vendredi 16 mai 2025

VERA CRUZ de Robert Aldrich (1954) par Luc B.

 

C’est ce que j’appelle un film de chevet, pas un chef d’oeuvre, mais un film que j’aime revoir assez régulièrement, on ne s’en lasse pas. Et que j’ai eu le bonheur de redécouvrir en salle, avec son cadrage d’origine, le 1:2.00 : le SuperScope. Un bidule bricolé pour concurrencer le CinémaScope, qui est plus large (ratio de 1:2.39) mais qui avait comme inconvénient d'avoir été breveté, donc payant ! Le Superscope était une alternative, qui utilisait toute la largeur de la pellicule en rognant sur la bande son, et à la projection on agrandissait le tout avec une optique anamorphique. 

Un peu bancal et rapidement abandonné, VERA CRUZ doit être le seul film connu filmé avec cette technique hydride. 

Si VERA CRUZ n’est pas un chef d’oeuvre, c’est un jalon important (primordial ?) dans l’histoire du western, ce genre historique que certains n’ont pas cessé de dynamiter, de Leone, Peckinpah ou Tarantino. Le film de Robert Aldrich préfigure le western spaghetti (on y voit déjà Charles Bronson, jeunot, qui y joue de l’harmonica !), avec ce mélange de violence, de cynisme et d’humour, ses cadrages alambiqués, et surtout les caractères des héros, au plutôt des anti-héros. C’est là l’apport évident de VERA CRUZ sur le western, dont certaines caractéristiques, voire des scènes entières, se retrouvent dans LA HORDE SAUVAGE (les tueries à la mitrailleuse, le Mexique vu comme un immense bordel, la torture, la corruption, la quête du fric comme seule philosophie de vie).

L’action se passe au Mexique, peu après la guerre de Sécession. De nombreux soldats y venaient louer leurs services. C’est le cas de l'idéaliste Benjamin Trane (Gary Cooper), ex-officier sudiste, donc un looser (ce qu’on ne manquera pas de lui faire remarquer à plusieurs reprises) qui a besoin de retrouver une cause à défendre. Ce sera celle de la Révolution, du général Ramirez, partisan de Benito Juárez, qui lutte contre l’empereur Maximilien. Il croise sur sa route Joe Erin (Burt Lancaster), un aventurier sans scrupule.

Dès le départ, la rencontre des deux hommes donne le ton, un humour brodé d'ironie, qui ne se démentira pas. Il n’y a pas un plan où sous couvert d’amabilités, ces deux là ne veulent s’entretuer ! Trane laissera Erin errer en plein désert, lui confisquant son cheval, pour rejoindre la prochaine ville. Les complices de Joe Erin reconnaissent le canasson et en concluent que leur patron a été tué par Trane. Qu'ils s’apprêtent à lyncher dans un saloon, quand à la porte apparaît un Erin goguenard, ravi du quiproquo, se régalant du spectacle !

Trane et Erin vont finalement monnayer leur talent dans le camp adverse, celui de Maximilien, qui paie davantage. La scène, au coeur d'un village, est fameuse. Elle oppose la probité de Ramirez, qui lutte pour la liberté de son peuple, à la sauvagerie des mercenaires. Sous couvert de mettre des enfants à l’abri, les hommes de Joe Erin (dont évidemment le génial Ernst Borgnine, toujours dans les bons coups !) s'en servent comme bouclier et menacent de les abattre si Ramirez ne retire pas ses hommes. Des centaines de combattants que l'on découvre avec un magnifique panoramique circulaire, qui donne le vertige, au fur et à mesure qu’ils apparaissent perchés sur les murs, les toits. On reverra une scène pareil dans BUTCH CASSIDY.

Derrière la caméra, c’est Robert Aldrich, dont on a déjà parlé ici. Un dynamiteur de genre, un franc tireur, qui a eu quelques belles réussites en début de carrière, BRONCO APACHE, ATTAQUE, EN QUATRIÈME VITESSE, QU’EST-IL ARRIVE A BABY JANE. Il va s’appliquer ici à corrompre les règles très codifiées du western, en injectant ironie, cynisme, violence parfois sadique (plan sur Lancaster qui transperce d'une lance un type presque mort). Les relations entre Trane et Erin annoncent celles d’Eastwood, Wallach et Van Cleef, dans les films de Leone, avec des répliques qui font mouche. Deux hommes qui s’engagent dans l'aventure avec un contrat de confiance qui ne demande qu’à être déchiré à la première occasion. Quand Erin demande à la comtesse 
« Pouvons nous avoir confiance ? » elle réplique illico « Et moi, puis-je VOUS faire confiance ? » à quoi il répond : « Hum, je vois qu'on parle la même langue... ».

Une séquence montre les mauvaises manières d’Aldrich, lors de la réception chez Maximilien, où la bande de hors la loi dézinguent les codes de la bonne société. Lancaster, coiffé comme un cul et sourire Colgate, reluque grossièrement les femmes, siffle des coupes de champagne comme des shoots de téquila, croque à pleine dents dans des poulets entiers (un de mes fantasmes). Les deux mercenaires ne sont pas les seuls à donner dans la veulerie, tous les personnages du film hissent la malhonnêteté en art majeur, de Nina la paysanne cleptomane aux mains baladeuses (d'où les accusation de racisme, bouhhh, les mexicains ne sont pas tous des voleurs...), le marquis Henri de Labordère faux-cul comme pas deux, la comtesse Marie Duvarre, garce de première, dont les causes politiques pèsent moins que la cargaison d’or planquée dans le double fond de sa berline.

Labordère, Duvarre, ça sonne très français... Car Napoléon III avait quelques intérêts là bas, allié de Maximilien l'autrichien, pour contenir la révolution de Juàres. Ce qui nous vaut quelques dialogues dans la langue de Molière, d’autant que Benjamin Trane est natif de la Nouvelle Orléans. Magnifique réplique de Duvarre (Denise Darcel, vue aussi dans CONVOI DE FEMMES de Wellman) qui après avoir galoché Lancaster lance dans un soupir : « Vous êtes né américain, mais votre coeur est si français ».

Il est donc question d’or, par millions. Pour financer la contre révolution ou finir dans les poches du plus habile… Une fois le décor posé, VERA CRUZ verse dans un formidable film d’aventures qui enchaîne les scènes de bravoures, magnifiquement filmées par Aldrich, qui trouve toujours des angles de caméra incroyables, de fortes contre-plongées, des amorces de cloches en haut d'un clocher. Des plans très courts, un montage heurté, ça défouraille du feu de dieu. Mention spéciale pour l’embuscade en plein village, et la dernière séquence qui renvoie à LA HORDE SAUVAGE de Peckinpah, je ne sais pas lequel des deux films aligne les plus de cadavres !

 
Robert Aldrich sait calmer le jeu aussi, comme ce superbe long travelling arrière qui suit Nina et Trane en conversation, ces moments de danse entre mecs au son de l’harmonica, le danseur noir Ballard habillé d’une veste nordiste, petites parenthèses avant le chaos final. Qui culmine avec le duel entre Trane et Erin, où on retrouve les marqueurs du western à l'ancienne. On remarquera (grâce au grand écran !) ce plan de Trane les yeux embués de larmes, détail pas anodin : un cowboy chiale rarement*. Jusqu’au bout Aldrich surprend.


Si Gary Cooper impose sa stature, sa gestuelle, j’ai toujours eu un peu de mal avec son jeu, monocorde, issu des années 30’s. Par contre Burt Lancaster, également producteur, est un festival à lui tout seul, charmeur et escroc de première. Le dynamisme du film vient aussi du fait que le tournage a été quasiment improvisé, scènes écrites la veille et tournées le lendemain, allez hop c’est dans la boite, au suivant ! Là encore la marque d’Aldrich, peu enclin à respecter les règles des studios.

VERA CRUZ est un p’tit classique toujours très agréable à regarder, chaque plan est merveilleusement composé, le rythme ne faiblit pas, s’y affrontent des personnages hauts en couleurs, et c’est sans doute avec ce film qu’apparaissent à l’écran ce qu’on appellera 10 ou 15 ans plus tard, les anti-héros.

****************

Gary Cooper dans LE TRAIN SIFFLERA TROIS FOIS jouait un shérif contraint de demander de l’aide pour venir à bout de trois tueurs. Il était finalement sauvé par une femme, la sienne ! Ce qui avait mis John Wayne en rogne : comment tu peux jouer un type qu’à besoin d’une bonne femme pour vaincre ses ennemis ?! Ben là, Cooper verse sa petite larme sur l’homme qui était à deux doigts de le zigouiller, un cowboy sensible, pfff, manquerait plus qu’ça !


couleur - 1h35 - format 1:2.00 (superscope)

Bande annonce d'origine, un peu défraichie


👉 Autres films de Robert Aldrich chroniqués (clic dessus !) : 🎥 ATTAQUE !   🎥 EN QUATRIEME VITESSE   🎥 FUREUR APACHE

4 commentaires:

  1. Shuffle Master.17/5/25 14:13

    Si si, c'est bien un chef-d’œuvre, au même titre que la Horde sauvage. Avec un background (moi aussi, je sais causer branché) historique assez peu connu, la catastrophique aventure mexicaine de Badinguet, prélude au désastre de 1870. On peut revoir ce film des dizaines de fois. Pour info, j'ai laissé un com sous Anora.

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  2. Je sais même plus si je l'ai vu ... le scénar renvoie un peu à Butch Cassidy & le Kid, of course à la Horde Sauvage, et plus encore il me semble à Il était une fois la Révolution ...

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  3. Effectivement, un peu des trois à la fois, plus cynique que Butch (qui est un film assez désabusé sous ses airs de comédie), moins romantico-lyrique que la Révolution. Mais les situations sont assez proches.

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