vendredi 25 avril 2025

LUMIÈRE, L’AVENTURE CONTINUE de Thierry Frémaux (2025)


LUMIERE, L’AVENTURE CONTINUE est une compilation de 120 vues réalisées par Louis Lumière et ses opérateurs. Des vues, puisque tel était le nom donné à ces mini métrages de 50 secondes, réalisées pour la plupart vers 1895-96. Une première centaine de films avait fait l’objet du premier documentaire de Thierry Frémaux en 2016**, certains y apparaissent deux fois.

L’agencement de ces films est thématique.  Films familiaux (telle Martine, la famille Lumière à la plage, en bateau, en pique-nique, au petit déjeuner, avec Auguste et sa femme…), films de rues, sur de grandes avenues, à Lyon, à Paris, films militaires où sont reconstitués des mouvements de troupes, de cavaliers, films ethnologiques (puisque les opérateurs Lumière ont parcouru le monde entier pour documenter l’époque), des films de paysages où Louis Lumière plaçait sa caméra sur des trains, des bateaux, des omnibus (les premiers travellings, on appelait ça à l'époque des panoramas), et des divertissements, petites fictions scénarisées (jongleurs, acrobates, petits gags...).

La restauration de ces vues est incroyable, d'autant que la vitesse a été corrigée. Pourquoi lorsqu’on regarde un vieux Charlot tout est accéléré ? Parce qu'à l'époque les caméras à manivelle tournaient entre 16 et 20 images par secondes, mais la vitesse de projection aujourd’hui est de 24 images secondes. Donc la bande passe plus vite, le mouvement est accéléré. C’est le même principe avec un téléphone portable dernier cri. Si vous réglez l’appareil sur 60 ou 120 images seconde, ou plus, lorsque vous regardez le résultat, ce sera du ralenti.

La qualité de l’image est stupéfiante, notamment quand Lumière a essayé une pellicule de 75 mn. Je vous ai déjà parlé des formats de pellicule : la largeur de 35 mn est la plus commune, et pour des films à grand spectacle (David Lean, Kubrick, Nolan…) on pouvait utiliser du 70 mn, donc une surface d’impression et une netteté deux fois plus grande. On appelle ça aussi le format IMAX. Et bien Louis Lumière avait trouvé mieux, avec du 75 mn, impossible à diffuser aujourd’hui puisqu’aucun projecteur ad hoc n’existe. Mais grâce au numérique c’est possible ! Ce petit film est une vue depuis un trottoir roulant (!), sorte d’immense manège, où la caméra était installée et filme en continu. Le piqué de l’image est incroyable.

LUMIERE, L’AVENTURE CONTINUE permet de nous voir il y a 130 ans. Quel patrimoine ! Epoque où les Champs Elysées n’étaient pas goudronnées, où tout le monde portait des chapeaux, y compris les gamins qui avaient sur la tête des espèces de bérets plus larges qu’un parasol ! Passants, charrettes et omnibus se partageaient la voie routière, où sillonnaient aussi quelques tramways. Les scènes de bain sont toujours rigolotes avec ces femmes en jupon triple épaisseur ! Un film tourné au Japon montre des agriculteurs travaillant dans les rizières, une famille de Kyoto qui déjeune, on voit les rues d’Alger peuplées de costumes trois pièces et de djellabas, des danses rituelles en Afrique. 

Il y a ce formidable mouvement de cavaliers qui foncent au galop vers la caméra, ou plus extraordinaire encore, cette vue de militaires descendant d’une montagne, au loin, et venir au tout premier plan s’allonger en position de tir. La construction du plan est stupéfiante (comme très souvent, le cadre était très travaillé, il fallait trouver le bon angle pour la caméra, dès le premier essai) mais surtout on se rend compte de la précision de la profondeur de champ, y'a toujours un p'tit détail à voir tout au loin. Tout est net, Lumière jouait beaucoup sur la profondeur, les diagonales, pour que l'image soit plus impressionnante.

Le plus spectaculaire c’est lorsque la caméra est embarquée, sur un paquebot en pleine tempête dans l’Atlantique, ou les prises de vue depuis un tramway qui sillonne la ville, ou depuis un train, qui rappelle les plans de LE MECANO DE LA GENERAL de Buster Keaton, ou LA BETE HUMAINE de Renoir. Les spectateurs de l’époque voyaient sur un écran des images que seuls quelques privilégiés pouvaient connaitre, on imagine leur émotion, et on découvrait le potentiel spectaculaire du cinéma, qui n’était pas uniquement documentaire.

Les deux films les plus célèbres de cette compilation sont « L’arroseur arrosé », considéré comme le premier gag visuel, la première fiction (un autre de la même série montre une partie de carte qui dégénère en bataille de flotte) et « La Sortie de l'usine Lumière à Lyon », (Lumière avait filmé ses propres ouvriers sortant du taf) dont il existe trois versions, que Thierry Frémaux diffuse simultanément pour en apprécier les différences. Au générique de fin, Frémaux diffuse la version de « La Sortie » réalisée par Francis Coppola en 2019, dans les mêmes conditions qu’à l’époque, où on reconnait plein de gens connus, le dernier à sortir avec un chien en laisse est Bertrand Tavernier. En 2016, c’est Martin Scorsese qui s'était soumis à l'exercice.

Ce documentaire est entièrement illustré musicalement par des œuvres de Gabriel Fauré, contemporain des Lumière.

On est censé être devant des films muets, sauf que… Thierry Frémaux est très bavard. Trop. Il commente les films, avec souvent une pointe d'humour qui tombe à plat, sur un ton froid. Faire remarquer tel détail de composition, de mise en scène (car les acteurs étaient dirigés, ces films n'étaient pas pris sur le vif) préciser un point d'histoire, c'est intéressant, d'autant que le gars touche sa bille : directeur de l'Institut Lumière, sélectionneur du festival de Cannes. Ca pèse sur un CV.  Mais raconter ce qu'il se passe, parfois avant même que ca se passe à l'écran, c'est insupportable ! Et gâche le plaisir de la surprise, bien souvent.  

Bon exemple : lorsque Lumière filme ses charpentiers, Frémaux indique que l’ouvrier est en chemise blanche et cravate. Indication à priori crétine puisqu'on la voit, la chemise. Mais ça révèle que le brave homme s'était mis sur son 31, avait lustré sa moustache, parce qu'il savait qu'on venait le filmer. Et donc que ces scénettes étaient très travaillées, composées, scénarisées. Parfois le bras du metteur en scène apparait dans le champ de la caméra, pour dire à tel ou tel de presser le pas, se ranger à droite...

Quitte à commenter les films, j’aurais préféré quelques détails techniques comme : pourquoi des films limités à 50 secondes ? En quoi la durée était-elle un souci, les Lumière ont-ils utilisé des bobines plus longues ensuite ? Pourquoi pas trois ou quatre films de 50 secondes mis bout à bout ? Pourquoi les caméras ne pivotaient pas sur un axe, de manière à faire des panoramiques ? Avait-on le moyen à l’époque de couper, monter un film, raccorder deux plans avec des axes de vue différents, montrer d'une avenue le trottoir de droite, puis de gauche ? Beaucoup d'éléments qui font le cinéma contemporain, l'esthétique, la mise en scène, les cadres, étaient déjà présents à la création. Sauf un : le montage. Cette grammaire, agencement et durée de plans, viendra avec Griffith.

Finalement, c’est davantage l’aspect sonore de ces films muets qui parfois dérange, je ne suis pas certain que Frémaux fût la meilleure personne pour commenter son propre documentaire (Podalydès ou Dussolier n’étaient pas libres ?!), le gars est trop bavard, comme les commentaires intempestifs et redondants dans une soirée diapos !

** le premier volet est disponible, en ce moment, sur la plateforme replay de France TV.  


Noir et blanc  -  1h45  - format 1:1.33 

4 commentaires:

  1. Shuffle Master.25/4/25 13:45

    Il y aurait donc encore des soirées diapos? Mais quelle catégorie socio-professionnelle fréquentes-tu donc? Mets ça sur pellicule et dans moins d'un siècle, c'est toi qui seras à l'affiche.

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    1. Ah Non ! Il y a méprise... s'il m'est arrivé, dans ma prime jeunesse d'assister à des cérémonies diapos avec commentaires intempestifs, et l'inévitable et gênant incident "ah zut pardon, elle est à l'envers, ca ne prendra qu'une minute, attendez..." je n'ai jamais organisé moi même ce genre de projections. Que ce soit dit.

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  2. C'est le genre de film (?) qui relève de l'ésotérique ...
    Il y a un dress code pour rentrer, galure d'époque, lavallière, moustache en guidon de vélo, veston et montre à gousset ?

    Des films de 50 secondes ? En fait les Lumière Bros, c'était des tiktokeurs, ils avaient beaucoup de followers ?

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    1. Tiktokeurs ou instagrameurs de l'époque, c'est pas bête ! Pas de dress code pour rentrer, on laisse juste son cheval à l'extérieur, mais j'avoue que la moyenne d'âge était légèrement supérieure à la moyenne...

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