samedi 15 septembre 2012

Giuseppe SINOPOLI visite la ROME de RESPIGHI, les Fontaines, les Pins… avec Claude Toon


Giuseppe Sinopoli (1946-2001)

- Chère Sonia, si je vous dis Puccini, Verdi, la réponse sera immédiate : Bel Canto, Opéra, Aïda, Turandot. Bref l'âge d'or de l'art lyrique italien !
- Oui bien entendu Monsieur Toon, ou la Tosca et même le Requiem de Verdi…
- Parfait ! Et si je dis Ottorino Respighi ?
- Ben heuuu, nez-gorge-oreilles dirait monsieur Luc, hi hi hi… Non, vous connaissant, surement pas, plutôt un compositeur injustement méconnu …
- Bingo Sonia, je vous propose un voyage et des fêtes sous le soleil de l'Italie et de Rome en particulier…


Respighi et l'ego des chefs d'orchestre


Sonia a raison. Les compositeurs véristes, les commandeurs italiens de l'opéra et du Bel Canto, règnent sans partage sur la musique de l'Italie de la fin du XIXème au début du XXème siècle : de Verdi à Puccini en passant par le super fasciste et médiocre Mascagni. Pour les musiciens plus enclins à l'art instrumental ou symphonique, la place et donc la reconnaissance sont quasi impossibles. Et c'est bien dommage pour Respighi ou Casella, deux poètes du son qui ont peut-être su pénétrer au plus près l'âme de l'Italie, son soleil, ses couleurs, sa grandeur antique, sans avoir recours à la voix du grand Caruso et encore moins à des livrets d'inspiration plus européenne (Shakespeare, Dumas…).
Cependant, c'est incontestablement avec le triptyque romain que Respighi connaît une certaine notoriété : Les Pins et Fontaines de Rome et les fêtes romaines. Ces fresques symphoniques à l'orchestration habile et luxuriante fascinent les chefs d'orchestre qui y voient des occasions de montrer leur maîtrise des grands effectifs orchestraux. C'est une musique d'accès facile, voire spectaculaire, mais aussi d'une grande profondeur. Donc, attention aux matamores de la baguette qui peuvent dénaturer la beauté de cette musique. Et maintenant : bienvenue à Respighi dans le Deblocnot'.

Ottorino Respighi



Ottorino Respighi est né à Bologne en 1879. Il débute ses études musicales avec son père, un professeur de piano de la ville. Il se perfectionne en violon, alto et composition au Liceo Musicale de Bologne. En 1899 : Idée de génie. Il part pour Saint-Pétersbourg étudier la composition et surtout l'orchestration auprès d'un maître incontesté en la matière, Rimski-Korsakov, l'auteur de Shéhérazade (clic) ! Un enseignement rigoureux qu'il saura moderniser en s'inspirant de la puissance tellurique des orchestrations de Richard Strauss et de l'impressionnisme de Debussy.

Respighi est l'un de ces compositeurs qui devra faire face à l'absolutisme du vérisme et de l'opéra.
Son œuvre est le reflet de son intérêt pour le lumineux patrimoine instrumental de l'Italie. Admirateur de Monteverdi, en passant par l'intimisme ensoleillé de l'époque baroque, Respighi va léguer un testament moderne enchanteur. Y alternent des poèmes symphoniques somptueux comme le triptyque de Rome (CD1) et des œuvres plus "chambristes" inspirées de l'époque de Vivaldi (Suite sur des airs anciens) ou de la peinture italienne de la Renaissance (Triptyque de Botticelli) (CD2). Il composera également des opéras d'un intérêt hélas moindre que ceux de Verdi ou Puccini. "Une faute" pour briguer une grande notoriété dans l'Italie du début du XXème siècle !
Respighi voyage beaucoup, y compris en Amérique latine, comme nombre de ses contemporains. Il écrira une très jolie suite "Impressions brésiliennes". Respighi est un compositeur sans doute moins avant-gardiste que Stravinsky, Bartok ou Schoenberg, mais sa musique est si chaleureuse qu'elle mérite une place qu'elle n'a pas encore.



L'attitude pendant le fascisme est discutée. Respighi n'a pas pris ses distances avec Mussolini comme Toscanini (qui avait envoyé ch… le dictateur à la Scala), mais n'a pas non plus fait preuve d'un zèle militant auprès de ce régime. Il composait, dirigeait et enseignait. Comme beaucoup d'artistes, il attendait des jours meilleurs. Respighi est mort en 1936 à Rome à 57 ans et n'a donc pas connu la folie meurtrière de la collaboration avec le nazisme.

Giuseppe Sinopoli

Giuseppe Sinopoli faisait partie de ces artistes que les critiques français éreintent… par principe. Son tort : explorer les partitions pour en percer les secrets et moderniser les concepts interprétatifs. Innover n'est jamais du goût des critiques.
Le jeune Giuseppe est né à Venise en 1946. Il choisit deux voies estudiantines. En médecine, il obtient un diplôme en psychiatrie et anthropologie criminelle ?! Pour la musique, il l'étudie la composition auprès de Ligeti, Stockhausen et Maderna. Il suit les traces de Claudio Abbado à Vienne auprès de Hans Swarowsky pour la direction d'orchestre,
Jusqu'en 1980, il compose des musiques avant-gardistes très influencées par le sérialisme. Une des œuvres marquantes est un opéra Lou Salomé évoquant la vie de la petite amie de Friedrich Nietzsche. Rien d'étonnant qu'avec un tel livret Sinopoli ait été un excellent interprète de Richard Strauss.
Il se tourne vers la Direction d'Orchestre intensément à partir de 1980 et va être nommé très jeune aux postes les plus enviés : Orchestre de l'Académie nationale de Sainte-Cécile à Rome, Orchestre Philharmonia et enfin la Staatskapelle de Dresde. La discographie est à l'avenant et sans facilité : Bruckner, Mahler, et Richard Strauss. Ses visions des opéras de ce dernier sont encensées par la critique, même en France, où il ne dirige pourtant plus après les cabales montées par le "tout paris" musical. Il interprète sans concession, revisitant l'essence des ouvrages, les imprégnant de sensualité latine. C'est parfois déroutant, souvent admirable.

Giuseppe Sinopoli dirige Aïda le 20 avril 2001 à Berlin. Au milieu du 3ème acte, il s'écroule victime d'une crise cardiaque fatale, il a 55 ans. L'Italie lui offrira des obsèques nationales… La firme Dgg a réédité ses enregistrements, et très à propos ce CD Respighi.
Cette réédition Respighi dans la collection DUO de Dgg a un double intérêt à mon sens, pour aller à la découverte du bolognais, ou encore pour compléter une discographie. Premièrement, elle rassemble les trois suites symphoniques les plus connues dans une fort belle lecture, puis propose des suites pour petit ensemble qui ne sont aucunement des œuvres mineures.

CD1 : les Fontaines, les pins et les fêtes à Rome…


Le triptyque romain défie les limites techniques de la musique enregistrée. Entre brise instrumentale et déchainements symphoniques, les artistes et preneurs de son n'ont pas droit à l'erreur : magnifier la subtilité et les déferlements, permettre de tout entendre sans provoquer l'éclatement des   enceintes.
Lors de sa parution en 1993, le Triptyque des Pins, Fontaines et fêtes romaines par Giuseppe Sinopoli avait obtenu un diapason d'or de la revue Diapason. Pourtant, on ne pouvait pas suspecter cette revue d'être un aficionado du chef italien dont les enregistrements manquaient de régularité dans la réussite... Le maestro italien a déjà pris en main la destinée de l'Orchestre de la Staatskapelle de Dresde. Il choisit néanmoins le ductile Philarmonique de New York pour cet enregistrement.
Pour ce chef qui a si bien servi Bruckner, Mahler et Strauss, répertoire où la concurrence est redoutable, ce disque Respighi est passionnant.
Sinopoli tourne le dos aux fulgurances de Reiner ou Dorati. Dans ces 3 poèmes symphoniques à l'écriture simple en apparence, l'orchestration luxuriante manque parfois de lisibilité à l'écoute "domestique", au risque de me répéter. Sinopoli interprète en orfèvre, se joue des détails les plus subtiles, aidé en cela par le New York Philarmonique toujours souple et aéré comme nombre d'orchestres américains. En magicien, le chef équilibre tous les pupitres. Il est même possible sur un bon matériel de percevoir comme jamais les bassons et percussions cristallines, parents pauvres de la musique enregistrée. Sinopoli restitue une fraîcheur à ces partitions parfois exécutées (au sens propre) pour faire briller et tonner un peu vainement les grands orchestres.
La poésie de Respighi mérite cette transparence et cette élégance, notamment dans les fontaines de Rome qui ouvre le programme. Qualités que l'on retrouve dans la transition entre "La fontaine du triton au matin" et " "La fontaine de Trevi à midi". Exigeant une grande finesse de ses cuivres, du célesta et des autres percussions, le chef obtient une force descriptive intense de ces jeux d'eaux, des millier de gouttes illuminant les diverses heures du jour. Á ce sujet "La fontaine de la vallée Giulia" se réveille dans une douceur matinale illustrée par un dialogue délicat entre la clarinette, le hautbois, les tintements du triangle, quelques notes de harpe, le tout baigné dans une brume colorée des cordes. Quelle poésie !

Dans les Pins de Rome, on pourrait discerner des sonorités wagnériennes (sans la lourdeur germanique). La progression de "Les pins de la voie Appienne" ne culmine pas dans une apocalypse triomphante, mais bénéficie d'une puissance processionnaire et contrôlée mettant parfaitement en relief l'architecture de la pièce. Respighi peint dans cette marche inexorable le triomphe des légions romaines victorieuses marchant vers le Colisée. Et pour ceux qui doutent encore du sens de l'innovation, Respighi utilise dès 1924, une "bande magnétique" simulant les chants d'oiseaux à la fin "des pins du janicule", l'une des collines de Rome.
Enfin, dans les fêtes romaines écrites plus tardivement en 1930, la joie est totalement au rendez-vous. Les pièces de facture plus moderne rappellent par instant la vitalité et l'extravagance d'un Stravinsky ou la désarticulation ironique et fantasque de la Valse de Ravel. Et dans cette débauche (au sens noble), Respighi se montre humoristique. Dans l'Épiphanie, le compositeur nous rappelle la venue des mages en incorporant des motifs orientalisants au milieu d'une musique qui évoque la fébrilité foraine du Petrouchka de Stravinsky. Cette dernière et quatrième fête fait penser à une bacchanale orgiaque qui sera une source d'inspiration pour les compositeurs de musique de Péplums (mais pas toujours aussi construites…).
La sensualité italienne du chef et la musicalité acquise en côtoyant Mahler, Strauss et Bruckner servent comme rarement au disque cette musique. J'irai jusqu'à penser que sa vision est moins démonstrative et rugueuse que celle de Fritz Reiner. Oui, j'ose !

CD 2 : Les oiseaux de Botticelli jouent du luth…!


Comme expliqué dans sa Bio, Respighi embrassait par passion toute la musique Italienne. Il n'est donc pas étonnant qu'il ait imaginé écrire des suites de type baroque avec des ensembles instrumentaux réduits.

Cette seconde facette de l'art de Respighi, passionné de musique baroque et amateur de musique descriptive, trouve sa place dans le second disque. Une belle place car toutes les pièces sont interprétées par l'Orpheus Chamber Orchestra, phalange composé de solistes de premier rang et de professeurs de la côte est américaine (clic).
Les trois transcriptions libres des "danses et airs anciens pour luth" (datant du XVIème siècle, écrites par divers compositeurs plus ou moins oubliés) connaissent leurs références avec Dorati. Ici ne sont présentes que les suites 1 et 3. Comme toujours, cet ensemble joue avec cohérence et légèreté. Il y a comme une grâce de fête princière, les instrumentistes jouent la carte de la franchise du trait, du clair-obscur d'une chaude nuit lors d'un ballet féérique. On songera à l'écoute de ces pages dansantes aux concerti grosso du XVIIème et XVIIIème siècle.
Dans la suite "Les oiseaux", lesdits volatiles sont joyeux, le chant des bois aérien (forcément). La colombe, La Poule (d'après Jean-Philippe Rameau – une poule qui ne nous quitte plus (clic)), le Rossignol et le Coucou nous replongent dans l'inspiration champêtre et joyeuse des compositeurs de la fin de l'époque baroque.
Ces remarques s'appliquent pour le triptyque de Botticelli qui se veut la traduction musicale d'impressions face à trois chefs-d'œuvre du peintre : Le printemps (ci-contre), l'adoration des mages et la naissance de Venus.
La complémentarité apporté par ce second disque au triptyque romain devient lui aussi un incontournable dans la découverte de l'éventail des inspirations du maître de Bologne.

Discographie alternative


Elle est heureusement assez riche !
En premier lieu, une surprise, le triptyque interprété en live en 1980 à Moscou par Evgueny Svetlanov. Le chef russe oppose la poésie à la luxuriance orchestrale, une interprétation musclée. Jamais les fêtes romaines n'ont connu une telle frénésie qui montre à quel point cette musique appartient au monde moderne. La prise de son "dans l'orchestre" nous permet d'explorer ces partitions dans les menus détails. Pour les amateurs du triptyque seul, un enregistrement incontournable (4/6) !
Fritz Reiner n'a enregistré que les Pins et les fontaines de Rome. La précision et la vigueur du chef font merveille à Chicago à l'aube de la stéréophonie RCA (5/6).
Enfin pour l'intégrale des trois suites sur des airs anciens pour Luth, Antal Dorati (encore lui diront certains) a signé en 1958 avec le Philarmonia Hungarica à Vienne la version de référence. Dorati est lui aussi servi par cette stéréo au scalpel du label Mercury (5/6).
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 Vidéos



Les Pins de Rome dirigé par le Symphonique de Chicago et Fritz Reiner.
Puis, Les Fontaines de Rome, Les pins de Rome et les fêtes romaines dans une l'interprétation de Giuseppe Sinopoli suivi des suites du CD2...

Pour faire plaisir à Pat Slade qui aime cet immense artiste, je vous propose la suite sur des airs anciens n°3 pour cordes interprétée joliment par l'orchestre symphonique de Boston et Seiji Ozawa. 
 



Si vous avez aimé cette chronique : lisez ou relisez celle consacrée à la violoniste Julia Fischer dans Poème automnal de Respighi.



5 commentaires:

  1. pat slade15/9/12 11:30

    J'étais a deux doigts de te parler de la version de Osawa qu'il a enregistré deux fois , avec le Chicago et le Boston bien sur ! Merci pour la dédicace .

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  2. A un moment de l'année où l'automne s'approche, merci d'inviter le soleil d'Italie en nos salons !
    En terme de ductilité, je ne connais pas mieux que l'interprétation du Triptyque romain par Neville Marriner / ASMF (Philips). La palette de couleurs respighienne y est volatilisée en parfums...

    Une petite remarque à ce que vous écrivez au sujet des "Fontaines de Rome" : la nomenclature instrumentale ne prévoit aucun vibraphone parmi les percussions, mais seulement triangle, cymbales, glockenspiel, célesta, cloche, 2 harpes, et piano.

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  3. Merci Melomaniac. Pour l'orchestration, je vais corriger mon Texte.

    Je ne connaissais pas la version Marriner. Dans la discographie, on trouve facilement un programme assez analogue à celui commenté ce jour, mais le triptyque romain est dirigé par Riccardo Mutti ou Lamberto Gardelli suivant le programme. (Les suites sur des airs anciens, ou les oiseaux et la suite de Botticelli sont dirigé par Neville Marriner.)

    Le CD du triptyque chez Philips n'est plus au catalogue, mais j'ai déniché un exemplaire aux US…

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  4. En effet Pat', et à lire ta remarque en regard de celle de Melomaniac, on se rend compte que ces œuvres ont été bien servies aux disques....

    Il existe un nombre important de pages qui restent moins connues (J’écoute sa symphonie dramatique que je ne connaissais pas, un peu grandiloquent mais ça passe bien). Je ne vois pas souvent Respighi dans les programmes de concerts parisiens.

    Un jour viendra.....

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  5. Derechef, votre chronique m'a donné envie ce matin de me replonger dans le séduisant univers respighien. J'espère pouvoir prochainement commenter en détail quelques versions : Ozawa/Boston, Kertesz, Svetlanov, Ormandy.
    En attendant, je me permets d'attirer l'attention sur l'interprétation d'Edo de Waart à San Francisco, qui mérite d'être distinguée au sein d'une discographie en effet aussi riche qu'attrayante.

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