dimanche 23 janvier 2011

ANGLES "Epileptical West" (2010) par Freddiejazz




Dans la stratosphère du jazz et des musiques improvisées, il existe un blog exceptionnel tenu et alimenté par un type exceptionnel. Si vous ne connaissez pas "freejazz-stef.blogspot.com", allez jeter un oeil (il rédige toutes ses chroniques en anglais) et vous comprendrez ce que je veux dire. Ce gars doit chroniquer plus de cent disques par an. Ses pages sont une mine d'or inouïe, dépassant All Music et peut-être même All About Jazz. Il y a quelques mois, ce mélomane averti et généreux avait attiré mon attention sur un collectif suédois que je ne connaissais ni d'Eve ni d'Adam : le collectif ANGLES. Parue cette année sur le label le plus prolifique de ces huit dernières années, à savoir le label Clean Feed, la galette dépasse allègrement toutes mes espérances. Comme il le dit lui même dans sa page consacrée à cet enregistrement exceptionnel, le jeu y est à la fois exubérant et d'une force émotionnelle intense, d'une profondeur peu commune.


Martin Küchen
Il s'agit en outre d'un "live" (un concert donné au festival de Coimbra l'année dernière), un de ces concerts, en tout cas de mon point de vue, appelés à devenir "historiques", au même titre qu'un Miles Davis au Plugged Nickel, Coltrane au Village Vanguard, qu'un Sun Ra lors de sa fameuse tournée des universités américaines, qu'un Thelonious Monk, ou un Eric Dolphy au Five Spot Café, ou plus près de nous, qu'un Steven Lantner au festival de Munster, et ce, pour plusieurs raisons, comme on le verra plus tard... Pour faire vite, disons que les deux premières raisons pourraient être la prise de risque assumée de ces six musiciens exceptionnels, et enfin une prise de son inouïe (on ne le dira jamais assez, mais le travail de l'ingénieur du son est tout aussi important que la performance du groupe). Cette galette est d'autant plus enthousiasmante, renversante, réjouissante que mine de rien, le jazz que l'on sait maintenant universel, n'a pas besoin d'appartenir à un territoire, à un club. Un concert pour qu'il soit réussi, pour que la sauce prenne, n'a pas besoin d'être nécessairement capté au Village Vanguard de New-York... New-York n'est plus la capitale du jazz, qu'on se le dise ! La capitale du jazz, elle est partout, que ce soit à Stockholm, Oslo, Paris, Tokyo, Chicago ou San Diego, c'est ici et maintenant, quand "ça joue"...

Kjell Nordeson
Le collectif est bien entendu constitué de musiciens que je ne connaissais pas, à savoir le saxophoniste Martin Küchen, le vibraphoniste Mattias Ståhl, le trompettiste Magnus Broo, le tromboniste Mats Älekint, le batteur Kjell Nordeson et enfin le contrebassiste Johan Bertling. Dans les notes de pochette, on y lit le sentiment de révolte qui anime ce groupe. Et cette révolte contre toute forme d'injustices (écouter l'hallucinant "En Svensk Brownie"), cette colère contre la folie du monde d'aujourd'hui se fait vraiment ressentir, elle est à proprement parler révolutionnaire. C'est une musique déchirante, jubilatoire, dont les formes s'inscrivent essentiellement dans le meilleur de l'improvisation libre, malgré un effort d'écriture et de compositions exceptionnelles (la rythmique et la thématique sont très identifiables). L'on songe forcément aux collectifs de Bill Dixon, et de Rob Mazurek avec son Exploding Star Orchestra (écouter l'exposition de "Every woman is a Tree"). La polyrythmie du batteur est transcendante, le sax de Martin Kuechen prend à lui seul une colère mystique et là, croyez moi, c'est digne des meilleures prestations de John Coltrane (période Sun Ship jusqu'à Ascension). Interactions à un niveau inégalé, personnellement, je n'ai jamais entendu aujourd'hui, un groupe jouer avec autant de tripes, avec autant d'ardeur et de fureur.


Johan Bertling
Le public jubile, et y a de quoi. A la fois funky, free, modal, contemporain, et carrément indépendant dans leur démarche, ce collectif est pour moi la meilleure expression du jazz vivant aujourd'hui. Oui, aujourd'hui. Pas en 1950, ni en 1970, ou en 1995. Non, aujourd'hui, en 2010, en 2011 et bientôt en 2012. Nous y sommes. Voilà pourquoi cette musique nous parle, nous interpelle dans son urgence et sa passion. Les paroxysmes de cette musique resteront pour longtemps inoubliables. Alors coup d'esbroufe? tire-au-flanc ? Un coup d'épée dans l'eau? Pas sûr, puisque ce collectif n'en est pas à son premier coup d'essai... Aussi, les ruptures de tempo, les ruptures harmoniques vous surprendront, vous permettront en outre d'apprécier par vous-mêmes, ce que veut dire "jubilatoire". Sans aucun doute, l'un de mes coups de coeur jazz et musiques improvisées de 2010. Il sera le vôtre aussi.








1. Present Absentees/Pygmi 12:30
2. Today is Better Than Tomorrow 9:58
3. Epileptical West 12:22
4. En Svensk Brownie 9:46
5. Every Woman is a Tree 9:38
6. Let's Tear the Threads of Trust 10:51

2 commentaires:

  1. Angles, c'est le titre du prochain Strokes qui sort le 22 mars...
    Aucun rapport, mais bon...je frétille...

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  2. Ok, Pete, je frétille avec toi, alors.. ;-)
    FreddyFreeJazz

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