NOUVELLE VAGUE est donc un film sur Jean Luc Godard qui réalise « A bout de souffle ». Un film 100 % français mais réalisé par un américain. Richard Linklater, un stakhanoviste de la caméra qui ne fait jamais rien comme tout le monde. On lui doit le triptyque BEFORE SUNRISE / SUNSET / MIDNIGHT réalisé entre 1995 et 2013 avec Ethan Hawke et Julie Delpy, ou BOYHOOD (2014) ce projet totalement fou tourné par intermittence sur une période de douze ans pour que les acteurs vieillissent réellement en même temps que les personnages. Il donne aussi dans l’animation, la rotoscopie (prise de vue réelle redessinée à l’ordinateur) comme APOLLO 10 1/2 ou WALKING LIFE. Il fait aussi des films normaux, comme le rigolo ROCK ACADEMY avec Jack Black.
Si à l’époque il y avait eu un making-of de « A bout de souffle », ça donnerait NOUVELLE VAGUE. On est dans le pur exercice de style, Linklater filme en noir et blanc, format 4:3, texture de pellicule ad hoc, on est replongé dans le jus. Si le film se focalise sur Godard, c’est avant tout le portrait d’une génération de cinéastes.
Comme son titre l’indique, le film rend d’abord compte de l'incroyable souffle créatif qui s’est abattu sur la France avant de se propager sur la planète entière. Une autre manière de fabriquer du cinéma, une autre manière de parler de son époque. Godard, par son radicalisme, ses postures, ses aphorismes, reste la figure de proue du mouvement, bien qu’il soit un des derniers à avoir tourné. Le film montre bien cette frustration du franco-suisse, jamais idolâtré (sa rouerie et sa condescendance ne sont pas évacuées) qui n’a que quelques courts métrages à son actif alors que Truffaut triomphe à Cannes.
Truffaut devait jouer le rôle du mec qui dénonce Poiccard (le personnage de Belmondo), Godard s’y collera finalement. Plus tard, on le verra interrompre son tournage pour aller voir Robert Bresson tourner PICKPOCKET dans le métro, à deux pas, les deux hommes y parleront de la vérité au cinéma. Et bien sûr, les visites à Jean Pierre Melville (joué par Tom Novembre) qui jouera dans « A bout de souffle » la scène à Orly.
Toute la préparation du film est disséquée, le montage financier, les sueurs du producteur George de Beauregard (Bobo dans le film), géniale scène du casting de l’opérateur Raoul Coutard (« moteur Raoul / ça tourne Jean Luc ») et déjà l’importance de l’attaché de presse, qui en accord avec Godard distille des fake news pour faire parler du projet. Et arrive le tournage, du jour 1 au jour 21.
Car Richard Linklater ne montre que le hors champ. On reconnaît toutes les scènes du film original, mais montrées du point de vue de la fabrication, jamais l’image finale, avec toutes ces idées géniales, les travellings en fauteuil roulant, en 2 CV, la caméra planquée dans un triporteur sur les Champs Elysées (« les figurants seront donc de vrais gens, on n’aura pas à les payer ! »). On voit les fureurs de Beauregard lorsque Godard ne tourne que deux heures par jour et congédie l’équipe (« Je n’ai plus d’idée, j’arrête, on verra demain… ») et la star américaine Jean Seberg, embarquée dans l’affaire par son mari d’alors François Moreuil, qui hallucine du chaos ambiant. Elle sortait de deux tournages avec le psychorigide Otto Preminger.
L'actrice est agacée de ce tournage sans scénario ni découpage, filmé en une prise, sans même que le réalisateur ne jette un oeil au cadre, et dirige techniciens et acteurs en direct, soufflant les répliques écrites le matin même dans son petit carnet. Le son a été entièrement synchronisé ensuite, ce qui permet à Belmondo de raconter des conneries à son aise. La scripte aussi s'étrangle plus d'une fois : « - Mais Jean Luc, son pull n’est pas le même ! - Et bien c’est qu’elle s’est changée ! ». Et le pauvre Pierre Rissient, premier assistant chargé du plan de tournage d’un tournage sans plan…
Puis les monteuses ahuries que Godard veuille tout garder, mais couper non pas avant ou après, mais à l’intérieur même des plans, les fameux faux raccords, pour respecter les 90 minutes. Et Belmondo là dedans ? Il est aux anges, il se marre...
NOUVELLE VAGUE est très énergique dans son montage, juvénile, respectant l'esprit de son sujet, le titrage en reprend la typographie de l’époque, une mise en abime plutôt fûtée. Une plongée dans le passé assumée
comme telle, maniaque dans le moindre détail, des bureaux des
Cahiers du Cinéma aux personnalités qui parsèment le film,
Rossellini, Melville, Cocteau, Gréco. Je suis bluffé par la
reconstitution. Images bidouillées au numérique ou réels décors maquillés, comme les Champs Élysées ou le Vieux Port de 1960.
Et qui ne donne qu'une envie : revoir encore et encore ce « A bout de souffle » dont on ne se lassera décidément jamais.








Critiques dithyrambiques partout. Parangon du cinéma spéculaire, symptôme d'un art qui n'a plus rien à dire? Pour continuer la mise en abyme, bientôt un film sur le spectateur qui regarde Linklater qui regarde Godard, puis inversion avec Godard qui regarde Linklater regardant le spectateur qui a vu le réalisateur qui a vu le réalisateur qui a eu l'ours de Berlin.
RépondreSupprimerLe tout mis en scène par Woody Allen?...
SupprimerDes cinéastes qui parlent de cinéma, ce n'est pas nouveau, reprocherait on à Truffaut ou Wilder ne ne pas avoir d'idées pour avoir tourné La Nuit Américaine ou Sunset Boulevard ? Ou Fincher avec Orson Welles. Ou à un peintre de faire des autoportraits ? Ou un romancier de parler de littérature ? En plus, Linklater, c'est justement le genre de type qui a plein d'idées ! Des films sur des films qui se font, il y en a eu pas mal ces dernières années. C'est devenu un genre en soi. Qu'un type, genre cinéaste indépendant, américain de surcroit, qui a surement eu sa vocation grâce à la Nouvelle Vague (quoi qu'on en pense) veuille faire un film évoquant cette génération, via la figure de Godard (qui était un "personnage" tout de même, quoi qu'on en pense, bis) c'est plutôt intéressant. Le film "Le Redoutable" de Hazanavicius convoquait aussi Godard, mais sous l'angle de l'ironie, un "à la manière de...". Dans les deux cas ce n'étaient pas des représentations respectueuses.
RépondreSupprimerOn ne s'énerve pas. C'était pour garder ma réputation de ronchonneur.
SupprimerJe ne m'énerve pas, je cause !
RépondreSupprimerIl paraît que Linklater est en pourparlers pour une bio sur le Boss
RépondreSupprimer(sur B. Springsteen)
Tu rigoles, mais il y a "Springsteen: Deliver Me from Nowhere" de Scott Cooper qui va sortir... Sur la période Nebraska. Les premières images ne donnent pas envie, mais bon, contractuellement je serai obligé d'y aller.
RépondreSupprimerAucun rapport... Shuffle, tu as déjà lu des bouquins de Hervé le Corre ? Je cherche des auteurs contemporains de Roman Noir, français.
RépondreSupprimerÉvidemment, quelle question.... Après la guerre et Cœurs déchiquetés. Mon avis, parfaitement argumenté et objectif, comme il se doit. Bof...Le second, je n'en ai aucun souvenir. Quant au premier, on frôle l'indigestion dans l'outrance et le gore: Bordeaux années 50, flics pourris, collabos....tu vois le genre. Le type a manifestement fait une fixation sur Ellroy, transposé sur les bords de la Garonne. Le Corre est (était?) prof d'histoire-géo, ce qui ne milite pas en sa faveur. C'est du noir à enquête bien basique avec du glauque pour faire moderne. Je préfère les polars, où l'enquête n'est pas vraiment le principal. Tu connais Jean-Bernard POUY?
RépondreSupprimerDe nom, oui pour Pouy. En polar, tendance Noir, en français, tu conseillerais qui ? Je relis mes Thierry Jonquet, je cherche des gars du même genre. Y'avait une excellente critique d'un roman dans Télérama il y a plusieurs mois, mais j'ai oublié de déchirer la page...
RépondreSupprimerPouy, c'est comme le cochon, tout est bon. La Belle de Fontenay, RN 86, Suzanne et les ringards, H4Blues. Tu as aussi Jean-François Vilar, plus "intello", mais vraiment bien. Fajardie, j'aime pas, Quadruppani non plus, ni Oppel. Chez les Ricains, si tu peux trouver Roger L. Simon, Le Grand Soir (avec Moses Wine, le seul détective juif et maoïste du genre....). Kent Anderson, Les Chiens de la nuit, Robert Stone, La ligne de fuite, excellents mais c'est pas vraiment du polar. Quoique... Je suppose que tu connais Crumley?
SupprimerListe très complète. merci.
Supprimer"Bleus, Blancs, Rouges", de Benjamin Dierstein, un pavé, mais très agréable à lire. Passionnant, saga historique entre satire politique et roman noir. Pas mal de souvenirs, la France policière et politique de 1978 à 1984.
SupprimerDierstein, mmouais... Si on veut du dialogue rentre-dedans un poil putassier type scénario (syndrome Ellroy après Lloyd Hopkins) pourquoi pas, mais le type (casquette, survet adidas, tatouages évidemment...) est tout sauf un écrivain. Et il n'a pas connu l'époque dont il parle, gros handicap. Je l'ai écouté à Mauvais Genres, le type est un faiseur. Emballé, c'est pesé.
SupprimerOu, hors domaine fictionnel, Les Oubliés d'Action Directe, de Richard Schittly. On connaît la fin (pour ceux qui n'aiment pas connaître la fin, dommage), mais le travail d'enquête est remarquable.
SupprimerNouvelle vague, si j'ai bien compris, c'est un remake du making of ?
RépondreSupprimerJe suis preneur, même si à peu près tout ce qui semble montré dans ce film (?) existe vraiment avec ceux qui ont tourné A bout de souffle dans les bonus des différents supports physiques.
A ranger pas loin de Heart of a darkness, le making of d'Apocalypse now, I suppose ...
Question subsidiaire, existe t-il ce genre de chose sur Fitzcarraldo, un des tournages les plus fadas jamais faits ?
Sur Fitzcarraldo, pas sûr, juste des petits bouts par ci par là. Mais j'avais vu un film documentaire de Herzog "Ennemis intimes" (1999) sur sa relation avec Kinski, avec plein d'archives. C'est hallucinant.
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