vendredi 2 mai 2025

LE MELANGE DES GENRES de Michel Leclerc (2025) par Luc B.


On avait découvert Michel Leclerc avec LE NOM DES GENS, un bijou de comédie, qui brillait par son écriture et sa réalisation parfois empreinte de poésie. LA LUTTE DES CLASSES n’était pas mal non plus, à chaque fois le réalisateur s’emparait de sujets politiques, sociaux, y imprimait son style avec sa co-scénariste (et compagne) Baya Kasmi, elle même cinéaste.

Le sujet de son dernier film, les affres d’un homme déconstruit à l’époque me#too ne pouvait que séduire, et même si la situation de départ semblait improbable, le talent du couple de scénariste allait nous enlever tout ça. Hélas… Ecrire un film est une chose, le mettre en scène en est une autre.

Sur le papier, le postulat était séduisant et grinçant : Simone (Léa Drucker), une lieutenant de police, infiltre le groupuscule féministe Les Hardies pour le besoin d’une enquête : une femme battue a tué son mari violent, Simone soupçonne une complicité chez les Hardies. A deux doigts de voir sa couverture découverte, elle s’improvise victime de viol, et accuse le premier venu, le brave Paul, acteur de seconde zone.

LE MÉLANGE DES GENRES donne dans la comédie à rebondissements, une mécanique de vaudeville. Les premières scènes avec Paul, joué par Benjamin Lavernhe, sont très drôles. Acteur minable marié à une comédienne de théâtre renommée, il joue les utilités dans la pièce de sa femme, un livreur de pizza, avec une demi réplique chaque soir. Il pose aussi pour les photos de cancéreux sur les paquets de clopes, une interprétation à chaque fois très actor studio ! Avec tout de même un doute : si grimaçant et défiguré sur les photos, va-t-on le reconnaître dans la rue ?!

Lorsqu’une des Hardies le prend en photo, à l’improviste, dans un bar, c’est uniquement par le regard de Benjamin Lavernhe (excellent) qu’on saisit ce sentiment de flatterie d’avoir été reconnu. En réalité, il est pris en photo pour être ensuite dénoncé comme l'odieux violeur en série qui sévit en ville.

C’est la scène clé du film, celle qui va déclencher une série de quiproquo. Mais qui arrive bien trop tard. Car il y a un sérieux problème d’écriture dans ce film. Fallait-il dire aux spectateurs dès le début que Simone était flic ? Ne pouvait-on pas cultiver le mystère, nous surprendre ? Le commissaire est aussi le mari de Simonejoué par un Vincent Elbaz qui ne se force pas trop, il est évidemment un tantinet macho, tout cela sent les grosses ficelles. La contre-enquête de Simone sur ses collègues aurait pu réserver davantage de surprises.  

Mais bon, la mise en scène va nous emballer tout ça… Eh ben non. Il y a dans ce film un cruel manque de rythme, ce n’est jamais le bon tempo. Sur le papier, une scène drôle : une des militantes prévoit de dénoncer Paul comme violeur, en public, au théâtre, devant toute la salle. A l’écran la scène tombe à plat, mal jouée par Melha Bedia qui nous ressort son éternel numéro, sans d’éclat. On imagine ce qu'un Blake Edwards aurait fait de ça, il aurait convoqué le chaos ! Pourquoi ne pas avoir développé la scène, un kidnapping, une action d’envergure ? 

Les personnages ne sont pas creusés. Il vient faire quoi là dedans Felix Moati ? Judith Chemla s’en sort mieux (son rôle résonne avec sa propre histoire) comme Suzanne de Baecque, les scènes chez les Hardies, par les dialogues qui frisent le non-sens, sont les plus enlevées (les brebis femelles !). Mais tout semble cheap, les manifestations militantes ne réunissent que vingt personnes, la scène avec les moutons tombe à plat, elle aurait pu être déjantée et rigolote, mais non. Tout semble réalisé avec trois bouts de ficelles. Y’a bien une idée, certes pas nouvelle, de voir Vincent Delerm, compositeur de la musique du film, l’interpréter lui même au piano, au détour de certains plans, ou Paul qui s'épand sur l'épaule d'une femme qu'il prend pour Virginie Despentes (il aurait été drôle qu'elle joue vraiment le rôle, mais non...). 

Et puis la dernière scène nous plonge dans le grotesque. Un affrontement, la nuit, dans un décor moche, statue en carton pâte, entre les Hardies et un groupuscule Mâle Alpha, caricature de beauf facho. Je n’ose vous raconter comment se termine le film, si vous connaissez CALMOS de Bertrand Blier, vous aurez la référence, c’en est presque gênant.

Un des ressorts de la comédie est souvent le couple mal assorti, opposé. Que ce soit Bourvil / De Funès ou Katharine Hepburn / Cary Grant. Laverne et Drucker, avec ces rôles de fausses victimes et/ou de faux coupables enchâssés aurait dû faire des merveilles, ils ont du talent à revendre. Mais ils n'ont pas grand chose à se mettre sous la dent. Sans être non plus désagréable, le résultat est juste plat, sans relief, sans discours audible, le réalisateur renvoie chacun dos à dos (clichés contre clichés), un partout la balle au centre. Au final le film de Michel Leclerc, par ses approximations, dessert totalement la cause qu’il s’emploie à défendre.

Cette histoire de personnage infiltré chez des militants, rappelle furieusement UNE ANNÉE DIFFICILE d’Éric Toledano et Olivier Nakache. On vire les écolos on les remplace par des féministes, y compris la scène des menottes dont on a perdu les clés. Mais quel écart entre les deux films, un abîme ! 


couleur  -  1h40  - format 1:1.85  

9 commentaires:

  1. https://litteratureportesouvertes.wordpress.com/2015/08/25/ne-confondez-plus-empreint-et-emprunt/
    Et "c'en est presque gênant"...
    "Le nom des gens", je m'étais esclaffé sur le passage avec Jospin mais aucun souvenir, sinon.

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  2. Merci pour la faute (de frappe...) corrigée. "Le nom des gens", au delà de la prestation du vrai Jospin, scène culte, c'est un film vraiment très plaisant, humain, et surtout très drôle. Rien que le pitch : une femme couche avec des mecs de droite pour les convertir à gauche. Et ce striptease à l'envers, d'abord nue elle se rhabille, et les deux couples de parents... Une première réelle réussite que le réalisateur n'a jamais reproduit, hélas.

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    1. En 2025, faudrait qu'elle passe la démultipliée... Mais c'est une autre histoire...

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  3. Shuffle Master3/5/25 08:04

    Ton avis rejoint celui de la majorité de la critique; ni fait ni à faire, clichés, cause desservie, personnages caricaturaux. Le nom des gens, pas mal, mais pas de quoi passer 3 pattes à un canard...Ce dont je me souviens, c'est de Gamblin dans la flotte en cuissardes essayant d'attraper un cygne. Jospin, j'avais oublié. Comme beaucoup. Les duettistesTolédano/Nakache, je ne supporte pas, c'est gluant de moraline.

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    1. "Tellement "Intouchables" que j'ai pas voulu y toucher"...

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  4. Il faut des principes dans la vie ... se méfier de tout ce qui s'appelle Leclerc, les chars, les supermarchés, Félix, ...

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