mercredi 18 juin 2025

Joe Louis WALKER " Weight of the World " (2023) - R.I.P. 25.12.1949 - 30.04.2025 - [ by Bruno ]

 


     Il y a des gars, comme ça, qui en dépit d'un riche parcours parsemé d'anecdotes et de rencontres, d'infortunes et de succès, ont toujours gardé la tête froide. Louis Joseph Walker Jr. était de ceux-là.

     Né à San Francisco un 25 décembre 1949, le jeune Louis s'initie à la musique grâce aux disques de Blues de son père (un adepte du Blues animal de Howlin' Wolf), puis grâce à sa grand-mère qui l'intègre à la chorale de la congrégation pour chanter le Gospel. A huit ans, il commence son apprentissage à la guitare. Après quoi, il ne tarde pas à faire ses premiers pas avec les cousins et le voisinage.

     A seize ans, il quitte le domicile familial (1) et doit se débrouiller pour gagner sa croûte, sans pour autant lâcher la musique, ce Blues chevillé au corps. Et déjà, dans la seconde moitié des années soixante, en se produisant régulièrement avec quelques formations dans les clubs de San Francisco et d'Oakland, il gagne une petite réputation scénique. Une mince notoriété mais suffisante pour jouer ou ouvrir (avec "son" groupe) pour Steve Miller Band, John Mayall, John Lee Hooker, Otis Rush, Muddy Water, JJ Malone, Thelonious Monk, Earl Hooker, et même Jimi Hendrix. En 1968, il fait la connaissance de Mike Bloomfield, qui va devenir son ami et mentor. Bloomfield sera comme un grand-frère prévenant, et tout deux partageront même un appartement pendant près d'une année. Bloomfield lui présente Charlie Musselwhite qu'il va accompagner en tournée au début des années 70. Ce qui lui permet de se produire pour la première fois, hors de la Californie.


   Cependant, il finit par déchanter. La vie nocturne,
 les groupes sans lendemain, le fait de rester dans l'ombre de ceux qu'il accompagne, l'insécurité financière, et puis la déchéance de Mike Bloomfield, accro à l'héro, l'incitent à quitter la musique. Et en 1975, à 26 ans, il reprend des études (il finira diplômé d'Anglais et de Musique). Toutefois, bien que suivant scrupuleusement les cours, il ne peut réprimer son besoin viscéral de communier avec la musique. Une reprise qui le ramène à son enfance, en intégrant un groupe Gospel. En 1980, avec la formation The Corinthians, il enregistre l'album "God Will Provide" (album obscur, sorti sur un label qui l'est tout autant - introuvable).

     Ce n'est que quelques années plus tard, - la légende raconte que ce serait à la suite d'une prestation au New Orleans Jazz Fest -, que le démon du Blues l'étreint à nouveau. Sauf que désormais, le leader c'est lui. Ses prestations remarquées et saluées, avec son groupe, les Bosstalkers, incitent le jeune label d'Oakland, Hightone Records (qui a déjà fait un gros coup en signant et lançant Robert Cray), à lui proposer prestement un contrat d'enregistrement. Les trois albums qui vont suivre sont bien accueillis par la presse spécialisée, plaçant Joe Louis Walker parmi les meilleurs espoirs, avec Robert Crayde Blues contemporain de la décennie. Un live en deux volumes, "Live at Slim's", témoigne de l'énergie et de la maîtrise de Joe Louis. Il obtient la reconnaissance de ses pairs, et "pères" (du Blues), qui l'invitent à faire une apparition sur leurs disques ou à les rejoindre sur scène. Ainsi, à l'aube des années 90, sa place sur la scène Blues a pris une place considérable. Suffisamment pour que l'équipe "Gitanes Jazz Productions" de Verve l'invite à rejoindre leur écurie. 

     Avec "Blues Survivor" (1993), le Blues de Walker s'enrichit, se pare de nouvelles teintes classieuses issues de la Soul et du Jazz. Un très bel album (certains le considèrent comme l'un de ses meilleurs, voire tout simplement son meilleur) qui permet à Walker de s'ouvrir à l'international. Cependant, l'objet ne fait pas l'unanimité, certains puristes lui reprochant une production trop clinquante (de John Snyder) et une orchestration parfois "trop riche". Après un "JLW" passable (de 1994), "Blues of the Month Club", nimbé d'un léger parfum "Stax", avec mister Steve Cropper à la production, le présente particulièrement en verve. Et puis, comme c'est la tendance de ces années-là, il sort un album avec une pléiade de guests pour un résultat (forcément ?) bancal - brassant des moments forts avec d'autres convenus et autosuffisants, avec notamment quelques soli poncifs s'étirant inutilement. En dépit de certaines critiques tenaces, JLW rayonne lors de cette décennie clé, avec des albums qui, s'il peuvent parfois se révéler inégaux, offrent toujours des Blues de qualité, colorés de rhythm'n'blues, de Soul et plus rarement de réminiscences jazzy. Sans égaler en notoriété les "jeunes" Robert Cray, surtout, et Lucky Peterson, il est un acteur majeur d'un Blues moderne, contemporain, en entretenant une sorte de synthèse entre la tradition d'un Blues west coast et d'un Chicago-blues West side, avec quelques éclats rugueux certainement hérités des longues écoutes des disques du Wolf du paternel ; le tout agrémenté à l'envie d'ingrédients Soul, Rhythm'n'blues et Jazz, avec, exceptionnellement, quelques scories venues du Gospel. Parfois avec une approche nuancée pop, voire "FM", qui put déplaire. En même temps, ce développement d'un Blues moderne ne l'empêche aucunement de sortir une acoustique ou un dobro pour un Country-blues bien senti, et respectueux - entre Taj Mahal et Keb' Mo.


   Hélas, tout comme son collègue de la maison Verve, le  "modernisateur", Lucky Peterson, le nouveau siècle est un sombre tournant, un déclin. Des soucis de santé et personnels grèvent sa carrière. Entre des prestations pouvant virer à la semi-catastrophe et une partie de sa production discographique (qui demeure, malgré tout, assez conséquente) manquant de pertinence, le public commencent à se détourner de ce bluesman. Il y a pourtant quelques disques, comme ce remarquable "In The Morning", qui démontrent que le feu magique peut encore jaillir de Joe Louis Walker. Malheureusement, l'adhésion du public se réduit comme neige au soleil, et son instabilité, ses changements permanents de labels ne font qu'accélérer cette déliquescence, se désintéressement du public.

     Et puis, finalement, alors qu'on aurait pu croire que ce vieux marcheur n'avait plus vraiment rien de particulièrement intéressant à exprimer, se reposant essentiellement sur son passif, à 62 ans, il refait soudainement surface. Revenant quasiment du jour au lendemain, en 2012 avec le réjouissant "Hellfire", dans l'actualité d'un Blues moderne qui, décidément, n'en finit pas de se regénérer. Son intégration au sein du fameux label Alligator Records paraît lui avoir redonné énergie et confiance. A nouveau, sans complexes ni apriori, il brasse les genres pour créer sa propre mixture Blues. Jamais jusqu'alors, Joe n'avait sorti un disque aussi puissant. En général, la presse est unanime pour encenser ce retour. Le succès de l'album fait d'ailleurs suffisamment écho pour que Joe Louis Walker soit intronisé l'année suivante au Blues Hall of Fame, et nominé à quatre reprises aux Blues Music Awards 2013. Deux ans plus tard, toujours sur Alligator, "Honest's Nest" maintient le cap, taquinant même à quelques rares occasions le heavy-rock. Ce qui fâche certains qui l'accusent d'opportunisme. 

     Après un "Everybody Wants a Piece" (chez Provogue), un peu chargé par une production trop appuyée, pour un rendu assez "lourdaud", Joe se fait plus rare, jusqu'à un retour discographique sur Cleopatra Records ; label pas vraiment connu pour faire dans la dentelle et le subtil. Certes, si à plus de soixante-dix ans, Walker affiche une forme remarquable et enviable, cherchant encore à enrichir son vaste répertoire par à nouveau un bel éclectisme, ses deux réalisations (de 2020 et 2021) sont grevées par trop de morceaux aux traits forcés. 


   Mais en 2023, il rentre chez Forty Below et sort un superbe album : "Weight of the World". Un disque plus en phase avec l'ère "Gitanes Jazz - Verve", revitalisant un Blues dit "contemporain", trouvant, encore une fois, un juste équilibre entre la tradition d'un Blues classieux, entre West-coast et South side, et une ouverture sur l'extérieur. Un disque en partie mu par une forte envie de vivre, de respirer, de profiter de la vie, malgré les années précédentes ternies par l'anxiété, les doutes et les confinements successifs. La voix révèle parfois quelques menues faiblesses, la guitare est souvent moins vive et percutante, la saturation (crémeuse) de l'ère Alligator n'est plus, les rythmes sont en général un peu plus lents, pourtant ce dernier disque n'en est pas moins stimulant, revigorant comme un soleil printanier. Même la tristesse sous-jacente de "Hello, It's the Blues", ballade aux accents de gospel, suggérant la sensibilité de Nina Simone, finit par réchauffer ; le morceau est la vision de Blues de Walker, de sa faculté à soutenir lorsque, dans les moments durs, pénibles, on a besoin de réconfort, d'être soutenu. Même son solo de guitare acoustique (cordes nylon) charrie en même temps tristesse, mélancolie et félicité. Tandis que "Don't Walk Out That Door" est une chanson de rupture teintée d'espoir, d'optimisme. Saine vibration Soul, chassant les ombres d'un monde en perdition, saturé d'égoïsme et de cupidité. 

     La chanson éponyme elle-même est à mi-chemin de la ballade et d'une Soul stimulante, véhiculant l'espoir de jours meilleurs. Sans ostentation ou pathos, avec son orchestration veloutée, mesurée et rayonnante, elle est comme le sourire d'une jeunesse insouciante, pas encore corrompue par les maux et les vices des hommes, croquant la vie à pleines dents. Est-ce encore du Blues stricto sensu ? Qu'importe ! 

     Le vigoureux "Waking Up the Dead", malgré son Farfisa, est plus dans les codes. Dans le genre Chicago blues des Muddy Waters et Howlin' Wolf. Et le vif "Count Your Chickens" s'enveloppe d'un manteau funky et de parfums à la Lucky Peterson. Tandis que sur "Blue Mirror", Joe retrouve une seconde (ou cinquième) jeunesse. Sa guitare pétarade sur ce Boogie à faire saliver d'envie Francis Rossi et feu Rick Parfitt. Six minutes intenses où Joe démontre pourquoi il fut longtemps considéré comme l'un des grands guitaristes de Blues.

     Du côté de chez "Stax", "Is It a Matter of Time ?", aurait pu être une pièce de choix des sessions de "Blues of the Month Club". Du côte de chez Encino (3), le soyeux "You Got Me Whipped", clôturant l'album dans une atmosphère feutrée et apaisante, permettant de rappeler combien, là aussi, JLW est également parfaitement à l'aise dans ce genre d'exercice.

     Au contraire d'une grande majorité de musiciens, Joe Louis Walker, s'il était loin d'égaler en notoriété Robert Cray, aura tout de même réussi à clore sa carrière discographique par un excellent album, que certains considèrent comme l'un de ses meilleurs. Malgré des soucis de santé, il continue à se produire jusqu'en 2024 (dont plusieurs dates en Europe, et en France, profitant des festivals), jusqu'à ce que sa maladie cardiaque l'oblige à tout arrêter. Il décède le 30 avril 2025.

     Maintenant que Joe Louis Walker est parti, peut-être qu'on va réaliser le grand bluesman qu'il était - il aura tout de même gagné à six reprises un Blues Music Award, en plus de son intronisation au Blues Hall of Fame. Osant se remettre en question, cherchant à se renouveler, sans se renier, toujours mu par une saine curiosité entraînant une certaine ouverture d'esprit, qui rejaillissait sur un Blues personnel, à la fois évolutif et pourtant jamais déraciné. Certes, quelques albums moyens pénalisent une longue discographie de plus de vingt albums, mais il y a suffisamment de pépites pour l'ériger parmi les acteurs notables d'un Blues contemporain. De ceux qui n'ont pas cherché la sécurité en se calant dans un style figé, rabâchant indéfiniment les mêmes recettes. 


(1)  On a parfois pu lire que, sans plus de précisions, ses parents l'auraient mis à la porte. Cependant, comme beaucoup de biographies se rapportant aux bluesmen, on a aussi pu lire de tout et (parfois) n'importe quoi dans les articles le concernant (presqu'une tradition dans le Blues, qu'avait d'ailleurs voulu reprendre les trois loustics de ZZ-Top en brouillant volontairement les pistes). Certains ayant même relaté une incorporation dans l'armée. Ou encore une colocation avec Mike Bloomfield qui se serait terminée peu avant le décès de ce dernier. 

(2) le label qu'avait intégré John Mayall, mais aussi celui de Charlie Musselwhite, Kevin Bacon, Sugaray Rayford, Philip Sayce, Danielle Nicole et de Sam Morrow.

(3) Ouais, ça ne sonne pas terrible, c'est juste une référence au quartier de Los Angeles où une partie de l'album a été enregistré. Aux studios Forty Below, dans le quartier d'Encino.



5 commentaires:

  1. Je confirme. Je dois en avoir un paquet, dont la période Gitanes Verve, assez "clinquante" en effet. Après, je reconnais avoir décroché, ça sentait un peu le réchauffé. La période Live at Slim's est plus rugueuse. On reconnaît très facilement Walker à sa voix haut perchée.

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    1. Pareil. J'avais également décroché à la suite de quelques albums de ce siècle, plutôt convenus, sans grande originalité. Dont l'un d'eux avait pourtant été encensé par une presse spécialisée... et, passablement déçu, vite rangé, pour prendre la poussière 😒 à réécouter peut-être.
      Tandis qu'à l'inverse, la même presse avait assassiné "Hellfire" que, personnellement, je placerai parmi ses plus belles réussites. A réécouter peut-être 😁

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  2. Shuffle Master.18/6/25 08:55

    L'anonyme était Shuffle. Qu'on se le dise. Je me rate régulièrement avec ces ajouts de commentaires.

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  3. Mince alors, je n'étais pas au courant de sa disparition. Je suis d'accord sur le com, la discographie de JLW est assez abondante mais irrégulière. Moi j'ai un faible pour sa période Dixiefrog avec les albums "Witness to the blues" et Between a rock" moins bourrin que ces dernières parutions, exception également pour "Hellfire" très rock qui déménage bien tout en étant bien maitrisé. Vu en concerts deux fois, JLW était également un vrai bon rockbluesman sur scène

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    1. Jamais écouté - ni même vu/trouvé - ce "Witness to the Blues", mais "Between a Rock and Blues" m'avait un peu déçu.
      De mémoire, c'était toujours du bon Blues, d'un certain niveau et sans esbrouffes (quoique), mais, j'sais pas. Il semblait plus "plan-plan".
      Mais parfois, on attend trop d'un artiste, on s'attend trop à ce qu'il fasse au moins aussi bien sinon plus que précédemment. Dur, la vie d'auteur-compositeur interprète.

      Sauf pour les intimes, son récent décès fut une surprise tant le temps ne semblait pas avoir d'emprise sur Joe Louis.

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