vendredi 21 juin 2013

TOMMY de Ken Russell (1975) par LucB.


- Allo Luc, tu passes quoi vendredi ? 
- Un bouquin de 1000 pages avec des nazis partout (véridique !). 
- (silence consterné de mon interlocuteur) T'aurais pas autre chose, plus léger, on sera le 21 juin... fête de la musique...
- Ah bah si, un film, pas très gai non plus, mais y'a de la musique, et des rockers !


TOMMY résulte de la rencontre de deux hommes, Pete Townshend, guitariste et compositeur du groupe THE WHO, et Robert Stigwood, producteur de cinéma. D’abord agent artistique (d’Eric Clapton notamment) il devient producteur de spectacles avec JESUS CHRIST SUPERSTAR, qu’il adapte au cinéma en 1973. Fort de ce succès, il repère le concept-album TOMMY, opéra-rock de Pete Townshend, et propose une adaptation pour l’écran. C’est à lui que l’on doit aussi SATURDAY NIGHT FEVER (il avait senti que le Disco avait un bon potentiel…) et GREASE. Sans doute quelques peu grisé (grisé par Grease ?!!!), il se lance ensuite dans une adaptation cinéma de SERGENT PEPPER des Beatles, dont les chansons seront interprétées par les Bee Gees et Peter Frampton (!!), une production énorme qui fait un flop retentissant et signe la fin de sa carrière ou presque. Deux autres grands films musicaux sont sortis ces années-là, THE ROCKY HORROR PICTURE SHOW et PHANTOM OF PARADISE, mais aussi des échecs cuisants comme THE WIZ, une resucée du Magicien d’Oz avec Michael Jackson et Diana Ross. Il faudra attendre THE WALL d’Alan Parker en 1982, pour que le rock et le cinéma fassent de nouveau bon ménage. 

Robert Stigwood confie l’adaptation et la réalisation de TOMMY à Ken Russell (1927-2011, en photo avec le disque des WHO). Russell vient de la télé, et a connu un grand succès avec deux de ses premiers films, LES DIABLES (avec déjà Oliver Reed, son acteur fétiche) et MUSIC LOVERS, drames gothiques blasphématoires qui ont provoqué leurs petites polémiques. Ken Russell mêle déjà cinéma et musique, puisque MUSIC LOVERS a pour héros le compositeur Tchaïkovski, qu’il avait tourné MALHER l’année précédente, qu’il confiera ensuite à Roger Daltrey (le chanteur des WHO) le rôle de Frantz Liszt. Et c’est à lui qu’on doit LES JOURS ET LES NUITS DE CHINA BLUE, en 1984 avec Kathleen Turner, thriller érotico-sanglant, oui je sais le titre fait soft-pornif pour M6, mais le film est très bien !

Le scénario du film, co écrit avec Pete Townshend, reprend la trame du disque, mais les auteurs ont apporté quelques changements (on passe de l’après Première Guerre Mondiale, à l’après Seconde) et ont complété des passages un peu obscurs, bref, ont mieux ficelé le bébé ! L’histoire est assez édifiante, jugez-en : Nora Walker a un jeune fils, Tommy. Son mari, un aviateur, est à l’hôpital après un crash. Elle se remarie avec Franck Hobbs. Sauf que le mari rentre chez lui. Franck le tue mari, sous les yeux du petit Tommy. Traumatisé, et parce qu’on lui répète qu’il n’a rien vu, entendu, et ne racontera rien, le gamin devient aveugle, sourd et muet ! Nora et Franck auront de cesse de le guérir, d'exorciser ce mal. Tommy ne verra son salut qu'à sa dextérité au flipper…

Il est certain que dit comme ça, sur le papier, on craint le pire. Et à l’écran aussi ! Je ne vous cacherai pas que pas mal de gens considèrent ce film comme une bouse, une daube, un machin boursoufflé sans intérêt. On reviendra sur le scénario, fourre-tout politico-psychanalico-mystique, mais il est indéniable que le film possède une force visuelle, une inventivité et une recherche graphique, certes datée, mais fascinante. C’est un film bourré de références, les scènes du camp de vacances pouvant renvoyer au MAGICIEN D’OZ ou à CHARLIE ET LA CHOCOLATERIE ! C’est un film au casting incroyable, Oliver Reed (poivrot de première, sa rencontre avec Keith Moon devait valoir son pesant de whisky...) et Ann-Margret (elle débute avec Franck Capra en 1961, séduit Elvis avec ses chansons country mais pas que... tourne avec Chabrol, Risi, Attenborough...). Les comédiens chantent eux mêmes. La bande originale ayant été réenregistrée, on ne s’est pas contenté de passer le disque original en playback, comme dans THE WALL). Autres vedettes invitées, outre THE WHO : Elton John, Jack Nicholson, Tina Turner, Arthur Brown et Eric Clapton

Ce dernier apparait dans une des premières scènes délirantes, grand prêtre d’une église célébrant le culte de Marilyn Monroe (pour "God" c'est logique !!) ! Townshend et John Entwistle (bassiste des WHO) étant de la partie. Tommy devait s’y faire exorciser, mais ça n’a pas marché ! On essaie alors les filtres magiques d’une gitane, autre séquence grandiose, avec une Tina Turner déchainée, comme en transe sur « Acid Queen ». Le final rappellera des images de LA NUIT DU CHASSEUR, autre référence liée au traumatisme enfantin, dont est baigné le film. On y croisera aussi un homme-robot, résurgence assumée de METROPOLIS de Fritz Lang. Et pendant qu’on y est, gros clin d’œil à ORANGE MECANIQUE dans la séquence avec Nicholson, avec cet appareillage fixé au visage de Tommy, lui-même ligoté. Au chapitre des références, on ne peut passer à côté de LE VOYEUR (Michael Powell, 1960) toujours sur l’enfance martyre, du Jean Luc Godard en veux-tu, en voilà, ALPHAVILLE (Oliver Reed en borsalino comme Eddy Constantine en Lemmy Caution), utilisation de filtres colorés, ou ONE + ONE, avec ces scènes dans la casse et discours pompeux, le cimetière des flipper. Autre esprit qui souffle sur ce film, celui des MONTY PYTHON, pour les apparitions de Keith Moon, batteur fou et le clown de service. Bref, Ken Russell, esthète, parvient à faire une sorte de synthèse de genres, entre film d’art et essai, expérimentation visuelle et sensorielle, référence aux films pour enfants. 

Parmi les images marquantes de TOMMY, on trouve Nora Walker dans une mare de haricots rouges, (haricots dont on verra une fausse pub très Monty Pythonienne) entre catch féminin dans la boue et transe érotique, comme lorsqu’elle chevauche un traversin phallique de fort belle dimension ! Et puis bien sûr, la grande finale du championnat de flipper, sur la chanson « Pinball Wizard » mettant en scène un Elton John monté sur échasses Doc Martens (la godasse-panoplie des Mods) pointure 72 ! Dans le film, c’est Elton John qui chante, version enregistrée avec ses propres musiciens, alors qu’à l’image on voit le groupe THE WHO en accompagnateurs, John Entwistle arborant une superbe basse Flying V. Belle idée que ces flippers actionnés par un clavier de piano, sur un montage speedé, représentation d’un bon trip à la ganja ! Une séquence qui, une fois extraite du contexte, annonce le vidéo-clip à venir. 

Ce qui est assez cocasse par contre, c’est de découvrir Roger Daltrey, qui joue Tommy adulte, les cheveux raides, mouillés, lorsqu’il sort de ses innombrables bains (mais qui sèchent d’un plan à l’autre, heureusement !!). Le pauvre Roger, célèbre pour ses bouclettes blondes, à l’instar de Robert Plant, nous apparait donc dans le plus simple appareil, comme au sortir de la douche. Pas très glamour ! Vous imaginez Dick Rivers sans sa banane ? Moi non plus... Innombrables bains, donc (de jouvence) puisque le film croule sous les références christiques, de baptême, de purification. Aaahh Roger Daltrey la virilité drapée de blanc, tout un symbole, ou les bras en croix en contre-jour d’un soleil couchant, ou prêchant la bonne parole juché sur des œufs Kinder géants et peints en argent (si si, regardez bien !), comme Jésus sur sa Montagne. On a même droit à la guérison miraculeuse d’un infirme, et en guise de passage du Saint Esprit, un vol de delta-plane (qui fait autant marrer que l'apparition du vaisseau alien dans LA VIE DE BRIAN !!). Pour la transformation de l'eau en pinard, ça c'est Keith Moon qui gère...

Le scénario ne nous épargne aucun salmigondis mystique, élevant Tommy au statut d’idole, idole païenne autant que religieuse. Et puis ce film est évidement un portrait assez terrifiant d’une enfance ratée, maltraitée, volée. On ne peut éviter de parler de l’enfance de Pete Townshend, placée chez une grand-mère dérangée, victime de sévices, de brimades, muré dans un mutisme maladif, qui a trouvé une échappatoire dans le Rock’Roll, mais dont la vie a été marquée par des addictions diverses pendant près de 20 ans. Nul doute qu’on retrouve beaucoup de Pete dans Tommy. Bien que l'interprétation de Roger Daltrey ne permette pas de donner vraiment corps à cette souffrance (Daltrey n'est pas franchement Brando...) la litanie "See Me, Feel Me, Touch Me, Heal Me" résonne comme un cri douloureux, notamment à la mort de la mère. Au moins Roger Daltrey comprenait ce qu'il faisait, ayant chanté l'intrigue sur toutes les scènes du monde, alors que les autres comédiens n'y pigeaient que dalle, délaissés par un Ken Russell obnubilé par sa création visuelle, et laissant ses acteurs en roue-libre. Ce qui distingue le film des autres comédies musicales rock, est justement son côté introspectif, personnel, intime. Sous son montage coloré, TOMMY est un film sombre, cathartique, feu d’artifice de douleurs refoulées, exprimées dans une débauche d’images baroques, violentes, sur des envolées musicales paroxysmiques. On est loin du CHANTEUR DE MEXICO de Francis Lopez, adapté au cinéma par Richard Pottier ! 

Le film fut un grand succès, avec 30 millions de bénef pour un budget de 5. Une des raisons de ce succès, vient que le disque TOMMY, sorti 6 ans plus tôt, avait lui aussi été un succès, les titres étaient connus, joués en concert. L’idée de Stigwood et Townshend de réenregistrer les chansons, écrire de nouveaux arrangements, est aussi une clé du succès, puisqu’il permettait d’écouler quelques millions de disques supplémentaires ! Ce qui a été un argument déterminant pour vendre l'idée de cette adaptation aux vieux croutons de la Paramout qui ignoraient jusqu'à l’apparition du Rock'n'Roll : on sort le film + le nouveau disque et à nous le paquet de tunes ! Ainsi fut-il !

40 ans plus tard, quid de TOMMY ? On supporte, ou pas. Le film a évidemment vieilli. A moins qu'il ne fût déjà vieux à sa naissance. Certaines séquences peuvent prêter à rire, un visionnage au 36ème degré ou sous l'influence de substance illicites (mais douces) est vivement conseillé. Mais quand on fait abstraction de cela, TOMMY m'apparaît aussi comme une œuvre novatrice, profondément sombre, personnelle, un foisonnement visuel et musical, et une production audacieuse.


TOMMY de Ken Russell (1975)
Couleurs  -  1h50  -  format 1:66






La bande annonce :

Et le "Acid Queen" parce que c'est quand même un sommet !!

4 commentaires:

  1. Déjà que j'ai du mal avec le disque des Who ...
    Alors le film, même pour rire, ça m'a jamais tenté ...

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  2. Et pourtant, il y a des expériences dans la vie qui valent d'être tentée !!

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  3. Je suis du même avis que la tournante GangBang...
    J'ai jamais eu la trique en écoutant cet album et j'ai jamais été sur une béquille au visionnage de ce long film.

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  4. Pour ma part c'est un classique. Certes sans être un chef d'oeuvre, mais un classique tout de même.
    Et le sujet est toujours d'actualité.

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