinquantaine de vampires parapsychologiques qui rode dans leurs mobil-home sur les routes des USA à la recherche de leurs victimes, la base de leur nourriture et source de survie. Drôle de manière de survivre et de se nourrir pour les Vrais ! En temps de disette, ils grignotent la terreur ultime des victimes de catastrophes comme celle du 11 septembre ou vont écumer les capitales de la mort violente comme Juarez à la frontière avec le Mexique. Leurs origines semblent se perdre dans les siècles. La performance du Don est très variée entre les personnages. Rose, c'est une pointure !
Mais se repaitre de morceaux de choix consiste à ingurgiter des bonnes doses du Don expulsées lors du dernier soupir d'un enfant, innocent kidnappé puis torturé à mort de préférence1 : celles de gamins gorgés de ce pouvoir occulte. Dan enfant aurait pu être au menu. Le petit Bradley Trevor, 9 ans, amateur de Baseball sera un plat de choix en début de bouquin vers 2011 et, dernière proie repérée en 2013 : Abbra, une jolie ado de 13 ans qui semble une gamine discrète mais a fait stresser Dave et Lucy, ses parents, dans sa tendre enfance : brouiller les chaînes de télé, coller l'argenterie au plafond, etc. J'avoue que si l'un de mes gamins  s'était comporté comme cela, j'aurais flippé. Le bon Docteur John Dalton, pédiatre, va les aider et ferra équipe avec Dan quand la gamine sera élue friandise de l'année 2013, à consommer de toute urgence par les Vrais en état de manque ! Mais dans ces années plus sages, Abbra à fait connaissance par télépathie et télékinésie avec Dan qui, pour faire simple et ne pas raconter le livre, sera son allié dans le rocambolesque cauchemar qui se prépare : Rose vs Abbra.
[1] Stephen King, contrairement à trop de romanciers actuels, nous épargne les détails sordides et malsains, il le précise juste, merci à lui.

Ah, important, dans l'imagination de Stephen King, quand une victime involontaire ou désignée passe l'arme à gauche, on ne sait pas s'il perd 21 grammes comme dans le film d'Alejandro Iñárritu, mais libère la Vapeur, un ultime souffle ectoplasmique qui s'envole comme une bouffée de fumée…
La Vapeur a-t-elle un nom ? L'âme, l'énergie vitale ou psychique ? Stephen King ne répond pas à cette question ésotérique, il s'en fout. Stephen King ne rationnalise jamais ses concepts fantastiques par des ersatz pseudo-scientifiques. Il ne suit pas la piste en ce domaine d'un Crighton, d'un Rollins ou encore Steve Berry. L'intrigue et le mystère priment sur toute logique. Ses personnages sont, hormis leurs pouvoirs "spéciaux", des gens comme vous, moi, vos voisins de palier voire le clochard du coin. Ils sont parfois pathétiques.
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Au début du bouquin, Dan est devenu un ivrogne et une loque à la dérive avant de trouver sa voie. King dépeint la horde des Vrais comme des abrutis calculateurs, qui se déifient, mais collectionnent les gaffes. Une smala un peu désorganisée mais maitrisant les dernières technologies des non-Vrais lambda qu'elle surnomme les "pecnos". Un monde un tantinet inversé. L'humour noir est omniprésent dans la description des mobil-home "winnebago" tape-à-l'œil mais cradingues, de l'arrogance des Vrais qui fait basculer leurs plans pourris en désastres, et de leur faculté peu glorieuse de claquer de manière assez horrible d'une maladie infantile banale, alors qu'ils se prétendre immortels. Rose, nymphomane, autocrate et facilement hystérique, est aux antipodes de la grande classe d'un Christopher Lee à la coiffure impeccable, drapé et hautain dans sa cape noire et vermillon du Dracula des films de la Hammer
Oui, mort horrible. Petit détail "sympa"… Quand les Vrais agonisent à cause d'une balle dans le buffet, ou d'un mauvais rhume, ils "cyclent" ; comprendre : ils oscillent entre l'état de corps charnel et celui d'ectoplasme pendant un temps plus ou moins long et super douloureux avec, comme issue fatale : juste des petits tas de fringues peu ragoûtants.
Principe juridique : pas de cadavre, pas de meurtre… Et puis soyons clairs, ces braves Vrais ne doivent pas être trop connus "de nos services" comme disent les flics et encore moins fichés au grand banditisme. C'est à cause de cette annihilation post mortem pure et simple que pour Dan, régler ses comptes en mode "inspecteur Harry" devient bougrement pratique avec le temps, l'urgence et la rage. Et puis pour ces prédateurs du Don, si tuer un gus, et pire un môme, est à l'évidence un crime fédéral, sucer le Don parapsychique de la victime n'est pas un délit figurant dans le code pénal US. Conclusion, un bouquin qui s'oriente en seconde partie vers une chasse terrible, avec pas mal de non-cadavres dans le bilan, sans un seul flic à l'horizon…

J'avais un peu mis de coté Stephen King depuis le début des années 90. Je ne retrouvais plus la richesse inventive de tommyknockers ou de Ça. La Tour sombre et Cie, que je n'ai jamais fini me semblait plus pénible à décortiquer qu'une bible en serbo-croate. Petit essai en 2003 avec Dreamcatchers un peu confus er répétitif, avec un abus de la "pétomanie", si je puis utiliser cette formule… Et, redécouverte avec le volumineux mais passionnant 23/11/1963. Dans Docteur Sleep, livre ensorcelant, à l'ironie caustique, plutôt palpitant et bien traduit, je retrouve mes plaisirs secrets d'il y a vingt ans…  Comme dans Ça, la solidarité entre Dan, Abbra, Dalton, Dave et Billy est le moteur du combat contre l'indicible… Et puis Stephen King a écrit un roman fantastique, pas un pavé aux effets horrifiques faciles, et cela, c'est devenu un peu rare…

4 commentaires:

  1. Est-ce un idée ou je te trouve très à l'aise dans le genre littéraire ? Trés beau papier sur un maître du genre. Elodie n'a qu'a bien ce tenir !! :D

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  2. Pour ma part, j'ai bien aimé la série de "La Tour Sombre". Peut-être parce que je l'ai lu progressivement - premier bouquin début 90 -, en attendant chaque sortie successive (et ce fut long). La traduction du dernier tome (enfin, j'espère que c'est le dernier) ne sort que novembre prochain.
    Certes, c'est inégal, on sent que King fait parfois du sur-place avec quelques longueurs (surtout sur le 7ème tome, "La Tour Sombre", un peu loupé), mais dans l'ensemble j'ai bien aimé. A mon sens, c'est ce qu'il a écrit de mieux.
    La Tour Sombre est un pavé qu'il a débuté alors qu'il était étudiant. En fait, le premier tome est le fruit d'un roman inachevé qu'il avait donc commencé étudiant, en y rajoutant quelques notes lorsqu'il n'était pas encore romancier professionnel. Dans cette série, il s'amuse à mélanger les genres, avec des hommages au cinéma fantastique, aux westerns, l'Heroic-Fantasy, à la musique rock (toujours), au Maine (souvent) en passant par ses propres traumatisme (son accident et son alcoolisme).

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  3. Pour "La Tour Sombre", il ne s'agit que d'une réaction vieille de 20 ans environ et tout à fait personnelle … Peut-être qu'il faudrait que j'exhume les deux premiers tomes et reprennent la chose avec plus de lucidité…

    Ah, ne pas oublier le duo Jessie et Misery… Tout compte fait, je me demande si SK à écrit un mauvais livre, tant il jongle avec talent les styles narratifs les plus divers….

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    1. De mauvais livres... je ne sais pas.
      Toutefois, j'ai le souvenir d'avoir lu des histoires qui m'avaient ennuyées, qui me donnaient la sensation d'avoir été bâclées (comme pour les derniers chapitres de la "Tour Sombre" - le 7ème tome -), de manquer de développement, et parfois d'être un peu n'importe quoi. Il y a même un bouquin que je n'ai jamais fini. Cependant, je pense qu'il s'agissait de nouvelles, d'histoires courtes.
      Stephen King a tellement écrit que, pendant un temps, on a émit l'hypothèse que tout n'était pas de lui.
      N'oublions pas qu'il a également publié sous le pseudonyme de Richard Bachman (ce qui, au passage, lui a permit de récupérer un lectorat qui l'avait vite catalogué comme écrivain d'histoires d'horreur faciles)

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