dimanche 29 mai 2011

DVOŘÁK : SYMPHONIE « DU NOUVEAU MONDE » par Claude Toon

Symphonie du Nouveau Monde ou… Symphonie Tchèque ? Mythe et réalité.

 
Je dédie cet article à Tina Fessy, fidèle lectrice, qui nous a confié avoir écouté cette symphonie en boucle...
Quand le destin d’un futur boucher-aubergiste bascule…

Le petit Antonin voit le jour en 1841 en Bohème (République Tchèque). Son destin professionnel est a priori tracé. Dès 11 ans, il quitte l’école pour devenir boucher-aubergiste et travailler dans l’entreprise familiale. Papa aime la musique et l’enfant joue déjà du violon et participe à l’harmonie du village. Son père remarque les dons de son fils (ah, un papa ouvert !) et l’envoie étudier sérieusement à Zlonice puis à Prague. L’adolescent, peu précoce, compose, mais ne maîtrisera réellement son art que vers 1870. Le 17 novembre 1873 il épouse Anna Čermáková. Ils auront neuf enfants, mais trois mourront entre 1875 et 1877. De cette cruelle tragédie va naître un chef-d’œuvre : le Stabat Mater. Dvořák encore méconnu, connait enfin le succès avec cet ou vrage. Il sera invité en Angleterre et en Russie fréquemment, et deviendra Directeur du Conservatoire de New York de 1892 à 1895. Son œuvre est importante et éclectique : 9 symphonies (La dernière étant celle « du Nouveau Monde » créée en 1893), 14 quatuors et de nombreuses pièces de musique de chambre, un Requiem génial du niveau de celui de Verdi, les célèbres Danses Slaves et, bien entendu son Concerto pour violoncelle, référence dans ce répertoire. Il sera un grand ami de Brahms (1833-1897) qui l'aidera à se faire éditer même si leurs styles sont différents et complémentaires. il meurt en 1904.



La symphonie n°9 dite du Nouveau Monde : quelques lieux communs qui ont la vie dure !
Enfant, je me rappelle du générique d’une émission de télé en NB : « Les Médicales » d’Igor Barère. Le thème choisi, célébrissime, était celui du 4ème mouvement de cette symphonie, un thème qui doit être beethovenien dans l’esprit donc puissant, également joyeux et slave, saisissant, mais surtout sans…pathétisme. On ne pouvait plus mal choisir pour débuter une émission, certes intéressante, où côtoyaient les difformités, tumeurs, lupus et autres polyarthrites en gros plan. Bien plus tard, j’ai compris comment un thème musical profondément simple et enthousiaste pouvait être mal utilisé.
Première idée reçue : la symphonie du nouveau monde composée et créée aux USA en 1893 s’inspire de chants indiens. NON ! Dvořák a simplement puisé deux idées dans une légende indienne écrite par un poète pur yankee. J’y reviendrai…
Seconde idée reçue : sa musique ressemble à celle de Brahms. NON ! Le style de Brahms distille le romantisme, proche de la sensibilité de son ami Schumann, ancré dans le milieu du 19ème siècle, des mélodies à la fois rudes et élégiaques, bien allemandes voire viennoises. Les deux hommes se connaissaient bien mais Dvořák était un homme du terroir, le chantre d’une musique d’essence villageoise, vivante et énergique, parfois à la limite de ce que l’on entendait autrefois dans les kiosques des parcs publics.
Troisième idée reçue : L’astronaute Neil Armstrong emmena un enregistrement de la symphonie sur la Lune. VRAI ! Ce geste montre l’universalité de l’œuvre et, parallèlement, l’adoption par la culture américaine d’un compositeur pourtant profondément enraciné dans l’univers de sa Bohème natale.






Naissance de la symphonie du Nouveau Monde à New York

Les e-mails n’existant pas encore, Dvořák reçoit un jour un bref télégramme avec une question précise « Accepteriez-vous position Directeur Conservatoire National de Musique New York octobre 1892 ? …». Il fait ses valises, traverse l’atlantique, s’installe à Manhattan et se met au travail immédiatement.
Friand de nouveautés, il se plonge dans la culture musicale traditionnelle. Fourmillant d’idées et la nostalgie du pays aidant, il décide d’écrire une œuvre majeure pour marquer son arrivée. Il pense composer un opéra inspiré de la légende indienne Le chant de Hiawatha, de l’écrivain Henry Longfellow, lointain descendant des pilgrims du Mayflower. Bien qu’attentif aux musiques ethniques, seuls deux passages de la légende vont nourrir la symphonie en gestation à partir des thèmes prévus pour l’opéra : les funérailles de Minehaha et les noces de Hiawatha et de Minehaha, successivement dans le 2ème et le 3ème mouvement. Il n’y a donc pas à proprement parler de recours à la musique indienne ou au negro-spiritual. La thématique de la 9ème symphonie prolonge la forme et l’inspiration slave des 2 Symphonies précédentes (N°7 et N°8 de 1885 et 1889). Dvořák affirmera lui-même « C'est une absurdité de dire que j'ai utilisé des motifs indiens et américains ... Je me suis seulement donné la peine d'écrire dans l'esprit des mélodies populaires américaines » (Source : Jean-Maurice Delasoie).
La symphonie est créée le 16 décembre 1893. Évidemment, le public new-yorkais attend une symphonie évoquant la vie dans les champs de cotons de la Virginie. Max Steiner immortalisera ce style sudiste dans "Autant en Emporte le vent", mais 48 ans plus tard (une BO d'anthologie mais sans aucun rapport avec le style de Dvořák). Donc, je disais, Le public va écouter, surpris, une musique d’essence tchèque que l’on peut imaginer dédiée à des amis restés à Prague. C’est un triomphe total. Quelques critiques crétins (désolé, il y en aura souvent cités dans mes chroniques) éreintent la partition en affirmant que la composition a été commencée en Europe (à Hambourg !?) ou qu’il s’agit d’une compilation de thèmes « en réserves » depuis sa jeunesse, (et si la rubridélire n’était pas une invention récente ?).
La symphonie du Nouveau monde doit sa popularité à ses thèmes slaves généreux et aisément mémorisables. Elle contient, outre ses influences tirées du livre de Longfellow, une citation du Yankee Doodle, chant patriotique, hymne du Connecticut. Nous sommes, face à une œuvre, certes pas aussi moderne que celles concoctées par l’américain de souche Charles Ives (très avant-gardiste), mais visionnaire quant à une extension de l’inspiration au-delà de l’univers musical purement européen.


Un disque légendaire : Karel Ančerl dirige la Philharmonie Tchèque en 1961

Les enregistrements de notre symphonie se comptent, vous vous en doutez, par centaines, tous les orchestres, tous les chefs.
Jusqu’en 1961, le disque monophonique de 1954 de Václav Talich (1883-1961) avec le même orchestre tchèque faisait référence, par son souci de faire remonter son interprétation de la 9ème symphonie aux sources slaves détaillées avant.
Karel Ančerl (1908-1973) est le directeur de la Philharmonie Tchèque depuis 1950 et le restera jusqu’en 1968 quand il sera écarté après l’invasion soviétique. Il confiera à la stéréophonie, chez Supraphon, un legs discographique fabuleux et bien réédité. Il excellait dans la musique de son pays : Dvořák, Janáček, Martinu ou Smetana mais dans beaucoup d’autres domaines de Brahms à Chostakovitch. Il enregistre la symphonie du Nouveau Monde en 1961. C’est un choc.
Mouvement 1 - Une mélodie sereine, jouée aux violoncelles, s’élève doucement, nocturne. Un accord de cors (0’20), comme lointain introduit une première thématique concertante aux bois et flûte. La direction d’Ančerl est claire, nette, incisive mais sans dureté, un chant clair-obscur d’une poésie toute pastorale. Brutalement, l’allegro aux cordes scandé par les timbales démarre (0’50) et tous les instruments nous projette dans un bal énergique caractéristique du compositeur, deux autres thèmes (1’18 et 3’00) bien distincts vont émerger. Dvořák aimait les orchestrations contrastées, le heurt entre les motifs, bien aux antipodes du legato élégiaque de Brahms. Ančerl évite toute vulgarité dans cette musique, le tempo est soutenu, tranchant. Il est toujours difficile de transcrire une émotion musicale avec des mots. Tous ces thèmes vont être développés dans une danse joyeuse et ensoleillée. Chacun construira ses propres images dans cette osmose entre des rythmes bien campés et des mélodies radieuses. Une interprétation éclatante qui se veut concertante et équilibré, aucun groupe instrumental ne s’impose jalousement. Le discours est tellement contrôlé que le mouvement paraît court, en fait, c’est la baguette qui est vive.
Mouvement 2 - [9:14] Le célèbre largo débute par une mélopée crépusculaire aux trombones et aux cordes. Un thème enchanteur au cor anglais apparait (0’42), nostalgique. Est-ce là l’idée d’un chant de funérailles indiennes que le compositeur voulait incorporer ? Il est développé par les violons dans une variation mélancolique. Tant pis pour la platitude : c’est absolument sublime ! La flûte et le frémissement des cordes proposent une seconde complainte plus nerveuse et articulée (4’30). Les motifs s’entrecroisent dans un rêve éveillé. Le hautbois (7’40) qui se prend pour un oiseau guilleret, nous sort de cette ambiance recueillie puis, nous entraîne vers un tutti qui introduit une variation conclusive. La composition est à la fois d’une telle rigueur et d’une telle beauté que l’on se demande vraiment comment un « débutant » aurait pu composer une page aussi géniale.
Mouvement 3 - [20:52] Le scherzo est vigoureux, frénétique, en notes piquées pour accentuer la cadence, les timbales tentent d’interrompre la danse des cordes et bois ponctuée voire bousculée par les cuivres. Dans le trio central (3’05), souvenir d’une fête villageoise bohémienne, les clarinettes s’amusent (4’02 - je n’ai jamais entendu ailleurs un vibrato aussi cocasse avec ces instruments). Ančerl se voulait magicien de la fête ce jour-là. Une coda termine le mouvement en rappelant le motif initial de la symphonie.
Mouvement 4 - [28:46] Parler du thème puissant, noble et universel qui éclate dans l’allegro final est une gageure. Tout le monde a entendu quelque part ces accords martiaux aux cordes repris par les cuivres. Ecoutez la vidéo, c’est préférable à toute explication alambiquée et réductrice qui viendrait de ma plume. Tout le mouvement va se déployer sur des rappels des thèmes précédents entrelacés dans le matériau propre au mouvement. La clarinette entonne un dernier thème (2’00). Le développement est jubilatoire mais jamais sa richesse ne pose la moindre difficulté à un auditeur même peu mélomane. C’est cela le miracle Dvořák transcendé par la direction d’Ančerl. La musique évolue vers une marche héroïque. Une brève et noble accalmie confie aux cors le prélude d’une coda flamboyante et glorieuse (8’20).







Discographie alternative
L’enregistrement de Karel Ančerl est facilement disponible. Ayant évoqué la filiation de cette symphonie N°9 avec les N°7 et N°8, deux doubles albums, qui réunissent les trois, méritent également une mention.
Le chef allemand Christoph von Dohnányi (né en 1929) a dirigé pendant 18 ans le magnifique orchestre de Cleveland. En 1986, cet artiste peu médiatique, précis et amoureux des détails et de la clarté, ne pouvait que réussir le rajeunissement de la discographie de ces symphonies de Dvořák. Pari réussi, un ensemble remarquable et une symphonie du Nouveau Monde qui talonne par sa vivacité la vision d’Ančerl (Decca).
Enfin un autre grand chef Tchèque, Rafael Kubelik (1914-1996), a enregistré une intégrale des 9 symphonies dans les années 1960-70 à la Philharmonie de Berlin. Elle est disponible. On peut largement se satisfaire de l’album des 7, 8 et 9 (Dgg). C’est sans doute avec les couleurs soyeuses des cordes de cet orchestre que l’on pourra entendre des sonorités brahmsiennes. C’est retenu, chambriste, d’un intimisme quasi féminin. Ma femme adore à juste titre cette douceur.





        Pour les 2 albums

Vidéo : la symphonie du Nouveau Monde par l’Orchestre Philarmonique Tchèque dirigé par Karel Ančerl (Allegro con fuoco)






4 commentaires:

  1. Magnifique article ! Bravo, quelle érudition et quel plaisir de te lire.
    Une question aux Gainsbourgophiles, le Vieux Serge n'aurait pas un peu pompé ce cher Tony dans "Initiales B.B." ?

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  2. Merci BBP
    Je confirme pour Gainsbourg et "initials B;B;", le 3ème thème du premier mouvement est utilisé. Il ne faut pas avoir trop l'ouïe fine :o)
    Donc :
    A 2'01" dans cette vidéo Karajan
    http://www.dailymotion.com/video/x7yxyu_dvoak-symphonie-n9-nouveau-monde-pa_music
    A 0'31" dans cette vidéo avec Gainsbourg et Lætitia Casta à p...
    http://www.youtube.com/watch?v=sZ3yJuCY-Lg
    ... Toride !

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  3. Bonjour M. Claude, des recherches pour approfondir ma discographie de Dvorak m'ont conduit sur cette page bien après sa rédaction.
    Aussi, je me permets de proposer à votre discographie de la 9ème:
    - Dorati avec le Concertgebouw d'Amsterdam en 1958.
    - Paray avec l'Orchestre de Detroit en 1960.

    Ces deux lectures partagent un refus du pathos mièvre et une mise en place qui privilégie la lisibilité. Dorati par ses origines est probablement plus idiomatiques, je trouve par ailleurs sa gestion du rythme et des phrasés assez percutantes tout en étant très nuancé. J'aime tout particulièrement sa façon de conclure le 4ème mouvement en accélérant.

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    1. Bonjour Sylvain,

      Merci pour cette lecture de l'un des mes premiers articles dans ce blog... 5 ans déjà !!!

      Depuis cette époque, je propose des discographies alternatives plus étoffées en privilégiant les disques disponibles au catalogue.
      La version Dorati (LP initialement paru sous label philips) a été réédité et on trouve quelques exemplaires CD d'occasion.
      Je ne connaissais pas le disque de Paul Paray pour Mercury. Surement un grand cru là aussi. Toujours disponible avec la 2ème de Sibelius, couplage insolite ? peut-être pas. Je viens d'écouter quelques mesures, des tempos énergiques...

      Tout à fait d'accord avec la description du style Dorati souvent cité dans mes articles (voir le Sacre du printemps).

      A bientôt pour d'autres suggestions...

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