jeudi 1 décembre 2011

Les STRAUSS & CARLOS KLEIBER : "Le beau Danube bleu", etc… par Claude Toon

Une musique de "genre" certes, mais avec quel brio sous la baguette de Carlos Kleiber… 
Les fêtes approchent. Oui déjà ! En attendant janvier, je vous propose de m'accompagner dans un monde musical moins "savant" que dans la plupart des chroniques de ces derniers mois. Première étape : à Vienne au temps des Strauss. Et tant pis pour les esprits chagrins à force de sérieux, les intégristes classiquophiles qui vouent aux gémonies les valses et polkas de la famille Strauss.
Aller…… Aller…… On tournoie…… Talala Talala TamTam……… Rockin et Foxy, moins près du corps, on n'est pas dans une guinguette…… Talalala…… Luc la main droite en haut du dos d'Élodie, pas en bas…… TsssTsss…… Attention, on ralentiiii…… et…… on accélère…… la prochaine fois, on loue des grandes robes…… Philou et Wolfi, un peu plus de souplesse que diable……

Vienne, le concert du nouvel an, les valses…

Je suis persuadé que bien des lecteurs du Déblocnot se réveillent tardivement le jour de l'an aux accents de l'incontournable Concert du Nouvel an à Vienne, diffusé dans le poste vers midi. Eh oui, un concert Kitchissime où l'Autriche met les petits plats dans les grands : La Philharmonie de Vienne (considérée comme le meilleur orchestre symphonique de la planète), des chefs expérimentés qui se succèdent, des fleurs partout, bref la classe, le top de la mondanité musicale face à vos yeux mi-clos après une nuit de libations festives. Et pour un chef d'orchestre, si grave soit-il dans des répertoires plus métaphysiques, diriger ce concert est un honneur et un plaisir.
De la musique au rabais ? De la variété symphonique ? Pas sûr, si on considère que des fines baguettes comme Clemens Krauss, Lorin Maazel, Herbert von Karajan, Claudio Abbado, Seiji Ozawa, Carlos Kleiber, et même le très sérieux et théoricien Nikolaus Harnoncourt se sont prêtés à l'exercice (c'est l'orchestre qui choisit son chef). Tous ces maîtres de la direction, au-delà de leur talent immense, ne peuvent guère être suspectés de partager une idéologie musicale stéréotypée vu l'incroyable variété – on pourrait dire opposition - de caractères et de tempéraments des maestros. Eh bien oui, Johann Strauss, comme ses géniaux contemporains Wagner, Bruckner ou Brahms, mérite que l'on s'attarde sur ces valses transcendées par des interprètes inspirés. Mais attention, le style valse ou polka, assez codé, permet une chute imparable dans la mièvrerie ou la vulgarité (souvent les deux). La faute à des musiciens sans imagination qui ne savent pas cheminer dans l'architecture vivifiante de nombre de ces pièces festives, même si l'intérêt de l'une à l'autre n'est pas constant. 
En réfléchissant en duo à la manière d'aborder cet article a priori inattendu de ma part, Maggy, ma directrice artistique, m'a écrit ces quelques lignes : 
Avec des valses de Vienne, une délicate odeur de chocolat chaud pourrait peut-être permettre à l'imagination de voir les épaules rondes, blanches et délicatement parfumées des danseuses. De là, on passera aisément au tournoiement des robes colorées, au froufrou délicat des soieries et aux petits pas empressés des danseuses, au port majestueux et sérieux de leurs cavaliers dont les souliers marquent la cadence... Et les notes de musique se feront palais viennois, parquet ciré, foule bigarrée et joyeuse, bref une ambiance toute propice à l'écriture…
Belle évocation n'est-ce pas ?
Eh bien tout cela, nous allons le retrouver dans les CD issus des concerts donnés par Carlos Kleiber invité en 1989 et 1992. D'abord un peu d'histoire et de mise au point !
Dans la famille Strauss : Le père et les 3 fils 

La valse à Vienne fut une incroyable affaire de famille. Si Johann II (le fils, 1825-1899) reste le plus productif et talentueux, c'est vraiment à Johann Strauss I (le père, 1804-1849) à qui l'on doit cet étonnant népotisme musical sur un genre qu'il avait inventé.
Berlioz lui-même disait du Père de la valse viennoise que "Vienne sans Strauss c'est comme l'Autriche sans le Danube". Il est vrai que notre Hector national avait écrit "un bal" de la Symphonie Fantastique sur un rythme de valse.
Johann Strauss I a 7 ans quand sa mère meurt d'une infection et 12 ans quand son père se noie dans le Danube. Ils étaient taverniers. On destine l'enfant à la reliure mais, il apprend aussi le violon et rejoint un petit orchestre, puis un quatuor au sein duquel il joue déjà des valses viennoises et des danses allemandes populaires.
Johann Strauss I connaît une vie familiale difficile et devient chef d'orchestre puis compositeur de musique de danses pour "arrondir les fins de mois". Ses voyages et ses compositions vont lancer en Europe l'engouement pour les Valses. De ses nombreuses œuvres, c'est la Marche de Radetzky qui demeure la page la plus célèbre et qui clôt chaque année le Concert du Nouvel An.
Johann Strauss II, le fiston a du caractère. Son père le destine à être employé de banque, mais le gamin compose sa première valse à six ans ! Il suit des cours de piano et de violon en cachette encouragé par sa mère. En 1842 il quitte le foyer pour se perfectionne et créer un premier orchestre de 24 musiciens. Devenus rivaux, le père et le fils se réconcilient un an avant la disparition du chef de clan en 1849. Johann fusionne alors les deux orchestres et sillonnent l'Europe pour jouer l'œuvre "familial", de Paris à Berlin, Londres, Saint-Pétersbourg et aux États-Unis, partout le triomphe l'attend. Il abandonne la baguette de chef pour la composition au bénéfice de ses cadets Eduard (1835-1916) et Josef (1827-1870) qui composeront également quelques pièces marquantes.
Johann Strauss témoigne du besoin de musique légère au temps de l'Empire Austro-Hongrois et de l'absolutisme de l'empereur François-Joseph. La qualité apportée à l'orchestration, le travail sur les changements de rythme, de couleurs, de climats pastoraux ou festifs ont passionné les compositeurs les plus avant-gardistes comme le trio de l'école de Vienne. Alban Berg, Arnold Schoenberg ou Anton Webern n'hésiteront pas à transcrire ces valses pour quatuor à cordes. Quant à l'ombrageux et philosophe Richard Wagner, il dira de Johann Strauss " le cerveau le plus musical qui fut jamais " ! Alors, s'il y en a encore qui chipotent ?
Et puis à la radio, sur un disque acheté ici ou là, dans un mariage de province ou dans les bals les plus classieux, n'entend-on pas depuis 150 ans de virevoltants petits bijoux de drôleries et de poésies comme Sang viennois, La Valse de l'empereur, Le Beau Danube bleu, Aimer boire et chanter, Légendes de la forêt viennoise ?
Attention, Richard Strauss, compositeur bavarois n'a aucun lien de parenté avec nos viennois. L'introduction de son poème symphonique Ainsi Parla Zarathoustra sert néanmoins de générique au film 2001 Odyssée de l'espace.
Le beau Danube Bleu et Carlos Kleiber

La similitude des enfances de Carlos Kleiber et de Johann Strauss II est surprenante. Erich Kleiber père (immense chef d'orchestre) destinait son gamin – étiqueté "bon à rien" – à une carrière de chimiste… Le jeune Carlos (ex Karl, la famille avait fui le nazisme en Argentine) en décide autrement et commence sa carrière à 22 ans à Munich. Tout cela est le début d'une longue histoire que je vous raconterai à propos d'une certaine 5ème de Beethoven, symphonie pour laquelle Carlos, 20 ans après son père, signera une (la ?) version définitive au disque, déjà avec la philharmonie de Vienne. Mais revenons aux Valses.
Carlos Kleiber dirige les 1er janvier 1989 et 1992 le concert du nouvel an. L'essentiel de ces deux moments historiques a été compilé sur un double album. Je me suis toujours demandé comment le perfectionniste et irascible maestro, qui dirigeait peu d'œuvre dans un univers restreint (Beethoven, Brahms, Wagner, Weber, Richard Strauss), et qui détestait le disque avait pu accepter ce défi. Tant mieux, car son Strauss (Viennois) culmine par son élégance au sommet de la discographie.

LE BEAU DANUBE BLEU 
L'aube se lève sur Vienne, un cor lointain éveille une nature qui se déploie en douceur grâce à une frisquette phrase au violon puis aux violoncelles. Kleiber enchaîne ces premières notes avec douceur, quel legato ! Les flûtes illuminent de quelques rayons furtifs le miroir du Danube. L'orchestre volontairement allégé accélère pour fêter le lever du jour. Quelques pizzicati précèdent la mélodie principale de valse. Vienne s'anime, espiègle. Jamais le chef ne heurte les motifs entre eux. Le beau développement aux cordes s'élève avec grâce, le fleuve coule en ondoyant sur des trilles des bois. La reprise se fait sensuelle. Que peut-il arrivé à cette ville prospère, centre universel de l'art européen. À mi-parcours, Le chef conduit un orchestre plus dansant, les kiosques de Vienne attirent des danseurs dont les têtes s'enivrent en virevoltant avec leur belle d'un jour ou de leur vie. Les somptueuse et chaudes sonorités de la Philharmonie de Vienne sont au rendez-vous mais sans le pathos plus ou moins présent avec les chefs des décennies précédentes voire suivantes. Carlos Kleiber recrée cette valse pour la métamorphoser en un gracieux et coloré poème symphonique.

LE STYLE KLEIBER À VIENNE 
Pour ces deux concerts à Vienne, le style Kleiber se nourrit de clarté, de souplesse, d'équilibre joyeux et limpide entre tous les instruments. On redécouvre ainsi ce génie de l'orchestration de Johann Strauss qui séduisit l'école de Vienne, la vivacité des thèmes de cette musique de fête. Cela ne plut pas à tout le monde, certains reprochant au chef un manque de sensualité. Tout dépend de la charge sémantique donné à ce mot. KLeiber réfute la sensualité à la hussarde. Il y préfère tendresse et savoir-vivre de mise au château de Schönbrunn. Et puis le chef dessine l'Autriche populaire et colorée. Ainsi on retrouve ce style évocateur et ce souci de peinture musicale dans "Voix du Printemps", frais, lumineux, primesautier.
L'expressivité chez Kleiber se refuse aux effets faciles, aux tempos endiablés, à la germanisation un peu cérébrale du discours orchestral qu'affectionnait avec talent un Karajan.  A la fin de "Sous le tonnerre et les éclairs", emportée par le tourbillon, la salle exulte. Mais comment démonter 1750 fauteuils, les pousser et improviser un bal à la puissance 10 !
Dans la "Marche de Radetzki", il est de coutume que le public tape dans les mains. Kleiber avait menacé de quitter la salle si cela se produisait.  Tu parles ! Contaminé par l'enthousiasme du public, Il continue et avec quelles élégance et bonhomie ! 
Enfin, je me dois de préciser que la prise de son est superlative pour les deux CDs de l'album.


Vidéos
A gauche Carlos Kleiber dans une luxuriante interprétation. 

À droite, une démonstration par l'absurde. Non ! Johann Strauss n'a pas écrit une musique pour "les nuls". Et donc… heuuu, un exemple de ce qu’il faut fuir à toutes jambes… Le coupable ? Un hasard bien sûr !
Mon pote Andre Rieu officie dans le Beau Danube Bleu avec un orchestre spongieux C’est lourd, sans aucun mystère. Rieu assène avec une massue un accord éléphantesque des cuivres et de la timbale en fin d’exposition (Ecoutez donc le chant des violoncelles chez Karajan). On imagine une harmonie municipale (cymbale, grosse caisse) un jour de fête au graillon, une valse pour des bourrés (que les auvergnats me pardonnent ce jeu de mots). Le beau Danube Bleu promu musique militaire caoutchouteuse. Bon j’arrête d’éreinter et même d’écouter. Le Rieu, il réussit même à caser des syncopes avec des ajouts de cymbales ?! Epais, hideux ! Cac… boud… !! Quand je vous dis que c'est l'interprète qui porte la musique.

Puis Karajan avec la Philharmonie de Berlin en 1967 (Est-ce l'enregistrement pour le filmil y a eu un mystère de droit entre Kubrick et le rugueux maestro (le disque venait d'être publié), mais il n'existe aucune gravure plus ancienne avec cette qualité de son et un timing similaire à l'interprétation proposée dans la BO.F. en disque, alors…). Abrupte, plus staccato et un peu moins fluide à "mon goût" que Kleiber, mais quelle introduction… Un très grand cru du maestro autrichien… imaginer la danse des astronefs dans 2001 Odyssée de l'espace…  







2 commentaires:

  1. Les belles histoires de l'oncle Luc à propos de tonton Stanley... A l'origine, pour "2001" Kubrick souhaitait du Mahler. Ayant découvert la version de Karajan/Strauss, il a changé son fusil d'épaule. Option n°1 : Il venait d'acquérir une belle chaine stéréo avec la version du Beau Danube. Option n°2 : en visionnant les rushes, le projectionniste passait en même des disques, et quand les notes du Beau Danube se firent entendre, Kubrick eut l’illumination ! Sur le tournage, le disque tournait en boucle, pour que chacun (maquettistes et comédiens) puissent s'imprégner de la musique. Sauf que Karajan exigeait des droits exorbitants pour l'utilisation de sa version, ce que Kubrick refusa. Il fit semblant de travailler avec la version dirigée par Karl Bohm, le crédita au générique, mais en douce, sur la bande son, il remit la version de Karajan !

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  2. Je ne connaissais pas toute cette affaire et je croyais justement jusqu'à ces derniers temps que c'était une version de Karl Böhm qui était utilisée dans le film.
    Le Zarathoustra de Richard Strauss qui sert d'introduction et de conclusion à 2001 est bien de Karl Böhm, grand interprète de ce compositeur comme Karajan en fait.
    Cette œuvre sera un jour chroniquée sans doute dans les enregistrements survoltés de Fritz Reiner et William Steinberg.

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