vendredi 1 octobre 2010

OSCAR PETERSON TRIO -The sound of the trio (1961), par Luc B.





L’autre jeudi, je croise Philou à la cantine, devant son frigo. Oui, au DEBLOCNOT’ nous avons une cantine (merci le CE) et chacun y a son frigo. Rockin’ ne souhaitant pas que ses yaourts-maison s’imprègnent de l’odeur caprine de mes Sainte-Maure, a décidé de faire frigo à part. Nous avions aussi un souci avec Bruno, qui utilisait toute la place de notre Whirpool pour y entreposer son ampli Marshall en surchauffe après ses trois heures de pratique quotidienne de riffs intensifs. Foxy et Elodie qui en avaient marre qu’on pille leurs Taille-Fine et leurs branches de céleri (lorsque nous n’avions plus que des croutes de pizza) ont cadenassé le leur. Quant à Philou, il nous avait fait tout un flan parce qu’on avait malmené le rangement de ses bières, classées par couleur d’étiquettes, degré d’alcoolémie, malt de froment, d’orge ou de seigle… Donc, l'autre jeudi, attaquant au décapsuleur deux Kriek Mort Subite, et m’en plantant une dans la main, Philou me demande : tu n’aurais un truc frais en stock, j’écoute le Steve Stevens en boucle depuis une semaine… Bah, que je lui dis, ça tombe bien, voilà de quoi je vais causer vendredi…



Oscar Peterson. Tout le monde aime. Même ceux qui n'aiment pas le jazz. Et pour découvrir ce monsieur, rien de tel qu’un de ces plus grands enregistrements live. Nous sommes à Chicago, au club London House, que Peterson fréquente assidument. Le London House est un restaurant, avant d’être un club de musique. Les musiciens qui y jouent savent qu’ils devront faire avec les bavardages intempestifs. Le pianiste Don Shirley avait même sorti un sifflet de policier de sa poche, pour réclamer le calme en plein chorus, et Georges Shearing était carrément descendu de scène pour apostropher des causeurs. Le directeur, George Marienthal prévient pourtant ses hôtes : ici la musique est secondaire, mettez-vous ça dans le crane, et vous n’aurez pas de problème. Secondaire ? Un ce mois de juillet 1961, la prestation du trio de Peterson n’avait rien de secondaire !


Photo à droite : le "trio-guitare" avec Herb Ellis

Oscar Peterson (1925-2007) est canadien, apprend le piano classique dès l’enfance, et devient rapidement un virtuose. Sous l’influence d’Art Tatum ou de Nat King Cole, et se met au swing. Il n’a pas encore de poils au menton qu’il devient musicien professionnel. On l’entend derrière toutes les grandes figures du jazz, Armstrong, Fitzgerald, Charlie Parker, Clark Terry, Lester Young. Il est à son apogée avec le fameux trio sans batterie, entre 1953 et 58, signé chez Verve Records, entouré de Ray Brown à la contrebasse, et Herb Ellis à la guitare. Du swing sans batterie… c’est dire le pedigree des gus ! Trio d’autant plus célèbre, qu’Ellis est Blanc, et les deux autres Noirs. Quand Ellis quitte le groupe, un batteur le remplace : Ed Thigpen. Cette formation reste la plus célèbre du trio.



Le trio avec son nouveau batteur, Ed Thigpen.

La musique d'Oscar Peterson, c'est ce jazz bluezy, moelleux, swinguant, chaud bouillant. Oscar Peterson est un des meilleurs techniciens qui soit devant un piano, tout ce qu'il fait nous semblent facile, lisible, agréable à l'oreille. D’où une certaine méfiance des puristes, qui auront tendance à admirer davantage un Gil Evans, plus sophistiqué dans son approche de la composition et des arrangements. Sauf qu’à mon (humble) avis, avant de se coltiner Evans, il est plus aisé de passer par Peterson. Le pianiste possède quelques figures de style bien à lui, que beaucoup lui ont empruntées (Monty Alexander frise le plagiat) cette manière de faire monter la mayonnaise, de booster un morceau, de faire décoller son trio vers des cimes de swing hallucinantes. Exemple avec l’explosif « Band call » de Duke Ellington (un big band à eux trois !) qui frise parfois le boogie dans l’accompagnement main gauche, ou « Kadota’s blues » avec ces trémolos, moment en suspension, crescendo, petit roulement de caisse claire, et la fusée file droit vers la stratosphère. Il y a sur cette album une version quasi définitive du classique « On Green Dolphin Street » avec son intro lyrique, pied sur la pédale d’écho, une série d’arpèges, comme le vent dans les arbres, les cymbales frémissent, puis petite mélodie légère, la contrebasse arrive, mais le groupe se retient, attend, en suspend, et ça monte, ça monte… 8’52 de grâce absolue, où l’on entend Peterson marmonner sur les notes qu’ils jouent. Oscar Peterson n’est pas qu’une simple machine à swing, il sait sublimer des ballades, avec tact et légèreté, comme « The night we called it a day » ou « Jim », qui en milieu de morceau se met à swinguer d’un coup, avec des attaques de touches plus marquées.



Oscar Peterson au piano, Ray Brown à la contrebasse et Ed Thigpen à la batterie, dans "You look good to me" enregistré en 1961 (?). Sans être aussi ébouriffant que les titres du disque, l'extrait permet d'apprécier comment Peterson amène le swing dans son interprétation, par degrés successifs. A 2'27 on entend une première alerte, discrète, la fameuse "note bleue", à 2'48 le swing s'emballe, puis Thigpen passe des balais à la cymbale, et à 4'18 tout retombe avant la reprise du thème... Comme tout cela paraît simple...



Remets-moi une Kriek, Philou, et je te parlerai du second album issu de ces mêmes sessions, plus sobrement appelé THE TRIO, avec 12 titres supplémentaires (dont deux en commun), et toujours le même bonheur, les verres qui tintent en arrière plan, une prise de son remarquable, des couvertures cartonnées, des livrets complets (en anglais). Mais le premier, pochette marron, est sans conteste le plus explosif des deux.



THE SOUND OF THE TRIO : 10 titres, 76 minutes
THE TRIO : 12 titres, 76 minutes

7 commentaires:

  1. Pas toucher frigo-Bruno ! Pas toucher manger-Bruno ! Ha ben ça alors, je ne savais plus où je l'avais rangé. Merci Luc.
    Et une Kriek for me to !!

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  2. Shuffle Master1/10/10 15:53

    Toujours la même remarque. Un bon début, vif, enlevé, puis tout se gâte dès qu'on aborde le sujet de ce M. Peterson.

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  3. je deviens fou si on touche à ma collection de bières !!!

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  4. Pour Shuffle : pardon, j'avais promis de suivre vos conseils, maître, et voilà que je retombe dans mes travers (de porc). La prochaine sera la bonne.

    Aux deux autres : je me doutais bien que je touchais un point sensible... Si jeunes et déjà maniaques...

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  5. Si jeune, si jeune... j'voudrais bien...
    "rock'n'roll maniac", cela vient de Blackfoot, non ?

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  6. excellent et drôle en plus !ramone . dites moi, vous êtes en forme les garçons, et les filles ! Ramone

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  7. Salut les loulous... Bon, je viens de lire cette magnifique chronique et le moins que l'on puisse dire, c'est que l'humour fait plaisir. Surtout en jazz, où l'on a tendance à se prendre trop au sérieux (je sais de quoi je parle..).. Bon, Luc, à un moment, tu parles de Gil Evans. Tu ne voulais pas plutôt parler de Bill Evans? See u folks. Le Ralingue

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