C’est ce que j’appelle un film de chevet, pas un chef d’oeuvre, mais un film que j’aime revoir assez régulièrement, on ne s’en lasse pas. Et que j’ai eu le bonheur de redécouvrir en salle, avec son cadrage d’origine, le 1:2.00 : le SuperScope. Un bidule bricolé pour concurrencer le CinémaScope, qui est plus large (ratio de 1:2.39) mais qui avait comme inconvénient d'avoir été breveté, donc payant ! Le Superscope était une alternative, qui utilisait toute la largeur de la pellicule en rognant sur la bande son, et à la projection on agrandissait le tout avec une optique anamorphique.
Si VERA CRUZ n’est pas un chef d’oeuvre, c’est un jalon important (primordial ?) dans l’histoire du western, ce genre historique que certains n’ont pas cessé de dynamiter, de Leone, Peckinpah ou Tarantino. Le film de Robert Aldrich préfigure le western spaghetti (on y voit déjà Charles Bronson, jeunot, qui y joue de l’harmonica !), avec ce mélange de violence, de cynisme et d’humour, ses cadrages alambiqués, et surtout les caractères des héros, au plutôt des anti-héros. C’est là l’apport évident de VERA CRUZ sur le western, dont certaines caractéristiques, voire des scènes entières, se retrouvent dans LA HORDE SAUVAGE (les tueries à la mitrailleuse, le Mexique vu comme un immense bordel, la torture, la corruption, la quête du fric comme seule philosophie de vie).
L’action se passe au Mexique, peu après la guerre de Sécession. De nombreux soldats y venaient louer leurs services. C’est le cas de l'idéaliste Benjamin Trane (Gary Cooper), ex-officier sudiste, donc un looser (ce qu’on ne manquera pas de lui faire remarquer à plusieurs reprises) qui a besoin de retrouver une cause à défendre. Ce sera celle de la Révolution, du général Ramirez, partisan de Benito Juárez, qui lutte contre l’empereur Maximilien. Il croise sur sa route Joe Erin (Burt Lancaster), un aventurier sans scrupule.
Trane et Erin vont finalement monnayer leur talent dans le camp adverse, celui de Maximilien, qui paie davantage. La scène, au coeur d'un village, est fameuse. Elle oppose la probité de Ramirez, qui lutte pour la liberté de son peuple, à la sauvagerie des mercenaires. Sous couvert de mettre des enfants à l’abri, les hommes de Joe Erin (dont évidemment le génial Ernst Borgnine, toujours dans les bons coups !) s'en servent comme bouclier et menacent de les abattre si Ramirez ne retire pas ses hommes. Des centaines de combattants que l'on découvre avec un magnifique panoramique circulaire, qui donne le vertige, au fur et à mesure qu’ils apparaissent perchés sur les murs, les toits. On reverra une scène pareil dans BUTCH CASSIDY.
Une séquence montre les mauvaises manières d’Aldrich, lors de la réception chez Maximilien, où la bande de hors la loi dézinguent les codes de la bonne société. Lancaster, coiffé comme un cul et sourire Colgate, reluque grossièrement les femmes, siffle des coupes de champagne comme des shoots de téquila, croque à pleine dents dans des poulets entiers (un de mes fantasmes). Les deux mercenaires ne sont pas les seuls à donner dans la veulerie, tous les personnages du film hissent la malhonnêteté en art majeur, de Nina la paysanne cleptomane aux mains baladeuses (d'où les accusation de racisme, bouhhh, les mexicains ne sont pas tous des voleurs...), le marquis Henri de Labordère faux-cul comme pas deux, la comtesse Marie Duvarre, garce de première, dont les causes politiques pèsent moins que la cargaison d’or planquée dans le double fond de sa berline.
Il est donc question d’or, par millions. Pour financer la contre révolution ou finir dans les poches du plus habile… Une fois le décor posé, VERA CRUZ verse dans un formidable film d’aventures qui enchaîne les scènes de bravoures, magnifiquement filmées par Aldrich, qui trouve toujours des angles de caméra incroyables, de fortes contre-plongées, des amorces de cloches en haut d'un clocher. Des plans très courts, un montage heurté, ça défouraille du feu de dieu. Mention spéciale pour l’embuscade en plein village, et la dernière séquence qui renvoie à LA HORDE SAUVAGE de Peckinpah, je ne sais pas lequel des deux films aligne les plus de cadavres !
VERA CRUZ est un p’tit classique toujours très agréable à regarder, chaque plan est merveilleusement composé, le rythme ne faiblit pas, s’y affrontent des personnages hauts en couleurs, et c’est sans doute avec ce film qu’apparaissent à l’écran ce qu’on appellera 10 ou 15 ans plus tard, les anti-héros.
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* Gary Cooper dans LE TRAIN SIFFLERA TROIS FOIS jouait un shérif contraint de demander de l’aide pour venir à bout de trois tueurs. Il était finalement sauvé par une femme, la sienne ! Ce qui avait mis John Wayne en rogne : comment tu peux jouer un type qu’à besoin d’une bonne femme pour vaincre ses ennemis ?! Ben là, Cooper verse sa petite larme sur l’homme qui était à deux doigts de le zigouiller, un cowboy sensible, pfff, manquerait plus qu’ça !
Si si, c'est bien un chef-d’œuvre, au même titre que la Horde sauvage. Avec un background (moi aussi, je sais causer branché) historique assez peu connu, la catastrophique aventure mexicaine de Badinguet, prélude au désastre de 1870. On peut revoir ce film des dizaines de fois. Pour info, j'ai laissé un com sous Anora.
RépondreSupprimerAnora : vu, répondu.
SupprimerJe sais même plus si je l'ai vu ... le scénar renvoie un peu à Butch Cassidy & le Kid, of course à la Horde Sauvage, et plus encore il me semble à Il était une fois la Révolution ...
RépondreSupprimerEffectivement, un peu des trois à la fois, plus cynique que Butch (qui est un film assez désabusé sous ses airs de comédie), moins romantico-lyrique que la Révolution. Mais les situations sont assez proches.
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