Après nous avoir parlé d'un splendide disque en concert de Sarah Vaughan (cliquez ici pour le revoir) Freddie nous présente cette semaine deux chanteuses de jazz, qui, bien que jouant en seconde division, méritent d'être découvertes...
CLAIRE AUSTIN
Née en 1918 et toujours vivante à ce jour, Claire Austin fait partie de ces chanteuses de jazz dont la voix est singulière à plus d'un titre. Un album comme celui-ci qui reprend deux albums produits par Original Jazz Series mérite une attention particulière. En effet, d'emblée ce qui frappe ici, c'est la voix de Claire Austin. Son influence dans la musique classique ne fait aucun doute (absence de vibrato et de trémolo). Mieux encore, une diction parfaitement maîtrisée, en accord avec les musiciens. Jamais entendu une voix pareille auparavant... Bref, encore aujourd'hui, j'en suis à me demander pourquoi elle est à ce point tombée dans l'oubli... Appartenant à une époque révolue (l'Amérique des années cinquante), elle rappellera par le velouté de sa voix et ce côté diaphane qui lui est propre, une certaine Lady Day (Billie Holiday), mais sans jamais tomber dans la parodie ou le pastiche vulgaire. Bien au contraire. L'on sent beaucoup de sincérité tout au long de ces 67 minutes... Plus d'un demi-siècle après cet enregistrement, le support cédé permet de mesurer toute la fraîcheur de la démarche. Une petite perle, en somme, que l'on aurait tort de bouder.
Alors bien sûr, Claire Austin n'a pas marqué de son empreinte le jazz vocal comme Billie Holiday, Ella Fitzgerald ou encore Sarah Vaughan. Peu importe! Il y a ici quelque chose de l'ordre de l'intime, loin de l'album typiquement commercial. Entourée de musiciens d'exception, Austin offre le meilleur d'elle-même. A ses côtés, l'on trouve en effet l'immense Barney Kessell à la guitare, Shelly Manne, batteur west-coast que l'on ne présente plus, tant les enregistrements aux côtés de Bill Evans, d'Art Pepper et de Joe Gordon le rappellent constamment), Kid Ory au tromhone (ce musicien néo-orléanais, rappelez-vous, enregistra plusieurs émissions radiophoniques aux côtés d'Orson Welles au tournant des années 40...) et enfin le trompettiste Teddy Buckner, trompettiste vouant une admiration certaine pour Louis Armstrong... Les autres musiciens ne sont hélas pas crédités...
Ce disque compile en fait deux sessions (l'une en 1954, l'autre en 1955). La première étant largement supérieure à la seconde. Dès le thème d'ouverture ("When Your Lover Has Gone"), aucun doute sur l'influence de Lady Day. Claire Austin combine de façon remarquable l'influence d'une Billie Holiday et même d'une Nina Simone. Pas mal pour cette blanche issue de la côte ouest (l'Etat de Washington). Elle parvient à mêler musique classique donc (le timbre sans vibrato) et des éléments issus du blues ainsi qu'un jazz foncièrement traditionnel. Pour la deuxième session, elle est entourée du Kid Ory's Creole Jazz Band, et navigue entre balades et morceaux plus péchus ("Come Rain or Come Shine", le superbe thème de Arlen/Mercer) avec un naturel qui laisse pantois. Par la suite, Claire enregistra peu (sa discographie s'arrête en 1966), préférant s'occuper de sa famille (elle était mariée et mère de quelques enfants)... 4 étoiles pour une très bonne galette à découvrir de toute urgence.
HONI GORDON
Son nom ne vous dit peut-être pas grand-chose, et c'est un peu normal. Faut dire que dans le jazz vocal, Honi Gordon fait partie de ces chanteuses "obscures" dont la discographie ne se résume qu'à cette petite galette de 33 minutes... Aussi, l'on regrettera le peu d'informations dans les notes de pochette et sur la toile (l'on ne sait quasiment rien de sa naissance par exemple, ni de sa vie après cet enregistrement...). A en croire quelques articles parus ci et là, son souci n'a jamais été de faire carrière... Elle aimait le jazz, mais point le show-business... Fille du compositeur et chanteur George Gordon (aucun lien de parenté avec le saxophoniste Dexter Gordon, ni avec le trompettiste Joe Gordon), Honi ("Honey") avait pourtant enregistré quelques galettes avec son père et deux de ses frangins... Introuvables en compact. Ensemble, ils avaient capté l'attention de Lionel Hampton, de Mary Lou Williams (qui les adoraient, nous dit-on) et surtout de Charles Mingus. Ce dernier leur proposa même d'enregistrer avec eux (c'était là le début d'une carrière professionnelle, au début des années 50 sur le propre label du grand Charles, Début records)... Puis le groupe se dissolve pour des raisons mal connues...
Début des années 60, Honi Gordon décide d'enregistrer son unique album en leadeur, ce HONI GORDON SINGS capté en studio en mars 1962. Les influences de la chanteuses sont claires : elles vont du côté de Chris Connor, Helen Merrill et Annie Ross plutôt que du côté de Sarah Vaughan, Ella Fitzgerald et Billie Holiday.
Un talent certain pour une diction à la fois claire et voilée, légèrement brumeuse... Mais l'intérêt de cette galette enregistrée pour le compte du label Prestige et édité par la série Original Jazz Classics réside aussi dans le choix des compositions (neuf), dont un thème de Mingus ("Strollin'") que Gordon a arrangé. Le père a même écrit les paroles. Des thèmes rares, puisque pour la plupart, ils sont issus du répertoire de la famille Gordon ("My Kokomo", "Why Try to Change Me Now", "Cupid", "love Affair"). Et même les standards choisis sont plutôt rares, voire méconnus ("I'll Wind" de Arlen, "Walkin'" de Williams, ou encore "Why" et "Lament of the Lonely" respectivement de Moorehead et Edwards). Les thèmes oscillent entre 2 et 4 minutes en moyenne. Enfin, les musiciens qui la soutiennent ne sont quand même pas nés de la dernière pluie. Aux côtés de la chanteuse, l'on retrouve avec beaucoup de plaisir Jaki Byard au piano, George Duvivier à la contrebasse, Ed Shaughnessy à la batterie, plus Ken McIntyre à la flûte et au saxophone alto, et Wally Richardson à la guitare, ce dernier donnant quelques contrechants bien sentis. C'était dit-on le disque préféré des intellectuels de gauche, issus du monde étudiant essentiellement, un de ces disques qui ont marqué toute une génération donc (l'on sent vraiment la fin d'une ère à l'écoute de ce disque)…
"Nostalgia in Time Square" de Mingus :
"Nostalgia in Time Square" de Mingus :
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