Symphonie du Nouveau Monde ou… Symphonie Tchèque ? Mythe et
réalité.
Je dédie cet article à Tina Fessy, fidèle lectrice, qui nous a confié avoir écouté cette symphonie en boucle...
Quand le destin d’un futur boucher-aubergiste bascule…
Le petit Antonin voit le jour en
1841 en Bohème
(République Tchèque). Son destin professionnel est a priori tracé. Dès 11
ans, il quitte l’école pour devenir boucher-aubergiste et travailler dans l’entreprise familiale. Papa aime la musique et l’enfant joue déjà du violon et participe
à l’harmonie du village. Son père remarque les dons de son fils (ah, un papa
ouvert !) et l’envoie étudier sérieusement à
Zlonice puis à
Prague. L’adolescent, peu précoce,
compose, mais ne maîtrisera réellement son art que vers 1870. Le 17 novembre 1873 il épouse
Anna Čermáková. Ils auront
neuf enfants, mais trois mourront entre
1875 et
1877. De cette
cruelle tragédie va naître un chef-d’œuvre : le
Stabat Mater. Dvořák encore
méconnu, connait enfin le succès avec cet ou
vrage. Il sera invité en Angleterre et en Russie fréquemment, et deviendra Directeur du Conservatoire de
New York de
1892 à
1895. Son œuvre est
importante et éclectique :
9 symphonies (La dernière étant
celle « du Nouveau Monde » créée en
1893),
14 quatuors et de nombreuses pièces
de musique de chambre, un
Requiem génial du niveau de celui
de Verdi, les célèbres
Danses Slaves et, bien entendu son
Concerto pour violoncelle, référence dans ce répertoire. Il sera un grand ami de
Brahms (1833-1897) qui l'aidera à se
faire éditer même si leurs styles sont différents et complémentaires. il
meurt en 1904.
Naissance de la symphonie du Nouveau Monde à New York
Les e-mails n’existant pas encore, Dvořák reçoit un jour un bref télégramme avec une question précise « Accepteriez-vous position Directeur Conservatoire National de Musique New York octobre 1892 ? …». Il fait ses valises, traverse l’atlantique, s’installe à Manhattan et se met au travail immédiatement.
Un disque légendaire : Karel Ančerl dirige la Philharmonie Tchèque en 1961
La symphonie n°9 dite du Nouveau Monde : quelques lieux communs qui ont
la vie dure !
Enfant, je me rappelle du générique d’une émission de télé en NB : «
Les Médicales » d’Igor Barère. Le thème choisi, célébrissime, était
celui du 4ème mouvement de cette symphonie, un thème qui doit être beethovenien dans l’esprit donc
puissant, également joyeux et slave, saisissant, mais surtout
sans…pathétisme. On ne pouvait plus mal choisir pour débuter une émission,
certes intéressante, où côtoyaient les difformités, tumeurs, lupus et autres
polyarthrites en gros plan. Bien plus tard, j’ai compris comment un thème
musical profondément simple et enthousiaste pouvait être mal utilisé.
Première idée reçue
:
la symphonie du nouveau monde composée et créée aux USA en 1893
s’inspire de chants indiens. NON ! Dvořák a simplement puisé deux idées dans une légende indienne écrite
par un poète pur yankee. J’y reviendrai…
Seconde idée reçue :
sa musique ressemble à celle de Brahms. NON ! Le style de Brahms distille le romantisme, proche de la sensibilité
de son ami Schumann, ancré dans le milieu du 19ème
siècle, des mélodies à la fois rudes et élégiaques, bien allemandes
voire viennoises. Les deux hommes
se connaissaient bien mais Dvořák était un homme du terroir, le chantre
d’une musique d’essence villageoise, vivante et énergique, parfois à la
limite de ce que l’on entendait autrefois dans les kiosques des parcs publics.
Troisième idée reçue
:
L’astronaute Neil Armstrong emmena un enregistrement de la symphonie
sur la Lune. VRAI ! Ce geste montre l’universalité de l’œuvre et, parallèlement,
l’adoption par la culture américaine d’un compositeur pourtant
profondément enraciné dans l’univers de
sa Bohème natale.
Les e-mails n’existant pas encore, Dvořák reçoit un jour un bref télégramme avec une question précise « Accepteriez-vous position Directeur Conservatoire National de Musique New York octobre 1892 ? …». Il fait ses valises, traverse l’atlantique, s’installe à Manhattan et se met au travail immédiatement.
Friand de nouveautés, il se plonge dans la culture musicale
traditionnelle. Fourmillant d’idées et la nostalgie du pays aidant, il
décide d’écrire une œuvre majeure pour marquer son arrivée. Il pense composer un opéra inspiré de la légende indienne
Le chant de Hiawatha, de
l’écrivain Henry Longfellow, lointain descendant des
pilgrims du Mayflower.
Bien qu’attentif aux musiques ethniques, seuls deux passages de la légende
vont nourrir la symphonie en gestation à partir des thèmes prévus pour
l’opéra : les funérailles de
Minehaha et les
noces de Hiawatha et de
Minehaha,
successivement dans le 2ème et le 3ème mouvement. Il n’y a donc pas à proprement
parler de recours à la musique indienne ou au negro-spiritual. La
thématique de la 9ème symphonie prolonge la forme et
l’inspiration slave des 2 Symphonies précédentes (N°7 et N°8 de
1885 et 1889). Dvořák affirmera lui-même «
C'est une absurdité de dire que j'ai utilisé des motifs indiens et
américains ... Je me suis seulement donné la peine d'écrire dans
l'esprit des mélodies populaires américaines
» (Source : Jean-Maurice Delasoie).
La symphonie est créée le 16 décembre 1893. Évidemment, le public
new-yorkais attend une symphonie évoquant la vie dans les champs de cotons
de la Virginie. Max Steiner immortalisera ce style sudiste dans "Autant en Emporte le vent", mais 48 ans plus tard (une BO d'anthologie mais sans aucun rapport
avec le style de Dvořák). Donc, je disais, Le public va écouter, surpris, une musique d’essence
tchèque que l’on peut imaginer dédiée à des amis restés à Prague.
C’est un triomphe total. Quelques critiques crétins (désolé, il y en aura
souvent cités dans mes chroniques) éreintent la partition en affirmant que
la composition a été commencée en Europe (à Hambourg !?) ou qu’il s’agit
d’une compilation de thèmes « en réserves » depuis sa jeunesse, (et si la rubridélire n’était pas une invention récente ?).
La symphonie du Nouveau monde doit sa popularité à ses thèmes slaves
généreux et aisément mémorisables. Elle contient, outre ses influences
tirées du livre de Longfellow, une citation du
Yankee Doodle,
chant patriotique, hymne du Connecticut. Nous sommes, face à une
œuvre, certes pas aussi moderne que celles concoctées par l’américain de
souche Charles Ives (très avant-gardiste), mais visionnaire quant à
une extension de l’inspiration au-delà de l’univers musical purement européen.
Un disque légendaire : Karel Ančerl dirige la Philharmonie Tchèque en 1961
Les enregistrements de notre symphonie se comptent, vous vous en doutez, par centaines, tous les orchestres, tous les chefs.
Jusqu’en 1961, le disque monophonique de 1954 de
Václav Talich (1883-1961) avec le même orchestre tchèque faisait
référence, par son souci de faire remonter son interprétation de la 9ème
symphonie aux sources slaves détaillées avant.
Karel Ančerl (1908-1973) est le directeur de la Philharmonie
Tchèque depuis 1950 et le restera jusqu’en 1968 quand il
sera écarté après l’invasion soviétique. Il confiera à la stéréophonie,
chez Supraphon, un legs discographique fabuleux et bien réédité. Il
excellait dans la musique de son pays : Dvořák, Janáček,
Martinu ou Smetana mais dans beaucoup d’autres domaines de
Brahms à Chostakovitch. Il enregistre la
symphonie du Nouveau Monde en 1961.
C’est un choc.
Mouvement 1
- Une mélodie sereine, jouée aux violoncelles, s’élève doucement,
nocturne. Un accord de cors (0’20), comme lointain introduit une
première thématique concertante aux bois et flûte. La direction d’Ančerl
est claire, nette, incisive mais sans dureté, un chant clair-obscur
d’une poésie toute pastorale. Brutalement, l’allegro aux cordes scandé
par les timbales démarre (0’50) et tous les instruments nous projette
dans un bal énergique caractéristique du compositeur, deux autres thèmes
(1’18 et 3’00) bien distincts vont émerger. Dvořák aimait les
orchestrations contrastées, le heurt entre les motifs, bien aux
antipodes du legato élégiaque de Brahms. Ančerl évite toute vulgarité
dans cette musique, le tempo est soutenu, tranchant. Il est toujours
difficile de transcrire une émotion musicale avec des mots. Tous ces
thèmes vont être développés dans une danse joyeuse et ensoleillée.
Chacun construira ses propres images dans cette osmose entre des rythmes
bien campés et des mélodies radieuses. Une interprétation éclatante qui
se veut concertante et équilibré, aucun groupe instrumental ne s’impose
jalousement. Le discours est tellement contrôlé que le mouvement paraît
court, en fait, c’est la baguette qui est vive.
Mouvement 2
- [9:14] Le célèbre largo débute par une mélopée crépusculaire aux
trombones et aux cordes. Un thème enchanteur au cor anglais apparait
(0’42), nostalgique. Est-ce là l’idée d’un chant de funérailles
indiennes que le compositeur voulait incorporer ? Il est développé par
les violons dans une variation mélancolique. Tant pis pour la platitude
: c’est absolument sublime ! La flûte et le frémissement des cordes
proposent une seconde complainte plus nerveuse et articulée (4’30). Les
motifs s’entrecroisent dans un rêve éveillé. Le hautbois (7’40) qui se
prend pour un oiseau guilleret, nous sort de cette ambiance recueillie
puis, nous entraîne vers un tutti qui introduit une variation
conclusive. La composition est à la fois d’une telle rigueur et d’une
telle beauté que l’on se demande vraiment comment un « débutant » aurait
pu composer une page aussi géniale.
Mouvement 3
- [20:52] Le scherzo est vigoureux, frénétique, en notes piquées pour
accentuer la cadence, les timbales tentent d’interrompre la danse des
cordes et bois ponctuée voire bousculée par les cuivres. Dans le trio
central (3’05), souvenir d’une fête villageoise bohémienne, les
clarinettes s’amusent (4’02 - je n’ai jamais entendu ailleurs un vibrato
aussi cocasse avec ces instruments). Ančerl se voulait magicien de la
fête ce jour-là. Une coda termine le mouvement en rappelant le motif
initial de la symphonie.
Mouvement 4
- [28:46] Parler du thème puissant, noble et universel qui éclate dans
l’allegro final est une gageure. Tout le monde a entendu quelque part
ces accords martiaux aux cordes repris par les cuivres. Ecoutez la
vidéo, c’est préférable à toute explication alambiquée et réductrice
qui viendrait de ma plume. Tout le mouvement va se déployer sur des
rappels des thèmes précédents entrelacés dans le matériau propre au
mouvement. La clarinette entonne un dernier thème (2’00). Le
développement est jubilatoire mais jamais sa richesse ne pose la
moindre difficulté à un auditeur même peu mélomane. C’est cela le
miracle Dvořák transcendé par la direction d’Ančerl. La musique évolue
vers une marche héroïque. Une brève et noble accalmie confie aux cors
le prélude d’une coda flamboyante et glorieuse (8’20).
Discographie alternative
L’enregistrement de Karel Ančerl est facilement disponible. Ayant évoqué la filiation de cette symphonie
N°9 avec les N°7 et N°8, deux doubles albums, qui réunissent les trois,
méritent également une mention.
Le chef allemand Christoph von Dohnányi (né en 1929) a dirigé pendant 18
ans le magnifique orchestre de Cleveland. En 1986, cet
artiste peu médiatique, précis et amoureux des détails et de la clarté, ne
pouvait que réussir le rajeunissement de la discographie de ces symphonies
de Dvořák. Pari réussi, un ensemble remarquable et une symphonie du
Nouveau Monde qui talonne par sa vivacité la vision d’Ančerl
(Decca).
Enfin un autre grand chef Tchèque,
Rafael Kubelik (1914-1996), a enregistré une
intégrale des 9 symphonies dans les années 1960-70 à la
Philharmonie de Berlin. Elle est disponible. On peut largement se
satisfaire de l’album des 7, 8 et 9 (Dgg). C’est sans doute avec
les couleurs soyeuses des cordes de cet orchestre que l’on pourra entendre
des sonorités brahmsiennes. C’est retenu, chambriste, d’un intimisme quasi
féminin. Ma femme adore à juste titre cette douceur.
Pour les 2 albums
Vidéo : la symphonie du Nouveau Monde par l’Orchestre Philarmonique
Tchèque dirigé par Karel Ančerl (Allegro con fuoco)
Magnifique article ! Bravo, quelle érudition et quel plaisir de te lire.
RépondreSupprimerUne question aux Gainsbourgophiles, le Vieux Serge n'aurait pas un peu pompé ce cher Tony dans "Initiales B.B." ?
Merci BBP
RépondreSupprimerJe confirme pour Gainsbourg et "initials B;B;", le 3ème thème du premier mouvement est utilisé. Il ne faut pas avoir trop l'ouïe fine :o)
Donc :
A 2'01" dans cette vidéo Karajan
http://www.dailymotion.com/video/x7yxyu_dvoak-symphonie-n9-nouveau-monde-pa_music
A 0'31" dans cette vidéo avec Gainsbourg et Lætitia Casta à p...
http://www.youtube.com/watch?v=sZ3yJuCY-Lg
... Toride !
Bonjour M. Claude, des recherches pour approfondir ma discographie de Dvorak m'ont conduit sur cette page bien après sa rédaction.
RépondreSupprimerAussi, je me permets de proposer à votre discographie de la 9ème:
- Dorati avec le Concertgebouw d'Amsterdam en 1958.
- Paray avec l'Orchestre de Detroit en 1960.
Ces deux lectures partagent un refus du pathos mièvre et une mise en place qui privilégie la lisibilité. Dorati par ses origines est probablement plus idiomatiques, je trouve par ailleurs sa gestion du rythme et des phrasés assez percutantes tout en étant très nuancé. J'aime tout particulièrement sa façon de conclure le 4ème mouvement en accélérant.
Bonjour Sylvain,
SupprimerMerci pour cette lecture de l'un des mes premiers articles dans ce blog... 5 ans déjà !!!
Depuis cette époque, je propose des discographies alternatives plus étoffées en privilégiant les disques disponibles au catalogue.
La version Dorati (LP initialement paru sous label philips) a été réédité et on trouve quelques exemplaires CD d'occasion.
Je ne connaissais pas le disque de Paul Paray pour Mercury. Surement un grand cru là aussi. Toujours disponible avec la 2ème de Sibelius, couplage insolite ? peut-être pas. Je viens d'écouter quelques mesures, des tempos énergiques...
Tout à fait d'accord avec la description du style Dorati souvent cité dans mes articles (voir le Sacre du printemps).
A bientôt pour d'autres suggestions...