lundi 12 mai 2025

Johann Melchior MOLTER – Concertos et Sonates (1696-1765) – Siegbert RAMPE (2004) - par Claude Toon


- Encore un nouveau compositeur Claude, baroque tardif semble-t-il. Bizarre, j'ai l'impression que tu as dû en parler il y a peu, juste une remarque… Mais, Mon Dieu, le chef d'orchestre est mort il y a deux mois, l'avant-veille de ses 61 ans…

- En effet Sonia, il était bien jeune cet homme… J'avais touché deux mots à propos de Molter dans une chronique consacrée à trois concertos pour clarinette de Stamitz. Molter fut le premier promoteur de cet instrument…

- Ah oui ça me revient… À une seule œuvre ou un groupe de partitions d'un genre précis, tu préfères nous faire écouter un récital varié. C'est rare.

- Oui, cet album permet de découvrir plusieurs facettes de l'art du compositeur… Je pense que Siegbert Rampe a conçu le programme de ce disque dans ce but…


Johann Melchior Molter

On ne peut pas dire que cette unique image connue de Molter suggère un personnage très séduisant… N'avait-il pas assez l'argent ou le soutien d'un mécène fortuné pour faire réaliser un portrait plus flatteur ? Essayons avec quelques informations glanées sur le web de répondre à la question…

La plupart des biographies des compositeurs sont les fruits de recherches à partir de la correspondance échangée à l'époque où des écrits conservés dans les conservatoires ou dans les familles et bibliothèques de la noblesse. Quand les documents sont nombreux, prenons l'exemple pour Mozart, les biographies deviennent de vrais romans riches en péripéties et en indications musicologiques pour apprécier la genèse des œuvres. Pour d'autres musiciens, après leur mort, les sources manuscrites disparaissent dans les corbeilles ou les caves et greniers avec, hélas, beaucoup de manuscrits et de partitions. C'est le cas de Johann Melchior Molter a priori honoré de son vivant puis totalement oublié à la fin définitive de l'époque baroque tardive lors de l'essor de l'âge classique… Heureusement une page web de la bibliothèque de Karlsruhe, ville de grande importance pour Molter vole à notre secours. (Clic).

Ajoutons que les grands maîtres comme Bach (Merci Mendelssohn) ou Mozart et Haydn ont continué d'agrémenter les programmes de concerts pendant le romantisme, le XIXème siècle et le début du XXème. Et peu importe si le style opératique et les effectifs opulents trahissaient parfois leur esthétique authentique ; une évolution gommant les couleurs des petits ensembles anciens, mais corrigée après la seconde guerre mondiale avec le retour des interprétations des instruments d'époque…

Terminons cette introduction concernant le retour en grâce de compositeurs disparus dans les limbes pendant des siècles en soulignant le rôle essentiel de labels discographiques aventureux qui se démarquent des poids lourds légendaires comme DG, RCA ou DECCA en publiant d'excellentes gravures au fur et à mesure de la redécouverte de cette musique du siècle des lumières : MDG ce jour (2000 titres), Ricercar, Harmonia Mundi, CPOα, et quelques autres. Non ! le CD n'est pas mort et reste le support privilégié pour la découverte de ce répertoire historique. 

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Eisenach vers 1700

Découvrir le caractère rebelle ou tourmenté et la vie sentimentale de certains compositeurs stimule l'intellection du sens donné à leurs ouvrages. Difficile de partager les folies orchestrales d'un Mahler en isolant le symphoniste de ses tourments face à l'antisémitisme, à l'angoisse de la mort ou à sa vie conjugale agitée avec Alma, femme talentueuse et excentrique. Inversement, la hauteur intimidante et métaphysique des symphonies de Bruckner trouve sa logique dans l'existence quasi monastique de l'homme et l'accablement de voir son travail méprisé voire rarement joué de son vivant…

De Johann Melchior Molter on ne sait que peu de chose sur le tempérament du compositeur à l'ancienne, comprendre vivant en dépendance de protecteur et/ou mécène, au mieux des deux. Johann voit le jour en février 1696 à Tiefenort près d'Eisenach (en Thuringe, au plein centre de l'Allemagne à l'époque). Son père, professeur et cantor (chef de chœur) de la ville lui donnera ses premières leçons. Johann poursuivra sa formation à Eisenach, ville toute proche puis à Karlsruhe, ville située près de l'Alsace. Il perfectionne sa maîtrise du violon et du contrepoint de 1708 à 1712 auprès de Georg Philipp Telemann. Il quitte Eisenach en 1715 et entre au service du margrave Carl Wilhelm de Bade-Durlach comme violoniste (désolé, il y a des trous dans le CV, ce qui confirme mes considérations dans l'intro, sans doute des périodes d'études complémentaires vu son âge…).


Karl Friedrich von Baden
 

La carrière de Molter sera itinérante, destin fréquent à l'époque où le compositeur doit accepter des postes qui assurent les commandes des grands de ce monde, de la noblesse ou des épiscopats, et plus simplement… le viatique 😊. Johann épouse Maria Salome Rollwagen de Hagsfeld près de Karlsruhe le 12 juillet 1718, jeune femme inconnue de la documentation, elle mourra jeune en 1737. En 1719, Johann obtient un congé et part pour l'Italie, l'autre pays du baroque. Il étudie la musique de Vivaldi (l'a-t-il connu) et restera marqué par la vitalité colorée du style italien en regard de l'austérité germanique, surtout dans l'écriture des œuvres sacrées. À Venise et à Rome, il compose avec enthousiasme.

Les adversités des uns font parfois les bonheurs des autres 😊. Johann Philipp Käfer, chef d'orchestre à la Cour du Margrave de Bade-Durlach s'imagine travailler à la SNCF et revendique en permanence des augmentations de salaire et des vacances ! le Margrave Charles III excédé le congédie à une époque où les Prud'hommes n'existent pas 😉. On propose à Johann Molter de lui succéder comme Maître de chapelle à la cour au château de Durlach et à la nouvelle résidence de Karlsruhe. Il occupe le poste à seulement 26 ans, dès 1722 !! Ses domaines d'écriture couvrent tous les genres : sacré (oratorios, cantates), opéras, musique de chambre et orchestrale.

Suivront s'autres engagements lors de l'exil du Margrave en 1733 : maître de chapelle à la cour de Saxe-Eisenach jusqu'en 1737, année du décès de Maria. Nouveau voyage en Italie mais retour à Eisenach dès 1738 pour épouser en secondes noces Maria Christina Wagner, femme cultivée semble-t-il… Il reprend ses activités jusqu'en 1741, date de la dissolution de l'orchestre. Qu'à cela ne tienne, Johann a bonne réputation et retourne à Karlsruhe. Le Margrave Carl Friedrich le charge de réorganiser la vie musicale dans la ville réunifiée (je fais l'impasse sur les turbulences politiques). Carl Friedrich a épousé Caroline Louise de Hesse-Darmstadt, jeune épouse très ouverte sur les lettres et les arts et soutien actif de Johann. Un nouvel orchestre est créé en 1747 sous la direction de Johann qui assumera cette charge jusqu'à sa mort en 1765.

Le catalogue de Johann Melchior Molter n'est pas mince. Le musicologue Klaus Hafner a travaillé sur une production de 600 ouvrages ! Soit : 66 sonates, 95 concertos, 14 suites orchestrales (ouvertures), 169 sinfonias, 3 opéras et 14 cantates.

Comme indiqué dans la chronique dédiée à Stamitz, Molter est le premier compositeur de l'histoire à avoir composé six concertos pour clarinette en 1743. Ceux de Stamitz datent de 1755. L'instrument avait été mis au point par Johann Christoph Denner en 1690 (1655-1707). La clarinette en illustration date de 1720. Depuis ce prototype au son ingrat, on connaît l'engouement pour cet instrument, tant dans l'univers classique que dans celui du jazz.

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Siegbert Rampe
 

La discographie est encore maigre malgré le travail de compilation de Klaus Hafner. On trouve certes divers albums avec les concertos pour clarinette, et des échantillons dispersés dans des albums de musique de son temps… Le disque de ce jour est une belle exception qui propose deux ouvertures, deux sonates et un concerto pour divers instruments.

On pourra établir un parallèle dans le style des deux ouvertures avec les quatre suites de Bach. L'orchestration est rutilante

 👉   2 hautbois, basson, 2 violons, alto et continuo pour la suite MWV III/9 en Ut mineur. Elle ne comporte que trois mouvements dont un seul air de danse : un rigaudon.

 👉   2 cors, 2 hautbois, basson, 2 violons, alto et continuo pour l'ouverture MWV III/13 en Fa Majeur.

 👉   L'une des sonates est pour flûte et l'autre pour violon (MWB XI/13 - MWV XI/6)

 👉   Le concerto MWV VI/21 réunit un hautbois, 2 violons et un alto.

L'influence italienne est patente. Nous écoutons de la musique de Cour, de divertissement.

Claveciniste, organiste, pianiste, chef d'orchestre, professeur et musicologue allemand, Siegbert Rampe est né en 1964 et nous a brutalement quittés en février 2025. Fondé en 1988 à Hambourg par le maestro, l'Ensemble Stravaganza* a pour vocation la redécouverte des musiques baroques oubliées et pourtant de qualité. Il est l'auteur de dizaine d'ouvrages de musicologie et a gravé près de quatre-vingt CD dans un répertoire vaste oscillant entre les brandebourgeois de Bach archiconnus, et des compositeurs à redécouvrir : Molter, Graupner, Froberger, Peter Philips, Lübeck, Muffat, Sweelinck, Weckmann… Un programme fourni de chroniques à venir 😉 !

Siegbert Rampe aimait beaucoup Mozart auquel il a consacré un grand nombre d'enregistrements dont l'intégrale de l'œuvre pour clavier. Siegbert Rampe réalise ce monument sur piano forte. Il nous a également apporté de belles captations sur orgue.

*Nota : un ensemble de cinq jeunes musiciens français fondé en 2009 porte aussi ce nom. Leur passion : la musique de chambre baroque.

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Playlist :

Ouverture MWV III/9

Sonate MWV XI/6

  1. Ouverture
  2. Rigaudon 1 & 2    
  3. Aria  
  4. Allegro
  1. Allegro        
  2. (Adagio)     
  3.  Allegro)
  4. Adagio
  5. Allegro

Sonate MWB XI/13

Ouverture MWV III/13

  1. (Prélude - Improvisation)
  2. Adagio
  3. Allegro
  4. Aria & Variazioni 1 & 2
  1. Ouverture  
  2. Air
  3. Raillerie
  4. Allegro
  5. Menuets 1 & 2

Concerto MWV VI/21

 

  1. Allegro
  2. (Adagio)     
  3. (Allegro)

 

Écoute au casque ou avec des enceintes additionnelles plus que conseillée.

Le son des PC, sauf exception, est vraiment une injure à la musique…


INFO : Pour les vidéos ci-dessous, sous réserve d'une écoute directement sur la page web de la chronique… la lecture a lieu en continu sans publicité 😃 Cool. 





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