Miles Davis est mort il y a 20 ans, le 28 septembre 1991. Il fait partie de ce cercle très fermé des grands génies de la musique. Ce n'est pas qu'un musicien, un compositeur, c'est un créateur, un précurseur, un défricheur, un explorateur ! Il faudrait des semaines entières pour faire le tour du personnage, contentons-nous de quelques repères, qui permettront à certains de briller lors des dîners en ville. Miles Davis, juste après guerre, commence à se faire un nom, et remplace Dizzy Gillespie (qui l'avait repéré) dans le groupe du saxophoniste Charlie Parker. Nous sommes en pleine période Be-Bop, que Miles Davis ne marquera pas de son empreinte. L'homme n'est pas un virtuose de technicité, il préfère le feutré, et le style bouillonnant du Bop ne lui sied guère. Changement de cap, et en 1949, il enregistre l'album BIRTH OF THE COOL, qui donnera naissance au style Cool Jazz, en rupture donc, avec le Bop. On ralentit les tempos, et on mise sur des arrangements plus sophistiqués. Et on s'inspire en écoutant des gens comme Ravel, Debussy, Prokofiev, Stravinsky. Le Sorcier Noir travaille avec l'arrangeur Gil Evans, qu'il retrouvera sur PORGY AND BESS, ou SKETCHES OF SPAIN enregistrés plus tard. Après le Bop, et le Cool, Miles Davis sera parmi les précursseurs du Hard Bop (Horace Silver, Art Blackey, Hank Mobley...) un jazz puissant, éruptif, auquel Davis reviendra dans les années 60. Mais pour le moment, il travaille à sa nouvelle révolution, en rappelant à ses côtés le pianiste Bill Evans : le Jazz Modal, avec MILESTONES (1958, en sextet avec Cannonball Adderley et John Coltrane) et l'album majeur KIND OF BLUE (1959). Le modal s'oppose au tonal, des morceaux composés sur peu d'accord, donc peu de changement de ton, privilégiant les harmonies, une musique moins sanguine, mais propice à de longues improvisations des solistes. Il faut préciser qu'on ne fait pas une révolution seul, et le grand talent de Miles Davis est de dénicher des musiciens qui comprennent sa pensée, de monter des groupes sans jamais écraser les individualités. Et transcender les compositions des autres, car lui même écrira assez peu finalement. Citons John Coltrane, Wayne Shorter, Bill Evans, Herbie Hancock, parmi les plus réputés qui ont croisé le Sorcier.
A la fin de années 60, Miles Davis opère un nouveau virage, vers le jazz électrique, ou jazz-fusion, ou jazz-rock. Épaulé de John McLaughlin (guitare) ou Joe Zawinul (claviers, et futur WEATHER REPORT avec Wayne Shorter et Jaco Pastorius) il pose les bases d'une nouvelle musique, à travers deux albums essentiels : IN A SILENT WAY et BITCHES BREW, composés de morceaux très longs, des transes modales hypnotiques basées sur l'impro. C'est à cette époque que la musique rock prend aussi ce même virage (le prog, le psyché) et on a beaucoup glosé sur une collaboration entre le trompettiste et Jimi Hendrix. Ca ne se fera pas, hélas. Sur la fin des années 70, et début 80's, Miles Davis poursuit ses recherches sur la fusion, une musique plus funky, un précursseur de l'électronique (avec son bassiste Marcus Miller), citons YOU'RE UNDER ARREST en 1985 (et la reprise de "Times after times" de Cindy Lauper), et l'album TUTU en 1986 signe son grand retour (en terme de vente).
Et puis Miles Davis, c'est tout de même un personnage ! La grande classe, élégant, beau, qui fit craquer Juliette Gréco à Paris, qu'il faillit même épouser, sauf que ramener une blanc-bec aux Etats Unis quand on est noir ébène, ça ne se faisait pas... On se souvient de son dos voûté, la trompette bouchée aux lèvres, les lunettes noires, immenses, toujours à mâchonner un chewing-gum. Sur scène, la manière dont il a de diriger ses musiciens laisse pantois, tous le regardent, le surveillent, pour ne manquer aucune indication. Car Miles Davis était intransigeant, avec lui-même, avec les autres, et avec le public. On sait qu'il pouvait lui tourner le dos, ou partir au bout de 20 minutes s'il ne sentait pas une salle ! Il faut souligner aussi son engagement politique, en faveur des droits civiques, ne jamais se considérer comme le clown noir au milieu des petits blancs, piège dans lequel sont tombés certains de ses collègues. Et malheureusement, il fait partie de ses musiciens qui se sont abîmés dans les addictions diverses, héroïne assez tôt, et coke dans les années 80. C'est une des personnalités les plus emblématiques de la musique, du jazz, une balise, un phare, comme Louis Armstrong dans les années 20, comme Charlie Parker dans les années 40, des types dont on dit qu'il y a un avant, et un après.
Bon j'arrête, y'a Freddie qui frétille, qui cogne à la porte, qui trépigne, qui n'en peut plus de vous parler de sa dernière acquisition, un coffret live du fameux "second quintet" de Miles Davis...
Etant donné l'immense impact des différents ensembles de Miles Davis, cela fait presque un peu trop "sérieux" d'évoquer celui de son second grand quintette... Mais quiconque s'intéresse à la Musique et à cette période particulièrement riche en événements sait de quoi il en retourne. Le coffret que voici, édité par Sony Columbia, rappelle l'altitude vertigineuse prise par nos cinq musiciens. Car cette quinte royale composée de Miles, Wayne Shorter (sax), Herbie Hancock (piano), Ron Carter (basse) et Tony Williams (batterie), était en cette année de grâce 1967 (alors que John Coltrane venait de nous quitter brutalement...) le point culminant du "jazz". Malgré les tourmentes politiques (guerre du Vietnam) et le racisme qui continuait à faire des dégâts, Miles et sa troupe dominaient la stratosphère musicale d'une façon insolente...
Le quintet : Miles à droite, derrière Tony Williams aux fûts |
avec Wayne Shorter |
Herbie Hancock |
Ce coffret 4 CD sous forme digipack (3 CD + 1 DVD) est malheureusement de qualité très moyenne (design, fragilité du packaging...). On est loin de la qualité du coffret Plugged Nickel...). Cela dit le livret - une vingtaine de pages - est bien détaillé - photos et notes de pochette d'Ashley Kahn et Michael Cuscuna -, il rappelle les circonstances de la tournée européenne, le fait aussi qu'en cette fin d'année 67', le collectif de Miles délaissait peu à peu le matériel thématique (standards) pour privilégier les compositions du groupe. Pour le dvd, l'on a droit à deux concerts - celui de Karlsruhe (07 novembre 1967) et celui de Stockholm (31 octobre 1967)-. Qualité sonore et visuelle très correcte (noir et blanc).
Miles Davis Quintet, the bootleg series n°1, LIVE IN EUROPE 1967
Le concert de Berlin, mentionné dans cette chronique avait fait l'objet d'un article dans le Déblocnot : Miles Davis, Live in Berlin - 1964
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