mercredi 11 juin 2025

Samantha FISH " Paper Doll " (2025), by Bruno



     Mine de rien, la petite Samantha enjambe les printemps comme si de rien n'était. Depuis l'éclosion, il y a une quinzaine d'années, de jeunes damoiselles chanteuses-guitaristes-compositrices, dont une bonne partie à été soigneusement encouragée par le label Ruf Record, elle est l'une des rares à avoir su pérenniser sa carrière. Pas nécessairement parce qu'elle serait la meilleure instrumentiste ou chanteuse, mais surtout parce qu'elle a su varier les plaisirs sans jamais se compromettre. Goûter à d'autres fruits sans jamais perdre sa personnalité. Nageant dans diverses eaux dont la source remonte immanquablement au Blues.

     Une carrière qui débute tout de même il y a plus d'une quinzaine d'années, alors qu'elle n'avait pas encore vingt balais. Son premier disque, depuis longtemps épuisé et introuvable, date lui de 2009. Depuis lors, elle s'est efforcée de réaliser des disques qui ne soient pas des copies ou des relectures des précédents. Pour ce faire, elle s'est risquée à emprunter quelques chemins de traverse, glissants et épineux, qui n'ont pas toujours fait l'unanimité. Ainsi, à chaque nouvelle réalisation, et ce dès 2013 avec un "Black Wind Howlin' " aux allures de Stoner-blues et aux parfums de souffre, elle a dû braver les critiques, courrouçant d'un côté sa fan base et de l'autre élargissant son public. Finalement, ce goût de l'aventure musicale - qui n'a néanmoins jamais vraiment coupé ses liens avec le Blues - n'a pas tardé à payer puisque Fish S. doit être probablement l'artiste féminine - genrée au Blues - la plus capée de ces dernières années. Avec en sus, quatre albums qui sont montés au sommet des charts Blues américains. Marché saturé, où l'on croise le meilleur comme le pire.


   Après une parenthèse en duo avec Jesse Dayton, concrétisée par l'album (un peu surestimé) "Deathwish", Samantha reprend les rênes. D'une certaine façon, c'est un retour en arrière : elle a remonté le courant pour revenir à un Blues-rock brut, d'os et de rouille, descendant direct de "Black Wind Howlin'".

     Toutefois, à la différence de ce dernier, Samantha a les escarpins moins lourds sur la fuzz (elle a longtemps usé une Fuzz Factory de Zvex avant de passer à des trucs plus modérés... quoique sa remplaçante, la mini Foot Fuzz de Jhs ne sait pas trop se tenir, bavant, postillonnant outrageusement), préférant apparemment plus se reposer sur une grosse overdrive. Autre dissemblance avec le troisième opus, un chant nettement plus libéré et décomplexé. Fait flagrant dès "Lose You", étonnant blues-rock trempé de Rock-garage "terroir - Detroit City". Plus flagrant encore sur "Off in the Blue", pièce naviguant délicieusement entre Blue-eyed Soul et Americana, - aromatisé de Chris Isaak - où elle se laisse emporter par le chant, comme une hirondelle par les premières brises printanières. Tandis que sur le Blues psychédélique "Fortune Teller", se traînant au milieu de lourdes volutes d'encens hallucinogène, elle semble fragile, accablée, se livrant sans fard dans une confession épuisante et douloureuse ; avant de reprendre le contrôle, et se révéler mordante, redoutable même, dans une envolée explosive. "Mon cœur et mon âme, je te voulais pour toujours ; tenant l'espoir dans mes mains, glisse comme le sable du désert, comme les signes qui nous liaient ensemble. La vérité, la vérité, l'affreuse vérité, laisse-moi vivre à l'intérieur de mon joli mensonge... Je ne peux appeler aucun prêtre ni sorcière ! Coupe la corde et creuse le fossé ! Tue mon amour. Hurlant dans l'éther, ma dévotion comme une fièvre, tue mon amour. J'ai cru autrefois au fantasme... Enfonce le clou dans le cercueil. Maintenant ! Avant que je ne perde le contrôle, mets cet amant six pieds sous terre et laisse les os refroidir. Et remets mon cœur dans une boîte, dessine un cercle dans le sel, tue mon amour !". Un Blues tellurique et sulfureux, du Hill country blues à la Cedric Burnside. (Elle avait précédemment repris "Poor Black Mattie" du grand-père de Cedric, R.L. Burnside). Sur "Rusty Razor", sorte de blues punk en duo avec Mick Collins (un vieux millésimé 1965, une figure de Detroit, qui aboie comme un garnement insolent), elle rugit telle une lionne acariâtre, et quelque peu lascive.

     D'autre part, l'orchestration n'a alors jamais sonné aussi soudée et "live". En toute logique puisque cette fois-ci, pour l'intégralité de l'album, c'est bien son (nouveau) groupe de tournée qui est sollicité. Avec pour conséquence, des musiciens sensiblement engagés et concernés, apportant un petit plus - qui peut faire, plutôt deux fois qu'une, défaut sur bien des enregistrements reposant sur le seul nom d'un artiste. Jamie Douglass, en l'occurrence, déroge à l'occasion à certaines règles soudées au Blues et consorts, s'octroyant quelques fantaisies - et quelques séquences de cogneur qui pourraient brusquer les oreilles sensibles, attachées à la tradition. C'est lui qui aide à envoyer "Can Ya Handle The Heat ?" dans les bras velus, bardés de cuir clouté, d'un heavy-blues-rock teigneux, suant le Hard-blues, lui donnant du nerf, de la vitalité - ses cymbales s'en souviennent 😉. 


   Il y a également l'omniprésence des claviers 
d'obédience "vintage" - Hammond, Fender Rhodes, Wurlitzer - mais jamais poussiéreuses de Mickey Finn - déjà de la partie depuis le projet Fish-Dayton -, qui, loin de l'alléger, étoffe l'ensemble, lui donnant un peu plus profondeur - quand il ne s'en détache pas pour quelques rares mais vigoureux soli. Apportant occasionnellement autant des effluves marécageuses que quelques assaisonnements ouatés.

     Evidemment, les guitares de Dame Fish S. y sont pour beaucoup, avec un son plus mat et un poil plus gras et rugueux qu'auparavant. Son coup de cœur pour une Gibson ES-335 (robe Silver Sparkle - pailletée gris alu) - offerte (!) - a dû faire pencher la balance. D'autant qu'on a pu aussi la voir sur scène délaisser ses grattes typées Telecaster (principalement équipées de humbuckers, dont des Wide Ranger), ou ses Fender Jaguar, au profit d'une Gibson SG.

     Malheureusement, même Rounder Records, bien qu'auréolé d'une sérieuse réputation de maison intègre, plus au service des artistes que des financiers, s'abaisse à présenter deux éditions différentes. L'une enrichie d'un dixième morceau : "Don't Let It Bring You Down" de Neil Young. Une version électrique et allongée, qui pourrait bien surclasser l'originale. Une version rendant impérative l'acquisition augmentée. Crénom, cette relecture réhaussée d'orgue Hammond me met en joie (y'en a besoin).

     Dixième album, vraisemblablement le plus personnel. C'est d'ailleurs elle-même qui le dit : "j'ai pris tout ce que j'avais et je l'ai mis sur la table". Il est trop tôt pour porter un jugement définitif, mais ce qui est sûr, c'est que ce dernier opus se place parmi les meilleurs de la dame. Et puis, lorsqu'un album finit par tourner en boucle maintes fois dans la journée, et ce depuis plusieurs jours, devenant presque addictif, c'est qu'il doit avoir certaines qualités. Des qualités pas nécessairement quantifiables ou explicables, mais simplement ayant cette particularité insondable de toucher une corde sensible. Plus en adéquation avec l'instinct, l'inconscient. N'est-ce pas d'ailleurs une des particularités du Blues ? 

Le groupe

   Parce qu'elle avait annoncé qu'elle avait laissé libre cours à sa guitare, lui laissant plus de place qu'auparavant, on craignait un disque écrasé par des soli étirés, démonstratifs, or il n'en est rien. Si effectivement, elle a lâché la bride à ses instruments, pas une seule fois elle ne saoûle, gave ou ennuie. A l'exception de quelques soli bien trempés, ce sont plus généralement des interventions, des chorus qui répondent au chant et qui se noient dans l'ensemble. Ou du moins, qui ont la délicatesse de ne pas monter le volume pour écraser les collègues. Un très bon album de Rock, qui transpire copieusement le Blues, ou l'inverse.




🎶🐟
👌 Samantha FISH encore (clic/liens) : 
-  "Black Wind Howlin' " (2013)
-  "Wild Hearts" (2015)

2 commentaires:

  1. vue au Trianon avant-hier et Samantha, dans son ensemble blanc de toute beauté, confirme qu'elle est une des plus grandes artistes féminines actuelles. Elle a envoyé du bois comme on dit ce qui a pu désarçonné ses admirateurs du début, mais qu'est-ce que c'était bon pour mes vieilles esgourdes....

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    1. Il est vrai que Samantha revendique parmi ses influences, au milieu des grands maîtres du Blues, Black Sabbath 😁
      De mémoire, elle reprenait même "War Pigs".
      (hélas, peu de dates en France... 🥴)

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