vendredi 26 novembre 2010

DEEP PURPLE - "Fireball" (1971), par Luc b.



FIREBALL est le sixième album de DEEP PURPLE, et le deuxième de la fameuse tétralogie du Mark II, réunissant Ian Gillan (chant, harmonica), Ian Paice (batterie), Jon Lord (claviers), Roger Glover (basse) et Ritchie Blackmore (guitare).

Les musiciens entrent en studio en septembre 1970, par intermittence entre deux concerts européens (158 concerts entre juillet 70 et octobre 71), soit à peine cinq mois après la sortie de IN ROCK. A cette époque, pas question de laisser trois ou quatre ans entre deux albums, la concurrence est rude. Les prétendants au trône nombreux. Il n'était pas rare pour ces groupes de sortir deux albums dans une même année, ce qui serait inconcevable aujourd'hui. Donc sitôt les ventes de IN ROCK épuisée, un nouvel opus se devait de le remplacer dans les rayonnages des disquaires, sur les ondes radios, et dans le coeur des fans. Et puis le groupe manquait de titre à jouer sur scène, le répertoire du Mark I n’étant pas exploité, à l’exception de « Kentuky woman » (reprise de Neil Diamond) et « Wring that neck » tirés de BOOK OF TALIESUM (1968) ou « Mandrake Roots » issu de SHADES OF DEEP PURPLE (1968). Le groupe alternera les périodes de studio (De Lane Lea à Kingsway, où IN ROCK s’était terminé) avec des séances d’écriture et de jam dans un manoir du Devonshire. Les premiers titres à voir le jour seront « Anyone’s daughter » et «The Mule », autrement dit, les plus décalés, les plus éloignés du style de DEEP PURPLE. Les membres du groupe pensent en avoir jusqu’en février, mais cela est sans compter une panne d’inspiration, et des relations de plus en plus conflictuelles entre Gillan et Blackmore. Le premier calmant ses nerfs en bibinant sacrément, ce qui n’arrange rien. Quels souvenirs Ian Gillan garde-t-il de cet enregistrement ? Aucun. Juste un gros trou noir de plusieurs mois dans sa vie !



Pour rassurer le staff, le groupe sort un single, à l’instar de « Black night » pour IN ROCK. Ce sera : « Strange kind of woman », d’abord intitulé « The Prostitute », un mid-tempo bluezy né d’une longue jam entre les musiciens, et qui aujourd’hui fait figure de classique incontournable, repris systématique sur scène, et prétexte à un duel voix-guitare entre Gillan et Blackmore, le premier reproduisant au micro ce que le second joue sur son manche de Stratocaster. La version entendue sur MADE IN JAPAN étant définitive.




Après le beau succès de IN ROCK, et la déflagration qu’il provoqua par son style novateur (un des deux ou trois piliers de ce qu’on nommera plus tard le Heavy Metal), mais qui n’impose pas encore DEEP PURPLE au sommet en termes de vente et d’aura médiatique, la sortie de FIREBALL était attendue au tournant. Le groupe, qui aurait pu lui donner une suite tout aussi bruitiste et énervée, opère pourtant un changement de cap. C’est ambitieux, mais l’album semble du coup moins cohérent, se dispersant dans différents styles. Mais surtout, l’ensemble est beaucoup moins agressif. Ce qui faisait la spécificité de IN ROCK, ce son métallique, la vitesse d’exécution, la virtuosité des solistes, les acrobaties vocales, ont disparu au profit d’une ambiance nettement plus blues-rock. L’album a bénéficié d’une production plus étudiée (Martin Birch est toujours aux manettes), avec des chansons montées de toutes pièces, piquant des idées et des motifs, çà et là dans les kilomètres de bandes disponibles. On pourra regretter ce manque de spontanéité (de sauvagerie ?) qui faisait la marque de l’opus précédent. Pendant cette même période, les nouveaux titres sont souvent rôdés sur scène, même à l’état d’ébauche, pour tester leur efficacité, et retravailler certains passages. C’est d’ailleurs aussi à cette époque que deux titres circulent en concert « Highway Star » et « Lazy », qui ne seront enregistrés que l’année suivante. Cela dit, une fois ses réserves formulées, passons par le menu ces sept plats savamment mitonnés…


Le morceau « Fireball » ouvre le bal d’une manière grandiose, titre qui aurait pu faire partie de IN ROCK, et qui fait donc figure de transition entre les deux albums. On entend d’abord un bruit de cabine d’ascenseur qui se met en branle (c’est en réalité l’air conditionné du studio, enregistré par Martin Birch !), puis Ian Paice déboule à toute berzingue, avec une clave bossa passée à la moulinette heavy (double grosse caisse pour l’occasion). Morceau ultra rapide, court, avec pont à la basse, et petit chorus d’orgue. Dans le jargon, on appelle cela une tuerie !

« No no no » commence par un motif plutôt funky, une partie chantée assez agressive, mais en retrait par rapport aux instruments, des fins de couplet en suspension, aériennes, tremplin pour le chorus de guitare, planant d’abord, piqué ensuite. Le chorus de Lord à l’orgue est de toute beauté, dépouillé, clair, jazzy. Le procédé sera repris pour « Fools », le groupe semblant rompre avec les solos virtuoses à la « Child in time ».

« Demon’s eyes » est un bon titre bluezy, à défaut d’être une brillante création, finalement incorporé à l’album a la dernière minute, et qui supplanta « Strange kind of woman » sur le pressage européen. C’est une bonne base, sur laquelle j’aurais aimé que le groupe se décarcasse un peu plus…

« Anyone’s daughter » est beaucoup intéressant, car aux antipodes du style Purple. Le morceau né d’un motif de guitare joué par Blackmore pour passer le temps, et sur lequel les autres ont finalement posé leurs propres parties. Une perle country-folk, rafraîchissante, avec Lord au piano, une grosse caisse et un tambourin pour le tempo, un texte savamment écrit, soignant les allitérations. Gillan a estimé après coup que ce morceau était une « erreur de casting », responsable sans doute du demi-échec de l’album.

« The Mule » est le titre le plus étrange du disque, un texte court, anxiogène, et un long développement instrumental au clavier, psychédélique, sur des breaks sur toms de Ian Paice. Une rupture syncopée, puis Blackmore fait son petit tour, avec écho, avant le retour au thème. Ce morceau est surtout célèbre, sur scène, pour inclure le splendide solo de batterie, dans une version beaucoup rock et serrée. Le thème de « The Mule » sera repris souvent sur scène, comme à la fin de « You fool no one » en 1974, sur l’album LIVE IN LONDON.

« Fools » Ou comment passer à deux doigts d’un chef d’œuvre. Longue et douce intro, plaqués d’orgue Hammond, explosion du thème, rock garage, un Gillan énervé, une scansion travaillée, articulée à l’excès, narrant les réflexions désabusées d’un mort devant la folie des hommes. Le tempo n’est pas spécialement rapide, mais une grande intensité se dégage de l’ensemble. Blackmore enquille ensuite sur un très long chorus, seulement accompagné par Ian Paice à la batterie. Des motifs simples, qui tiennent presque plus du violoncelle, soutenus par de très légers plaqués d’orgue, dont il se dégage une tristesse et une mélancolie profonde. Ce chorus de guitare est issu de motifs généralement interprétés sur scène lors des impros (« Mandrake Root »), et que le groupe pensait intéressant d’intégrer à un titre studio. Très grande création, mais là encore, on prend d’auditeur à contre-pied.

« No one came » est aussi une réussite, un de mes morceaux préférés, quoique basique, rock. J’aime particulièrement les parties chantées, un Gillan encore très inspiré, (« Man, your music is really… funky ! ») une énorme basse, deux longs chorus guitare/orgue très classiques, du pur Purple donc.

En fait, c'est sur tout l'album que Gillan fait des merveilles, dans sa manière d'interpréter les titres, d'articuler clairement, de poser les mots, de mettre le ton juste, laissant pour un temps de côté la virtuosité qui avait fait sa réputation. Son approche est plus fine.



Enregistré en 1972 un "Fireball" ultra-speed, seul véritable titre estampillé "hard-rock" de l'album. Un rodie installe la deuxième grosse caisse. Le démarrage de Ian Paice à la batterie relève d'une expérience extra-terrestre... Les aliens lui ont greffé quatre bras de plus. Je crains qu'il y ait un léger décalage du son par rapport à l'image.


Sur la version anniversaire de FIREBALL, on retrouve trois autres titres non inclus au LP d’origine. Dommage, car deux d’entre eux sont excellents. En retirant « The Mule » et en les casant, là mes amis, on frôlait la perfection ! « I’m alone » est une face B très sixties et sympathique. Mais « Freedom » est un pur rock’n’ roll, avec piano, le dernier couplet étant hurlé par un Gillan survolté, faisant d’un coup le pont entre le rock et le heavy métal. « Slow train » est une perle, speedée, déjantée, euphorique, avec petits dérapages d’Hammond.

L’album FIREBALL sort entre juillet et septembre 1971 (USA puis Europe). Il reste peu de temps n° 1 des charts, puis sera vite oublié. L’album ne contient pas de gros tube ni de chef d’œuvre intemporel. Pourquoi n’avoir inclus « Strange kind of woman » que dans l’édition américaine, et mis « Slow train » de côté ? Mis à part « Strange kind of woman » et le solo de batterie sur « The mule », peu de morceau de FIREBALL seront repris en concert. Il faudra attendre les tournées de 1993-1996 pour réentendre « Fools » « No one came » ou « Anyone’s daughter » en concert. Il semblerait que FIREBALL doive beaucoup à Roger Glover, le bassiste, qui enregistrait toutes les séances, très présent, alors que Gillan était plus en retrait cette fois-là. FIREBALL n’est évidemment pas un mauvais album, loin de là, mais la sélection des titres à de quoi surprendre, quand on entend tout le matériel disponible. On peut dire de plusieurs titres qu’ils pouvaient encore évoluer, comme « Demon’s eyes », dont les musiciens ne tirent pas tout le potentiel, au contraire de « Flight of the rat » ou de futur « Lazy » qui apparaissent quasi-parfaits.

Après la période Nick Semper/Rod Evans (première formule du groupe, dite Mark I), puis l’épisode symphonique « Concerto for group », puis le boulet rouge de IN ROCK, c’est trois styles différents de musique, pour le même groupe, en moins de deux ans. Le public ne s’y retrouve pas. DEEP PURPLE, malgré leur réputation sur scène, et la qualité intrinsèque de ses membres, semble se chercher encore. Contrairement à Led Zeppelin qui bâtit une œuvre logique, cohérente, avec un Jimmy Page producteur qui savait exactement où il voulait aller (et en adéquation avec les trois autres membres du groupe), DEEP PURPLE semble encore s’éparpiller entre les désirs de ces cinq musiciens (car chacun écrit et compose chez DP) sans véritable esprit de groupe, et pas mal d’animosité envers le ronchon Blackmore. D’où le parcours chaotique de ce groupe durant des années, qui n’a jamais réellement pris son boulot au sérieux ! Et moins de six mois plus tard, en décembre 1971, les revoilà en encore en studio ! A Montreux. Espérons que cette fois-ci sera la bonne !



(affaire à suivre donc…)



Un "No no no" plombé à souhait, avec des chorus assez différents que la version studio. (clip HD : laissez-le se charger avant écoute)

PS : Tony Edwards, manager historique de DEEP PURPLE est décédé le 14 novembre dernier, à 78 ans.







DEEP PURPLE "FIREBALL" (1971) Harvest/Warner, édition européenne.
1."Fireball"– 3:25
2."No No No"– 6:54
3."Demon's Eye"– 5:19
4."Anyone's Daughter"– 4:43
5."The Mule"– 5:23
6."Fools"– 8:21
7."No One Came" – 6:28

+ Edition anniversaire : 78 minutes, avec titres bonus, jam, remix...

Autres articles consacrés à Deep Purple :
L'album IN ROCK http://ledeblocnot.blogspot.com/2010/09/deep-purple-in-rock-1970-par-luc-b.html
L'album DAYS MAY COMES AND DAYS MAY GO http://ledeblocnot.blogspot.com/2010/10/deep-purple-days-may-come-days-may-go.html

L'album MACHINE HEAD : http://ledeblocnot.blogspot.com/2011/02/deep-purple-machine-head-1972-par-luc-b.html

8 commentaires:

  1. Malgré tout ce que l'on a pu dire sur cet opus, et bien que je sois d'accord avec ce qu'a écrit Luc, j'aurais tout de même attribué une meilleure note. Certes, j'ai souvent fait l'impasse sur "The Mule" (sauf sur le mythique "Made In Japan", car c'était alors LE solo de batterie), mais rien que pour avoir pondu des titres comme Fireball (t'dieu ! Quelle puissance de feu ! En 71 !! ), No No No, Anyone's Daughter (j'adore !), Fools, quatre manifestes du Heavy-rock des 70's, ces gars là méritent les honneurs, avec l'album qui va avec.
    Par contre, on s'interrogera toujours sur les raisons qui avaient poussé le groupe (le management ?) à écarter l'excellent "Strange king of woman".

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    1. Anyone's Daughter quoi, une de mes préférées (qui va super bien avec Anya dans le live Come Hell Or High Water et son intro magique à la guitare). Pour Stange Kind Of Woman, je ne comprends absolument pas pourquoi il a été écarté, quand on voit le jeu d’écho entre Blackmore et Gillan dans le mythique Made In Japan... c'est juste une merveille !

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  2. Sur "Fools", "ce qui tient du violoncelle" est un effet obtenu à la guitare en jouant sur le potentiomètre de volume, pour justement donner un effet, et que l'on appelle, de violoncelle (ou violon, c'est suivant les affinités de chacun).
    Un effet que Blackmore reproduira lors de ses nombreux soli, du Deep à Rainbow, notamment en concert.
    Roy Buchanan, à ce jeu là, était un maître.
    Bon, tout le sait, mais cela ne fait rien ; j'avais tout de même envie de le dire (l'écrire).
    Vouaille !

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  3. Je sais Bruno, je sais, la note est un peu sévère, d'autant que je les aime particulièrement ces cinq là ! Mais un album de DP c'est 7 titres. A chaque fois pour le Mark II. Sur "In rock", il n'y a aucun déchet, seul un titre légèrement en dessous des autres ("Into the fire") et encore... Ici, il y a trois titres disons "bancals", sur sept en tout. Avec "Slow train" et "Strange", on tenait un disque absolument remarquable. Mais ils ont choisi de ne pas les garder... 4,5 aurait été plus juste mais on ne peut pas !

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  4. Ouais, "Into the fire" peut faire pâle figure en comparaison du reste. Toutefois lorsque j'ai pu, enfin, les voir jouer, en 2008, ce titre avait alors pris sur scène une toute autre dimension. C'était du très lourd, qui avait pris une tournure qui le hissait au niveau des meilleurs moments du set, qui pourtant en comportaient un sacré lot.
    Une excellente surprise.

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  5. A propos de Fireball, est-il vrai que Ian Paice aurait empruté la pédale de grosse caisse à Keith Moon (batteur des Who pour les incultes) ? Et il se dit également que tout les batteurs qui reprennent cette chanson utilisent la double pédale alors que la légende voudrait qu'il n'ait utilisé que son pieds gauche ? (Eh oui, Ian Paice était gaucher, zut moi qui voulait tester sa position de jeu)

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  6. Je ne connaissais pas l'anecdote Keith Moon... Concernant la double grosse caisse, dans le live au Danemark qui a été filmé, on voit clairement un roadie installer la deuxième grosse caisse, pour le titre "fireball" en rappel. En studio, je ne sais pas ce qu'il en est. Mais vu la vitesse d’exécution, ce ne serait pas improbable... Ian Paice est célèbre pour le roulement à une main, mais de là à le faire avec un seul pieds !!!

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    1. Ian PAICE est un maître. Peu de batteurs à l'époque (et pourtant il y en avaient des bons) arrivaient à faire ce qu'il faisait avec une batterie pratiquement minimaliste (bon, certes rien à voir avec celle de Slim Jim Phantom, mais comparons ce qui comparable). Elle s'est petit à petit étoffée, à partir du MK III.

      [D'ailleurs, on a progressivement pu voir une surenchère d'étalage de matos ; à un moment on vantait l'attirail de Peter Criss : la plus grosse batterie jamais assemblée jusqu'alors. Mais bon, plus du tape à l'oeil qu'autre chose.]

      Pour avoir vu Ian interpréter "Fireball", je ne crois qu'il utilisait une double grosse caisse à ce moment là. En tout cas, il dégageait une sacré puissance tout en étant musical et bien groovy. Le tout avec un certain flegme, sans faire des trognes de gros méchant...
      Respects.

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