Lors d’une conversation, je me surpris en affirmant « Clapton ne joue pas le blues, il se donne un style ». Cette affirmation me vint comme une conclusion logique à un long échange sur le blues anglais. Pour expliquer ce que certains risquent de voir comme un blasphème, revenons un peu en arrière. Nous sommes dans les studios où le label Deram enregistre le premier album des « Bluesbreakers with Eric Clapton ». Dans cette pièce mythique, le guitariste tricote les solos qui lui valurent le surnom de Dieu. Telles deux araignées hystériques, ses mains subtiles tissent la grande toile du blues anglais. Bien sûr, cette musique ne se résuma pas à ses enchaînements fulgurants, mais ceux-ci symbolisaient la limite qui forgea son génie.
Clapton fut un puriste condamné à devenir le chantre du progressisme musical, un dévot contraint de réinventer son dogme pour pouvoir le respecter. A la puissance virile de ses modèles de Chicago, God répondait par une énergie orgiaque et vindicative. Contrairement à ce que beaucoup répètent bêtement, l’homme n’a pas inventé la guitare solo. BB King partait déjà dans de ferventes envolées lyriques quand son disciple n’était qu’un bambin. En revanche, Clapton fut un des initiateurs de ce son qui fit swinguer Londres.
Il faut d’ailleurs s’être promené dans les rues de cette ville pour comprendre ce qu’est le blues anglais. Rasée par les bombes allemandes, la ville dégage pourtant une authenticité fascinante. Dans certains quartiers, on a l’impression que les maisons sont là depuis des siècles, les nazis ayant détruit le corps de certaines rues sans broyer leurs âmes. Puis vous arrivez dans une allée où les écrans géants vomissent leur propagande capitaliste, où un magasin Disney trône à quelques encablures d’un McDonald. Londres permet à une fausse authenticité plus vraie que nature de côtoyer la modernité la plus froide et agressive.
[Paul Kossoff en photo] Le blues anglais suit un principe assez similaire. Contrairement à leurs modèles, les Keith Richards, Eric Clapton et autres Pete Townshend ne connurent pas les peines cruelles et les joies sauvages de leurs idoles américaines. L’admiration qu’ils leur portent est comme les façades de certaines maisons anglaises, elles leur donnent une certaine authenticité, tout en leur permettant de la mêler à quelque chose de plus novateur. Black Cat Bones nait au milieu de l’éruption du swinging London, en 1966.
Le groupe fait ses premières armes dans le circuit des pubs londoniens. Là, au milieu d’une horde britannique qui n’a pas volé sa réputation de bon buveur, Paul Kossoff posa les bases d’un des plus beaux swings de l’histoire de la pop anglaise. Le guitariste maîtrisait cet art cher à Keith Richards, cette façon de laisser les notes raisonner jusqu’à ce qu’elles soient gravées dans le cerveau de l’auditeur. Il déployait également cette incroyable puissance sonore, énergie hargneuse qui ne manqua pas de fasciner Lynyrd Slynyrd.
La notoriété de Black Cat Bones finit par arriver aux oreilles de Mike Vernom, un producteur devenu une légende après avoir découvert les Bluesbreakers. Si Paul Kossoff est déjà parti fonder Free, le producteur n’en est pas moins impressionné par la puissance de ce redoutable bombardier qu’est devenue Black Cat Bones. Les musiciens ont passé les années précédentes à ferrailler dans plusieurs formations anglaises et américaines, ont affûté leur mojo au contact du blues boom britannique. A une époque où cette musique se lança dans un irrésistible fuite en avant, l’objectif de Black Cat Bones devint clair : jouer le blues le plus percutant de l’histoire de la pop anglaise.
Sorti en 1969, « Barbed wire sandwich » suit la voie radicale initiée par Led Zeppelin. Paradoxalement, l’album troque les violentes saccades du groupe de Jimmy Page contre une fluidité implacable. Le swing de Black Cat Bones coule avec la fluidité du fleuve Mississippi, c’est une tempête qui ne sort jamais de la voie que les musiciens ont tracée, un torrent menaçant ne débordant jamais de son lit. On pense encore à Led Zeppelin quand le batteur mouline comme un fou pour imposer son rythme. Suivant son modèle, la guitare décuple l’écho de ses percussions à coup de riffs menaçants.
L’excentricité anglaise brille ensuite le temps de quelques solos spectaculaires. Le blues est ici une force fondatrice, le cœur nucléaire d’une nouvelle énergie rock. S'il était sorti un an plus tôt, « Barbed wire sandwich » aurait été salué pour ce qu’il est, c’est-à-dire un impressionnant morceau de bravoure blues rock.
Mais, en 1969, Led Zeppelin parut plus innovant, les premiers virtuoses du rock progressif se montrèrent plus raffinés, et Black Cat Bones étouffa entre ses deux courants majeurs. On ne peut pourtant parler du blues rock anglais sans avoir entendu l’énergie juvénile de ces losers magnifiques.
Simon Kirke avait également rejoint le groupe, avant de partir avec Kossof former Free (peu de temps après avoir participé à l'enregistrement anglais d'un disque de Champion Jack Dupree). A savoir que Paul Rodgers, présenté parson ami Kossof, avait précédemment échoué à une audition de Black Cat Bone. Etonnant.
RépondreSupprimerSur ce disque, c'est Rod Price qui a pris la relève à la lead guitar. Il y est méconnaissable, rien à voir avec la slide chaleureuse et mordante qui va faire les beaux jours et la réputation de Foghat.