Un combattant sort de sa retraite pour sauver sa fille, kidnappée par son ennemi juré. Un pitch super original, digne des meilleurs Chuck Norris, Steven Seagal ou Liam Neeson... mais avec Paul Thomas Anderson derrière la caméra, et ça change carrément la donne, lui qui rêvait d'un bon vieux film d’action et de poursuites. Vœu exaucé grâce au gros chèque de 140 millions de la Warner**.
UNE BATAILLE APRES L’AUTRE démarre sur les chapeaux de roue et ne débande pas pendant 2h40. Un feu d’artifice de scènes souvent cocasses, parfois burlesques, à rapprocher, dans une filmographie à ce jour exemplaire, de INHERENT VICE (2014) qui s’inspirait déjà d’un roman de Thomas Pynchon.
On suit d’abord le groupe d’activistes révolutionnaires French 75 dans ses œuvres (du nom d’un canon de calibre… 75) qui multiplie les actions à la frontière américano mexicaine : libération de migrants parqués comme des bêtes, sabotages, hold-up pour remplir les caisses.
La passionaria folle-du-cul du groupuscule (du « Pussy » et « Fuck » à toutes les sauces, clin d'oeil au SCARFACE de De Palma) s’appelle Perfidia Beverly Hills, et son mari artificier, Bob Ferguson (qui regarde à la télé LA BATAILLE D'ALGER, et ne me dites pas que ça passait par hasard). Ils sont traqués par le colonel Steven J. Lockjaw. Le souci est que sa vindicte n'est pas que sécuritaire. Ce facho de première qui rêve d’être recruté par une clique suprémaciste - génial QCM de recrutement - en pince sérieusement pour Perfidia, une Noire volcanique à la Betty Davis, depuis qu'elle lui a intimé l'ordre de se mettre la bite au garde à vous, le menaçant d'un flingue !
Bref, 16 ans plus tard, Bob et sa fille vivent reclus au fond des bois. Le papa accro à la fumette est devenu un brin parano. Scène géniale où Willa part à un bal avec des potes de lycée, avec les recommandations d'usage du papa complètement stone : ne jamais se séparer d’un bipper, relié à celui de son père.
On retrouve le thème récurrent des films d’Anderson, le fil qui relie les êtres, évidemment dans MAGNOLIA où chaque intrigue était liée aux autres, l’idée qu’on se perd et se retrouve à chaque fois, comme dans LICORICE PIZZA, le fil fantôme entre la muse et l’artiste de PHANTOM THREAD, les deux antagonistes si proches de THERE WILL BE BLOOD. Ces deux bippers qui jouent la même mélodie lorsqu’ils sont dans un rayon de cent mètres (autant faut-il ne pas oublier d’y mettre une pile !) est une jolie idée.
Bob avait finalement des raisons de s’inquiéter. Le colonel Lockjaw est de retour dans sa vie, et dans la famille Ferguson, il souhaite la fille. A partir de là le film se joue comme un contre la montre. Bob renoue avec son groupe, et notamment Sensei Sergio St. Carlos, génial Benicio tel Toro en prof de karaté, tongs et chaussettes blanches aux pieds, zen. « J'ai besoin d'un flingue, tu n'as que des nunchaku ! ». Toutes les séquences avec lui et Di Caprio sont fameuses.
Les images sont toujours superbes, dès le premier plan sur fond de coucher de soleil, PTA tourne en pellicule, ici en format Vista-Vision (comme THE BRUTALIST), il joue beaucoup sur les focales longues. Peu de longs mouvements ou de plans séquences (époque MAGNOLIA, BOOGIE NIGHTS fortement influencé par Robert Altman) cette fois, chaque scène est découpée au rasoir, un montage sans temps mort. Avec cette caractéristique : PTA zappe les explications, il fonce, car le temps presse. Comment Lockjaw a su que… comment Bob a compris que… comment les French 75 ont appris que… Ce n’est pas ce qui compte, et même, cela renforce l’aspect délirant de l’aventure.
Sean Penn compose un colonel Lockjaw d’anthologie, caricature sur rangers, le visage taillé à la serpe, émaillé de tics nerveux, à la démarche branlante et triomphante, une espèce de toupet ridicule sur son crane rasé. PTA fraye sur les terres du DR FOLAMOUR de Kubrick, le visage qui grimace comme un masque de carnaval, les jeux de mots : lockjaw = mâchoire bloquée. Lockjaw fait penser au général Jack D. Ripper, par ses obsessions, sa paranoïa, ses colères irrationnelles, son monologue où il est question de sa virilité, de viol inversé !
On adorera les sœurs de la Congrégation des Braves Touffes qui cultivent de la weed, ce repère de suprématistes au fond d’un bunker sécurisé où trône derrière le chef un immense tableau lumineux avec un canard dans une mare. PTA décale les situations par un détail saugrenu, plusieurs fois une action épique est conclue par une pirouette-gag à la Buster Keaton (le coup de taser !).
Outre quelques reprises pop génialement trouvées, la musique originale est signée Jonny Greenwood (de Radiohead), sixième collaboration avec PTA, dont on retiendra notamment cette partition pour piano solo, dissonante, a-mélodique, plutôt osée pour ce type de film, encore un total décalage qui participe justement à la tension des scènes.

En allant plus vite, en froissant plus de tôle, en multipliant les bolides et les angles de caméra ? Non. En utilisant intelligemment de la topologie des lieux et les focales. Une route désertique, en ligne droite, qui ne cesse de monter et descendre, des pentes très marquées. Filmées en longue focale, qui écrase donc les distances, les voitures donnent l’impression d’être ballotées par les vagues d’un océan en furie, elles disparaissent et réapparaissent de l’image, ça monte, ça descend. Une dernière séquence stupéfiante qui fera date, j'en prends les paris. Aboulez la monnaie.
Paul Thomas Anderson se renouvelle encore, dans le genre abordé et sa mise en scène. Il assume totalement l’aspect attraction de son film, un divertissement grand public (mais aux antipodes du calibrage hollywoodien) savant mélange d’action, d’espionnage, de comédie grinçante, radiographie de la société, mais sans discours plombant ou moralisateur (il a horreur de ça), peuplé de personnages exubérants, qui surprend à chaque scène par la direction qu’il prend.
** Le premier montage faisait 3 heures, la Warner ne souhaitait pas plus que 2h30, pour bénéficier davantage de séances journalières. Ils ont coupé la poire en deux. Anderson annonce déjà que la version dvd sera plus longue. Di Caprio a confirmé que des scènes avaient été coupées ou raccourcies, mais que le compromis trouvé était le bon pour conserver l'essence et le rythme du film.
👉 Liens vers : LICORICE PIZZA ; INHERENT VICE ; HARD EIGHT ; PUNCH DRUNK LOVE ; THE MASTER et EDDINGTON
"exhaussé", sérieux ? Y'a un ancien prof qui va faire une attaque, là...
RépondreSupprimerLa durée et la bande-annonce m'ont dissuadé d'y aller... Plus le prix, les salles plus ou moins bruyantes...
P.S : dont acte, avec "exhaussé" ça marche aussi... mais ça ne veut pas dire la même chose.
RépondreSupprimerVotre voeu est exaucé ! Ne souhaitant pas me fâcher avec l'Académie, et encore moins provoquer un infarctus à un ancien prof, je corrige. Merci. "La durée et la bande-annonce m'ont dissuadé d'y aller" : mon article n'aura donc servi à rien, c'est vexant !
RépondreSupprimerUn film après l'autre, PTA a produit une œuvre sans fausse note.
RépondreSupprimerD'après les critiques, c'est pas avec celui-là qu'il va faire une sortie de route.
Je vois qu'on prend garde à la santé des anciens, c'est rassurant. Pas vu (je ne vais plus au ciné - bruyant, effectivement, plus yeux fragiles), mais il y a un petit air du Gang de la clef à molette, non? Quant à l’œuvre sans fausse note.... Licorice Pizza, ça tient de la cacophonie. J'ai essayé trois fois d'aller au bout, mais sans succès.
RépondreSupprimerToute façon, tous les Anderson sont splendides ( Paul Thomas, Wes, Pamela...). Ne dit-on pas: La Splendeur des Anderson?...
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