vendredi 21 mars 2025

MICKEY 17 de Bong Joon-ho (2025) par Luc B.



Si le premier tâcheron du coin avait sorti ce film, on l’aurait salué comme une excellente surprise. Mais derrière la caméra il y a Bong Joon-ho. Ca change la donne. C’est le réalisateur du génial et multi-primé PARASITE, et avant cela de MEMORIES OF MURDER, THE HOST, SNOWPIERCER, MOTHER… Donc il faut remonter le curseur, être un peu plus exigeant.

Dans le processus de production, il y a un indice qui ne trompe pas. Prévue pour mars 2024, la sortie du film est repoussée à une date ultérieure, on n’sait pas quand, on vous tiendra au courant… C’est jamais bon signe. Ca veut dire que le studio Warner Bros n’est pas satisfait du résultat, Bong Joon-ho est prié de revoir sa copie. Ca ne veut pas dire que c’est mauvais, mais que ça ne correspond à ce à quoi ils s’attendaient.

Ce qui arrive souvent quand un metteur en scène, si reconnu soit-il, répond aux sirènes hollywoodiennes. On lui offre des moyens confortables, des stars, une certaine liberté d’action, et ici, presque le final cut. Presque, parce que contractuellement, les deux parties se sont brouillées. Les artistes et leurs grandes idées ça va deux secondes, un film c'est fait pour rapporter du pognon. Avec les franchises Marvel, au moins, on sait où on va. J’imagine le brainstorming des cranes d’œuf du marketing pour vendre cet objet au grand public. La Warner et son nouveau patron qui s’y connaît autant en cinoche que moi en sinus cosinus (le gus qui avait écarté le dernier Eastwood des salles pour le balancer en streaming) ont exigé des scènes supplémentaires, et refait le montage. Conclusion : c’est un bide, tièdement accueilli, et une catastrophe financière. J'apprends par mes sources à Hollywood que ça y est : le film a été retiré des salles aux US pour passer direct en streaming. 

C’est quoi ce film ? De la SF, de l’action, une comédie, une satire, un truc politique, un film marxiste, une bouffonnerie ? MICKEY 17 est un peu tout ça, Bong Joon-ho aime croiser les genres. Ca peut faire penser à BRAZIL de Terry Gilliam, un peu de DR FOLAMOUR de Kubrick, du AVATAR de James Cameron (l’humour et la dérision en moins, qui ne sont pas franchement les premières qualités du réalisateur canadien), à NAUSICAÄ de Miyazaki, pour l’univers graphique, les bestioles de la fin.

Au départ c’est un roman de Edward Ashton : MICKEY 7. Le Mickey du titre c’est Mickey Barnes. Sa fonction : remplaçant. Un type jetable, comme un kleenex, on l’utilise pour diverses missions, s’il meurt c’est pas grave, on le réimprime, on lui réinjecte sa mémoire, et hop, il repart au turbin. Il est sympa Mickey, un peu benêt, mais un vrai gentil. Robert Pattinson se sort très bien des deux rôles. Sur Terre, son projet de se lancer dans la vente de macarons (oui, les p’tits gâteaux aux amendes!) tombe à l’eau, il doit du fric à des mafieux, doit déguerpir, s’engage dans une colonie humaine en partance pour la planète Nilfheim. Quand il signe son contrat on lui dit bien : « Vous avez lu les petites lignes ? ». Heu, oui… Visiblement non. Boum, on le flingue, on le ressuscite, il devient donc un remplaçant.

On retrouve l’univers de Bong Joon-ho, sarcastique, humour noir, dès le premier plan : Mickey en sortie orbitale, sans protection face aux rayonnements, et une voix goguenarde lui dit dans l'oreille « On va voir en combien de temps tu deviens aveugle, à partir de quand ta peau va brûler, et... cerise sur le gâteau, en combien de temps tu vas mourir ! ». Le ton est donné. 

Mark Ruffalo s’amuse comme un fou à camper un Kenneth Marshall, gourou pathétique, qui exige d'être constamment filmé par son assistant avec une caméra 32K ! Ruffalo prend les intonations de voix de Donald Trump, délaisse son brushing-choucroute pour une coupe à la Brando dans LE PARRAIN (on entend dans la bande son un clin d'oeil à la musique), un type imbu(vable), un bouffon flanqué d’une épouse survoltée, Ylfa, qui ne vaut pas mieux (Toni Collette). Bong Joon-ho a souvent traité de cette lutte des classes, la hiérarchie sociale, dans PARASITE évidemment (il y a auto-référence avec la scène dans un appartement aux larges baies vitrées), dans SNOWPIERCER qui recréait dans un train les castes fondées sur le pouvoir et l’argent. Ici, ça va encore plus loin, avec ce concept d’employé jetable, considéré comme de la merde, au sens propre, Mickey filmé comme un étron qu'on jette (parfois encore vivant) aux chiottes, ou sortant de l'imprimante 3D comme une crotte d'un côlon ! 

Bong Joon-ho aime aussi les films de monstres, ici ce sont les rampants, des gros cafards qui habitent la planète Nilfheim. C’est cet aspect qui rappelle l’AVATAR de Cameron, avec cette idée de créatures autochtones que les humains viennent coloniser, anéantir. MICKEY 17 est aussi une parabole écologique (comme THE HOST, OKJA). On pense évidemment à la conquête de l’Ouest et au sort fait aux Indiens, le fait d’utiliser des gaz toxiques rappelle un autre génocide. Comme le hurle, contrarié, Kenneth Marshall : « Je voulais les exterminer avec dignité, ils ne veulent pas, qu’ils aillent se faire foutre ! ». Y’a deux ou trois répliques excellentes, comme dans la séquence du dîner (Mickey teste une viande synthétique, puis le médicament censé lui éviter les diarrhées mortelles!), où Ylfa Marshall annonce péremptoire, amatrice de bonne cuisine : « La sauce, c’est ce qui sépare l’homme de l’animal ». Amen.

Le film trouve un second souffle avec la naissance de Mickey 18. Misant sur la mort du précédent, on en a généré un nouveau, mais ça ne c’est pas passé comme prévu. On se retrouve avec deux Mickey, on appelle ça des multiples, et c'est interdit. Verboten. Un des deux doit disparaître. Sauf que la copine de Mickey, adepte du kamasutra, voit bien quel profit tirer (sic) sexuellement de la situation, et garder les deux dans son lit !

Cette partie centrale du film est très réussie, même si la confrontation entre 17 et 18 arrive un peu tard. Bong Joon-ho est dans son élément quand il filme ses personnages, avec ce ton décalé, qui verse clairement dans la farce, un peu grivoise. Ce n’est pas le registre habituel des blockbusters SF, on imagine la Warner gênée par cet humour grinçant, et réclamer plus d’actions, plus d’effets. D’où un final grandiloquant, qui se traine, un peu niais, avec l'idée du traducteur, du Cameron tout craché ! La (fausse) dernière scène qui semble être un rêve est juste inutile, à moins. Bref, le film peine à conclure.

MICKEY 17 est très bien filmé (directeur photo Darius Khondji)divertissant, il fourmille d'idées. Bien qu'un peu longuet et avec un p'tit goût d’inachevé. Est-ce vraiment le film que Bong Joon-ho voulait faire ? Pas sûr, il a publiquement renié ce montage hybride. Verra-t-on un jour sa version ? En tous cas, c'est loin d'être la catastrophe décrite ici ou là (comme le dernier Coppola injustement descendu en flamme), un film qu'on regardera sans doute différemment dans quelques années.


couleur - 2h17 - format 1:1.85 (et Imax). 

2 commentaires:

  1. Des types tous pareils envoyés sur une planète avec des bestioles dangereuses, ça me fait penser à starship troopers, la série B assumée de Verhoeven ...
    Dupliquer des mickey avec une imprimante, faut se méfier du résultat, par ici ça a donné Mickey 3D ...

    Concernant Bong, le pluvieux Memories of a murder est excellent. peut-être bien son meilleur. "The host" et "parasite" sont très bien, même si j'avais préféré à "parasite" "une affaire de famille", sorti à peu près en même temps, assez cousin par son scénario, et surprenant par sa "légèreté" surtout venant de kore-eda

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  2. "Une affaire de famille" c'était très beau, comme souvent avec Kore-Eda, mais dans "Parasite" c'était une vraie famille, pas un groupe reconstitué dont on ne connait finalement pas les liens. Chez Bong Joon-ho il y a davantage un regard sarcastique, un discours politiques, il se moque souvent de ses personnages, les riches comme les plus pauvres. Au moment de la sortie, je me souviens qu'il citait Chabrol dans ses influences.

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