Pourquoi ? Oui, pourquoi cet album de Deep Purple est-il mal aimé ?
Certes, le changement entre le brûlant "Burn" et celui-ci est surprenant. Et encore bien plus avec la discographie du Mark II, d'obédience nettement plus lourde et Hard-rock. Ce qui fait que de nombreux fans du Pourpre profond n'avaient pas digéré la mue.
D'autant plus que cet opus est aussi une borne marquant le départ prochain de l'ombrageux mais adulé Ritchie Blackmore, commandant en chef du destroyer "Deep Purple" depuis l'explosif "In Rock". Celui-là même qu'on aurait cru indéboulonnable, sans qui le navire ne pouvait que couler. Bref, pour beaucoup, l'âme du groupe même.
L'homme en noir n'avait pas apprécié le tournant trop prononcé à son goût, vers des lieux saturés de parfums Funk et Soul. Il réprouve le résultat final qu'il considère alors trop propre, trop chic. De plus, son leadership commençait à se faire doucement grignoter par les deux dernières recrues : Glenn Hughes et David Coverdale. Fatigué de se battre pour imposer ses compositions - certes, dans une attitude assez despotique -, il finit par baisser les bras. Et pour la première fois depuis 1970, sa signature n'apparaît pas sur deux morceaux.
De son côté, Jon Lord a bridé son orgue Hammond, au profit du piano électrique et de clavinet.
Et pourtant, quel bonheur de voir un groupe capable de se renouveler avec une telle maestria. Et c'est probablement le dernier très grand album de Deep Purple.
Pourtant, pourtant, le titre éponyme qui démarre tel un titan s'extirpant des entrailles de la terre, porte bien son nom avec cette sensation d'un chaud ouragan d'été, avançant lentement en déblayant tout sur son passage dans une nuée de débris épars (de Marshall déchiquetés, de Stratocaster pulvérisées, d'orgue Hammond massacré, de Fender Precision Bass atomisée ... bref, c'est le "Stormbringer comiing !!! Time to Diiiiie !"). "Lady Double Dealer" ouvre la seconde face de la même façon que "Stormbringer" : sur des chapeaux de roue. A donf ! Tout comme la chanson "Burn" sur l'album du même nom. Avec le fulgurant heavy-boogie-rock'n'roll "Lady Double Dealer", Blackmore renoue avec l'art du riff imparable. Il en est de même pour le trépidant et fiévreux "High Ball Shooter", porté à bout de bras par un duo de chanteurs exceptionnels et totalement en phase.
L'énergie et la fulgurance déployées sur "Stormbringer" et "Lady Double Dealer" ont même fait dire à certains critiques qu'il s'agissait de Heavy-Metal. Ce que réfutent catégoriquement les intéressés.
Alors ? Tout pour plaire aux fans les plus hardcore du "Pourpre Profond Mark II" ? Et bien non, pas vraiment, car dès le deuxième morceau, ils découvrent avec effroi et stupéfaction que la formation mythique s'est compromise en s'accoquinant avec la Soul. 😱 Nooon !? Si !
Ainsi, "Love Don't Mean a Thing" se prélasse sans pudeur dans une Soul langoureuse. Enfin, c'est relatif ; absolument aucun rapport avec Barry White. Toutefois,là dessus, Coverdale commence à sérieusement développer son chant "sexe à pile", limite concupiscent. Hughes, qui partage le chant, y fait plutôt figure d'adolescent surexcité. Cependant, le contraste entre les deux chanteurs crée du relief. Même Blackmore contribue à cette atmosphère avec un solo se présentant comme la complainte d'un homme, en pleine fleur de l'âge, désespéré de ne pas trouver d'amante. "Holy Man" enfonce le clou - crucifiant les fans du Purple catégoriquement Heavy - avec une Soul parfois presque évanescente, la Strato jouant des arpèges de crystal et Hughes, après un premier couplet sous des airs de chérubin, se présente comme l'un des meilleurs chanteurs de blue-eyed soul. C'est la première fois, avec Deep Purple, qu'il interprète seul une chanson. Blackmore (à la demande de Hughes) joue un magnifique solo en slide, fluide comme du mercure coulant (en dépit d'une tonalité assez ronde qui laisse à penser qu'il est interprété à l'aide d'un bottleneck en verre,c'est un tournevis qui ait fait office d'accessoire).
Le groupe n'avait jamais jusqu'alors fait preuve d'autant de finesse et de retenue. La première face se conclut par "Hold On" qui durcit à nouveau le propos, sans vraiment rompre avec la Soul. La troupe s'offre même le luxe de choristes. La section rythmique insuffle un peu de boogie et Blackmore envoie un magnifique solo sautillant, guilleret et chantant. Pourtant, bien souvent cette intervention soliste a été moquée, certains la considérant comme totalement déplacée. Le duo de chanteurs - Coverdale et Hughes - a mûri depuis l'album précédent, et manifeste une osmose exceptionnelle. D'autant plus que leur timbre est assez différent l'un de l'autre. David Coverdale étant naturellement plus bluesy, plus à l'aise dans les basses veloutées et félines, et plus rageur lorsqu'il hausse le ton, tandis que Glenn Hughes est plus funky, voire parfois Soul (il faisait alors une fixation sur Stevie Wonder avec lequel il rêvait d'enregistrer), mais paradoxalement pouvant se rapprocher du style de Gillan dans les instants d'hystérie rock'n'roll. David Bowie n'hésita pas à faire l'éloge de cette pièce dont il avait été le témoin de la prise du chant. (à cette époque, Halloween Jack et Hughes avaient l'habitude de sortir ensemble faire la fête).
La seconde face est un peu plus dure. Après la déferlante "Lady Double Dealer", "You Can't Do It Right" - qui a bien quelques similitudes avec le "You Fool No One" de l'album précédent - laisse croire à un Blues-rock nerveux avec le riff d'ouverture, mais vire rapidement en Funk-rock mordant. Et c'est Blackmore lui-même qui amorce le virage en alternant avec un riff qui préfigure Nile Rodgers et des passages où il s'accapare le rythme de The Meters. Glenn Hughes dira d'ailleurs que pour un homme qui disait abhorrer le Funk, il le joue à la perfection. Totalement funk ! Sir Richard Hugh Blackmore se montre inventif et inspiré, même là où on le l'attend pas.
C'est cette pièce qui avait été choisie en guise de premier single. Ce qui fut évidemment une erreur, car trop déstabilisant pour tous ceux qui s'attendaient à retrouver logiquement le Deep Purple d'antan. Avec ce morceau, la rupture était trop brusque.
Au milieu de tout ça, "Gypsy" a du mal à trouver sa place avec sa mixture de Blues, de Soul, de ballade légèrement psychédélique, de progressif. Même le duo semble avoir du mal à se synchroniser. Comme ce morceau n'était en fait qu'une jam semi-improvisée. Le break est un intermède renouant avec l'atmosphère vaporeuse de "Fools" (de l'album "Fireball"). Un titre bien moyen pour un groupe de cette envergure. Ça paraît inachevé ; l'exemple même du titre pondu en studio dans la précipitation, pour combler un disque.
En comparaison, la pièce finale qui suit, proche cousin de "When A Blind Man Cries", n'en est qu'encore plus surprenante. Plus marquante. "Soldier Of Fortune" est un pur joyau inclassable. L'orchestration - avec des accords de guitares d'inspiration médiévale - paraît se mettre en retrait pour laisser tout la place à Coverdale. Même lorsque quelques violons surgissent (ou plutôt le Mellotron de Lord) pour renforcer l'atmosphère mélancolique sur le coda. Une sombre ballade introspective, quasi tragique.
"Je t'ai souvent raconté des histoires à propos de la façon que j'avais de vivre une vie sans but, dans l'attente du jour où je prendrais ta main ... mais je sens que je me fais vieux, et les chansons que j'ai chantées résonnent au loin comme le son d'un moulin à vent. J'imagine que je resterai un soldat de fortune"
Lors de leur carrière hors Purple, ni Coverdale, ni Blackmore n'oublieront cette chanson qu'ils incorporeront de temps à autre à leur répertoire scénique. Avec cette chanson, plus qu'avec "Mistreated", Coverdale s'impose comme un chanteur de grande classe, pouvant désormais s'attabler aux côtés des ténors qui ont gravé l'histoire du Classic-rock dans le marbre, en lettres d'or .
Opeth, le groupe de Doom et de Death Metal reconverti depuis quelques années dans le Metal progressif, en feront une version honnête, sans pour autant parvenir à retranscrire le feeling original, malgré tout leur indéniable potentiel. Même Whitesnake, avec donc Coverdale himself, ne parvient pas à retrouver la magie de cette extraordinaire session. A deux guitaristes chevronnés, dont Reb Beach, l'étincelle "Blackmore" leur est inaccessible. Il en est d'ailleurs de même pour l'intégralité de ce contestable "Purple Album".
Pour la petite histoire, au moment où Coverdale était en pleine séance d'enregistrement de cette ballade, à Los Angeles, une petite bande s'était rassemblée et agglutinée dans le studio pour l'écouter chanter. Déconcentré par les murmures, il envoie tout le monde paître. La session terminée, il apprend que Stevie Wonder faisait partie des curieux qu'il a envoyé promener vulgairement.
Ainsi, si Jon Lord tente bien de se rapprocher des sons d'outre-espace de Bernie Worell de Parlamient, il ne parvient jamais à bâillonner ses années au service du Rock, ainsi que son apprentissage et ses escapades dans la musique classique, qui ne cessent de resurgir. Il y aussi le cas David Coverdale qui, même s'il n'y a aucune commune mesure avec l'album précédent, injecte, peut-être malgré lui, toujours quelques pincées de Blues. Et surtout, il y a l'élément Ritchie Blackmore. L’acariâtre, le grincheux, le Docteur Jekyll et Mister Hyde de la Stratocaster. L'un des incontournables guitar-heroes des 70's. Malgré le fait que ce serait l'album de Deep-Purple dans lequel il se serait le moins impliqué depuis 1969 et dans les années à venir (celles de la résurrection du Mark II), il est époustouflant et créatif. Il parvient à créer une symbiose de Funk et de Blues, avec cette particularité d'importer de la syntaxe issue de la musique classique. Notamment cette aptitude à insérer des ornementations, comme les trilles dont il est friand. Certes, moins présents que précédemment, il n'empêche que chacune de ses interventions est lumineuse.
C'est aussi à compter de cette galette qu'il développe un jeu personnel à la slide. Bien loin d'être strident ou agressif, il utilise cette technique pour exacerber un penchant vers la mélancolie. On ne met jamais son jeu en slide en avant parce qu'il est généralement noyé dans l'orchestration. On le confond parfois avec son utilisation du vibrato, indissociable de son image sonique. Il ne lui sert pas à faire de l'épate à grand renfort de disto et d'effets sonores faciles (sauf dans la décennie suivante où il prit l'habitude de récupérer le manche d'une Strat sacrifiée sur l'autel d'un Heavy-rock clownesque, pour quelques lignes de slide alors à l'emporte-pièce) mais simplement à intensifier une couleur, un feeling entre douceur printanière et fraîcheur automnale.
de G à D : Blackmore, Lord, Coverdale, Paice et Hughes |
Si "Stormbringer" avait été le fruit d'un groupe alors anonyme, aujourd'hui, on en chanterait encore les louanges et on vanterait les hauts faits de cet album remarquable.
La presse a aussi joué un rôle dans ce relatif désintéressement, en y allant lourdement de ses bons mots narquois. Probablement les même pigistes qui reprochaient au groupe d'être monolithique ... Des journaleux qui ont longtemps dénigré la grande majorité des formations dites de Heavy-rock/Hard-rock, leur reprochant leurs décibels (d'après des statistiques d'époque, longtemps, avant un certain "mad man" de Detroit, seul Deep Purple - justement - aurait joué plus fort que les Who)
Il est vrai que lors des premières écoutes, quelques pièces peuvent laisser un goût amer. Mais, tout de même, cet opus a plus de quarante ans et il n'a pas pris une ride. Au contraire d'autres bien plus récents. Est-ce que, finalement, ce "Stormbringer" n'était pas avant-gardiste ?
Michael Amott, le guitariste et leader de Spiritual Beggars (lien) et d'Arch Enemy (lien) (ex-Carcass et Candlemass), de même que son pote Bill Steer, leader de Carcass (ex-Firebird et Napalm Death), ne tarissent pas d'éloges sur cet album.
C'est un putain d'album du feu de dieu ! Inusable, inaltérable.
Deux mots sur la pochette : ce n'est peut-être pas la plus attractive en terme de marketing, mais probablement la plus belle du quintet. Elle est tirée d'une photo de 1927, prise un jour d'été dans le Minnesota, sur laquelle Joe Garnett (qui avait déjà à son actif des réalisations pour Free, Bloodrock, John Mayall, Captain Beyond, It's a Beautiful Day, Randy California, Grand Funk Railroad, The Doors) a rajouté des couleurs et surtout ce Pégase d'où émanent (ou frappé par) deux éclairs ... arc-en-ciel.
Siouxie and the Banshees se souviendra de cette pochette en 1986 pour leur album de 1986, "Tinderbox". Manque cruel d'imagination ou ignorance (ou amnésie ... ) des quatre membres du groupe, du management et de la maison de disques ? ...
Initialement, l'album devant s'appeler "Silence", ce devait être le visage d'une femme lourdement maquillée avec son index devant les lèvres pour intimer le silence. Ensuite, cela a failli être une photo prise après un chaud concert - de Deep Purple - à Osaka (du 29 juin 1973) où l'on montrait les "vestiges" de la salle après le départ du public avec des fauteuils fracassés, mais on a craint que cela ne soit pas du goût de tous, et surtout que cela donne une mauvaise image.
- Face 1
- Face 2
P.S. : Certains, dont Glenn Hughes, pensent que ce serait les paroles de la chanson "Stormbringer" qui aurait donné l'idée à Ritchie Blackmore de baptiser son projet "Rainbow". [Ride a Rainbow, crack the sky, Stormbringer comiinng !!! ... Rainbow shaker on a stallion twister ...]
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Autres articles sur Deep Purple (liens) :
♬ - "In Rock" (1970) ♬ - "Fireball" (1971) ♬ - "Machine Head" (1972) ♬ - "Made In Japan" (1972) ♬ - "Who Do You Think We Are" (1973)
♬ - "Burn" (1974) ♫ - "Come Taste The Band" (1975) ♫ - "Days May Come And Days May Go" ♫ - "Slave And Masters" (1990)
♫ - "Inglewood (Live at Inglewood 1968)" ✎ - "Rhapsodie in Rock" de Jean-Sylvain Cabot
Je suis de ceux qui défendent cet album, je considère que la formation avec Hughes et Coverdale est supérieure à celle avec Gillan et Glover. Burn étant indiscutablement le meilleur album du groupe toute périodes confondues. Seul bémol à ton remarquable papier, je pense que Come taste the band est encore meilleur que Stormbringer. Les Live de la série Overseas captés en 75 (avec Blackmore) et 76 (avec Bolin) sont également fabuleux.
RépondreSupprimerRooo.... ça sent la provoc ça, non ? "Come Taste the Band" ! Non mais. 😁
SupprimerIl sent un peu la dope, cet album non ? Même la production n'est pas à la hauteur des précédents ; ça paraît parfois bâclé. Auparavant, chaque intervention de Blackmore voulait dire quelque chose, alors que là, désormais, en envoie du solo pour du solo. Sans nécessairement apporter quelque chose de plus, sinon l'épate.
Cependant, c'est effectivement un bon album - loin de la vieille et tenace réputation du truc inaudible.
La production est énorme de puissance et si ça ne te suffit pas le remix de Kevin Shirley en rajoute une couche. Quant à Tommy Bolin, il est juste égal à lui-même, incisif et funky. Mais là où l'album surpasse Stormbringer c'est par la qualité des compositions. Keep on Moving, Getting tighter, Coming home, This Time around...Glenn Hughes est au sommet et Coverdale est bluesy de folie. Un grand disque superbement défendu par une tournée dont eux-mêmes se demandent comment ils sont revenus entiers. Voir le DVD Rise over Japan qui figure en bonus sur le CD Rising Phoenix (Ouais, je sais c'est le bordel mon histoire, mais sinon ça serait pas Deep Purple)))
SupprimerJe confirme pour les lives de la période 1975, notamment celui à Paris, dont un ou deux extraits se retrouvent sur le "Made in Europe" mais là, on a toute la soirée, avec un son extraordinaire, et peut être, je dis bien peut être... que Blackmore y était plus talentueux encore qu'avec le Mark II. Avec Bolin, et sans remettre son talent en cause, of course, j'ai l'impression que s'ils ne jouaient pas "Highway star" et autres tubes, on ne saurait pas que c'est Deep Purple !
RépondreSupprimerC'est quoi ces Overseas ?
SupprimerUne série d'albums live de deep purple tous plus dingues les uns que les autres. N'étant pas particulièrement fan de la période Gillan (encore moins en live) Paris 75 et Long Beach 76 sont mes favoris.
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