A priori Amy Wingate n’a rien, mais alors RIEN, d’une héroïne de roman. La cinquantaine, vieille fille et enseignante en retraite anticipée, elle vit seule dans une maison victorienne d’une petite ville anglaise de bord de mer. Déprimée, solitaire et désabusée elle n’est même pas assez âgée ou acariâtre pour une version britannique de Tatie Danielle. Il manque les jeunes filles et leur projet de mariage pour se croire dans Jane Austen et quelques meurtres mystérieux pour du Agatha Christie. On peut imaginer plus excitant comme point de départ.
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Tout commence lorsque Amy, consciente de sa morosité et de son irritabilité croissante, et suivant les conseils de son médecin, commence à tenir son journal. Cette plongée dans les pensés les plus secrètes d’Amy met à jour un personnage beaucoup moins lisse qu’il n’y paraît. La dame bien sous tous rapports, invitée chaque dimanche chez un jeune couple plus-que-parfait est d’une lucidité incroyable sur le couple et les relations sociales. Elle s’amuse à observer les intrigues amoureuses qui se nouent et se dénouent avec l’arrivée dans le groupe d’un second couple, bien moins épanoui. Avec une cruauté délicieuse, elle ne tient pas toujours la place qu’on attend d’elle et démonte le politiquement correct comme dans ce passage sur les enfants. « Très tôt, j’ai du m’assurer de faire éclater un mythe : non, je n’adorais pas donner son bain au bébé. Il ne fait essentiellement que baver, hurler, ou les deux à la fois. Lorsque j’ai compris qu’on s’apprêtait à me transformer en forçat à l’heure du bain… " mais si, elle est fantastique avec les enfants, ma chère, elle adore ça, la pauvre petite, vraiment…. " j’ai été bien contrainte de prendre certaines dispositions. J’ai fait en sorte de lâcher une fois ou deux le bébé sur la table à langer, après quoi j’ai bien failli le noyer – des peccadilles de cet acabit…. J’ai été rapidement rétrogradée et je suis désormais affectée aux contes. »
Mais Amy ne se contente pas d’observer. Elle est aussi actrice de sa propre vie et d’une façon surprenante lorsqu’elle croise le chemin d’un jeune punk, auquel elle commence par s’attaquer (si si je parle bien d’une agression physique, aussi incroyable que cela paraisse !) avant de s’en rapprocher en nouant avec lui une amitié ambiguë.
Et puis qui dit journal intime dit aussi introspection et retour sur sa vie et son passé. Un passé qui là encore laisse voir d’autres facettes d’Amy, pas si vieille fille qu’on ne le pense au départ, et surtout détentrice de secrets qui font définitivement voler en éclat le portrait de l’insipide quinquagénaire brossé dans les premières pages.
Au fil du roman, le personnage se fait de plus en plus déroutant, mais aussi attachant, sympathique, ironique, drôle, parfois méchant, bref, humain. Avec une grande finesse, Marcia Willet alias Willa Marsh, bouscule nos certitudes et chamboule l’idée que les villes filles de cinquante ans au look sage et bourgeois mènent forcément une vie tranquille et conformiste. Mais peut-être que l’auteure qui a commencé à écrire à 50 ans et a néanmoins publié depuis une vingtaine de romans sait de quoi elle parle…
LE JOURNAL SECRET D’AMY WINGATE (2010), Editions Autrement, 206 pages
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