jeudi 30 octobre 2025

ÄNGLAGÅRD : Voyage dans l’histoire visuelle et musicale du rock progressif, par Benjamin


La porte de ce monde fut étrange, presque angoissante, un visage hurlant sous l’effet d’une sorte de décomposition cosmique. Puis, la curiosité éveillant bien souvent le courage des hommes, l’ouverture de cette porte vous laissait nez à nez avec une lune au sourire moqueur. Derrière elle, un chaos électrique aux riffs synthétiques porta une voix chantant vos névroses.

« Cat foot iron claw, Neuro surgeon scream for more, At paranoïa poison door, Twenty first century schizoid man »

Vous évoluez donc dans un décor aux couleurs sang rosé, symbole des rêves humains et de sa peine à les réaliser. Rapidement, la mélodie se fit douce, l’hystérie faisant ainsi place au deuil. Vos tympans exultèrent alors sous les caresses d’un jazz rock cotonneux, sensuel, douce union de la puissance rock et de la tendre beauté du jazz. L’univers que vous connaissiez jusque-là, les mélodies qui vous furent familières, tout cela semble fondre sous la chaleur envoûtante de ces mélodies duveteuses. Mais même la plus éblouissante des beautés est condamnée à se flétrir, les assauts barbares du temps ne se préoccupent nullement de la grandeur esthétique de ce qu’ils attaquent. Comme pour vous avertir gentiment, une voix d’ange déchu psalmodie : « And I fear tomorrow I’ll be crying », le tout sur fond de mélodie automnale. 

Mais avant la saison des pluies vient celle des rayons de soleil, nulle force ne doit mourir avant sa grande épiphanie. Se révéler à soi-même et au monde, voilà le devoir sacré de tout ce qui vit et de chaque chose créée. Et pour se révéler il faut avancer inlassablement, parcourir les routes dans l’espoir de trouver la sienne. Progressivement, les couleurs changent, les mélodies aussi, vous franchissez une étape tel l’homme achevant une de ses décennies. Le paysage s’est transformé, il devint presque banal, mais d’une banalité pleine de grâce. L’herbe verte donna ainsi une certaine gaieté à un décor brumeux. De grands cerfs marchaient nonchalamment dans ces plaines verdoyantes.

Quelle ne fut pas votre surprise lorsque, arrivant à l’une des extrémités de décors qui vous parurent infinis, vous vous rendirent compte qu’ils n’étaient qu’un des stalagmites de terre que vous voyez poindre à l’horizon, telles des lames verdoyantes flottant dans un néant grisâtre. D’une soyeuse douceur swinguante, la mélodie que vous entendîtes passa à une pyrotechnie symphonique portant une voix elfique et théâtrale. Comme pour vous inciter à plonger dans le néant brumeux, cette voix répéta son incantation hypnotique « I get high, I get down ». Alors, attiré par ce chant de sirène soutenu par une féerie symphonique, vous plongez gaiement dans ce néant qui est la grande peur de l’homme.

Car la nature n’est pas la seule qui ait horreur du vide, même si les progressions harmoniques de « Close to the edge » compensent quelque peu la stérilité d’un décor morne. « L’amour est comme le brouillard du matin » disait Bukowsky, vous incitant ainsi à vous déduire qu’il s’évaporait de manière aussi soudaine et incompréhensible qu’il était apparu. Alors que la grisaille venait de vous mener à cette sombre réflexion, elle disparut rapidement pour laisser place à un ciel azuré. Votre chute se termina dans une eau douce, immersion de quelques secondes noyant vos ténèbres dans le son du silence. L’instinct de survie se montrant souvent plus fort que les élans morbides, les nécessités vitales obligèrent votre corps à s’extraire de ce silence asphyxiant.

Alors que vous n’aviez pas encore ouvert les yeux, vos oreilles savourent déjà la théâtralité baroque du « Supper’s ready » de Genesis. Sur la côte, vous apercevez les profils imposants de charismatiques conquérants anglais. Un peu plus loin, au milieu d’une ile située au milieu de cette eau douce , une femme en robe rouge et à tête de renard chante une mélopée romantique inspirée par une symphonie électrique, que vous dégustez avec le bonheur du nageur faisant la planche pour profiter de la douce chaleur du soleil.

« Walking accross the sitting room, I turn the television off, As the sound of motocar fade in the night time, I swear I saw your face change, it didn’t seem quite right, And its’ hello babe, with your guardian eyes so blue, Hey my baby , don’t you know your love is true »

Mais, alors que vous auriez voulu que cette volupté sonore ne s’arrête jamais, un froid aussi soudain que vif fit fuir aussi bien les fiers cavaliers, qu’une chanteuse au visage animalier semblant s’évaporer dans le bleu de l’horizon. Vous nagez alors vers les côtes, pour découvrir que des buildings trônent sur ces terres que vous pensiez inhabitées. Pour donner un fond sonore à la froideur du climat et à la laideur bétonnée de ces bâtiments, une glaciale mélodie synthétique prit la place de votre chère chaleur orchestrale. 

Progressivement, vous vous levez, votre nudité montrant une faiblesse absurde face à la résistance imposante de ces tours disgracieuses. Ce que vous entendez ne vous est pourtant pas inconnu, une certaine grandeur venue du passé nourrit la froideur ultra moderne de ces mélodies robotiques. La poésie, chant de l’innocence, survit paradoxalement malgré les morsures venimeuses de ces serpents d’acier que sont les synthétiseurs. Telle une enfance tardive, cette poésie prend les traits d’un enfant en costume de hussard vous toisant d’un regard plein de reproche. Et l’enfant se mit à chanter sur fond de musique aussi riche qu’entraînante, aussi froide que mélancolique, le chant de l’éden perdu de l’enfance.

« And it was morning, And i found myself mourning, For a childhood that I thought had disapear »

Puis les formes se mirent à se brouiller, les immeubles gondolaient avec la lascivité hypnotique de danseuses du ventre indiennes. Vous étiez en train de vous réveiller d’un rêve que vous n’auriez jamais voulu quitter. Vous relevant au milieu de cette chambre que vous n’étiez plus sûr de connaître, vous remarquez alors une porte arborant fièrement un soleil d’un marron sombre en guise de blason. N’en étant plus à une hallucination près, vous saisissez la poignée pour découvrir ce qu’il se cache derrière cet emblème. 

S’ouvre ainsi à vous un monde fait de plaines verdoyantes, une vaste forêt suédoise dans laquelle vous vous empressez de vous perdre. Comme sortie de l’écorce de ces arbres à la hauteur vertigineuse, la mélodie que vous entendez vous ramène aux fresques chaleureuses qui marquèrent le début de votre voyage. Gravée dans le bois de ces arbres centenaires, une inscription donnait un nom à cette renaissance d’une grandeur perdue. Le clavier de cette musique se fit plus grandiloquent lorsque, plantée au milieu de cette étendue verdoyante, la statue des trois visages illustrant l’album trilogie vous fit face, véritable version musicale des statues de l’ile de Pâques. 

Car le rock progressif, dont vous visitiez les paysages musicaux et artistiques, est depuis toujours une île merveilleuse menacée par les assauts du nihilisme. Änglagård fut le nom du progrès dans la tradition, le cri de guerre de musiciens armés de la lutherie et de l’inventivité insatiable de leurs aînés.

Aussi belle soit elle, cette mélodie baroque et champêtre eut dès le début la nostalgie des chants de deuil. Comme sorti du bois où il fut immergé, le triste soleil que vous vites sur la porte de ce monde imposa son visage torturé sur tous les trônes de cet Eden boisé. Cet emblème dégagea une chaleur de plus en plus forte, qui finit par mettre le feu à ces gigantesques piliers de l’architecture terrestre. Toujours aussi chaude, la musique que vous entendez a désormais la noirceur d’un requiem électrique, comme si quelqu’un voulait vous prévenir que ce rêve touchait à sa fin. 

Fuyant la fumée suffocante s’échappant des arbres calcinés, vous apercevez un feu de camp au milieu d’une espèce de jardin à l’herbe asséchée par le soleil. Pensant trouver là un guide, vous découvrez qu’un masque au visage endeuillé que les flammes dévorent progressivement. Comme annonciatrice des rêves à venir , la fumée de ce drôle de sacrifice vous monte à la tête pour vous annoncer les rêves à venir. Défilent ainsi devant vous les images évoquant les grands albums du renouveau progressif, la cabine téléphonique de « The sky move sideway » de Porcupine Tree, la galaxie de « Stardust we are… » de The Flower Kings

Ce renouveau ne fut invoqué que par une grandiose formule hors des âges : Änglagård 

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