« Mais
un intellectuel qui, à l’encontre de M Taine, n’aurait pas peur
de la vie et qui, à l’encontre de Bouteiller, serait aussi dégagé
qu’un magnifique joueur mené par les seules émotions du jeu, oui,
un intellectuel avide de toutes les saveurs de la vie, voilà le
véritable héros »Maurice Barrés : Les
Déracinés.
Voilàdonc la mission la plus dure de l’homme, pousser ses connaissances
le plus loin qu’il peut, sans étouffer son humanité sous le poids
d’une austérité lourde. Poursuivre ce but, c’est subir le rejet
de la masse pour un succès des plus incertain. Se partageant la
majorité du genre humain, de fulgurants imbéciles et d’austères
intellectuels se vouent un mépris réciproque.
La bêtise, mauvaise
fée du monde, triomphe bien souvent de cet affrontement et dans bien
des domaines. Aujourd’hui protégée par la barricade d’une
morale absurde, celle-ci noie toute réflexion sous les éructations
de sa dictature moraliste. Philippe Murray parlait déjà du coup
d’état des idiots bienveillants dans l’empire du bien, dont une
partie du propos peut être résumé par cette citation de
Dostoïevsky : « Les gens intelligents n’oseront plus
parler de peur de vexer les imbéciles ».
Les pseudos
intellectuels osent pourtant parler, mais rarement hors du cadre
imposé par la force acéphale du conformisme de leur temps.
Confondant snobisme et intellectualisme, ils divaguent pompeusement
sur les sujets les plus consensuels, ajoutant ainsi l’ineptie
abstraite de la forme à la niaiserie gluante formant le fond de
leurs propos. Amour de l’humanité sans soucis de l’histoire des
hommes et des antagonismes de leurs cultures, psychanalyse que seule
la peur du pléonasme m’empêche de qualifier d’aliénante,
écologie décroissante de fils de bonnes familles bien
nourris, lutte contre un patriarcat mort depuis bien longtemps,
ces hommes sont les courageux mercenaires de tous les combat gagnés
d’avance.
Dans ce contexte, oppressé entre le mur épais de la
bêtise humaine et caressé par les douces mains d’un snobisme
dégénéré, le devoir de la véritable intelligence est de faire
renaître la grandeur humaine. Et cette grandeur, loin de se trouver
dans les réflexes prédéfinis d’un quelconque extrémisme
autoritaire, se cache dans la liberté imprévisible de ceux qui ont
trouvé leur vision de l’équilibre psychique.
Ian Hunter fut un peu
le symbole musical de cette quête, lui qui devint le Dylan du glam
rock. Il y eut d’abord la quête d’une identité, qui s’avéra
pour son groupe Mott the Hoople
un véritable chemin de croix. Ayant découvert sa vocation de rocker
lors des passages radiophoniques des tubes de Jerry Lee Lewis et
autres Buddy Holly, le chanteur resta toujours fidèle à l’énergie
primaire des débuts du rock’n’roll. Cette énergie chercha sa
robe sur quatre albums malheureusement oubliés, exercices de styles
aussi divers que rafraîchissants.
En l’espace de quatre albums, Mott the Hoople
passa du heavy blues au rhythm’n’blues, pour finir dans les
plaines bucoliques du country rock, avant de laisser entrevoir ce que
sera sa véritable personnalité. Dépité par le manque de succès
de son groupe, Ian Hunter finit par tout plaquer en 1972, alors que
la formation achevait une tournée calamiteuse des bars les plus
miteux et des stations-services les plus mornes. Heureusement, le
Mott eut alors comme spectateur de cette débâcle un certain David
Bowie.
Impressionné par le swing incandescent de ces rockers maudits,
il voulut les sauver d’une disparition qui paraissait alors
inéluctable. Auréolé de l’immense succès de « Ziggy
Stardust », le roi David semblait changer tout ce qu’il
touchait en or. L’homme proposa d’abord au groupe de reprendre
« Suffragette city », mais Hunter ne crut ni en cette
chanson ni en l’avenir d’un groupe semblant condamné d’avance.
Bowie et son guitariste Mick Ronson planchèrent alors sur l’hymne
d’une génération de jeunes dandys, qu’ils offrirent au Mott
telle une pierre philosophale rock.
Sorti par CBS, « All the
young dudes » est un des albums les plus iconiques du glam
rock, genre dont Bowie marqua une autre fois l’histoire en
produisant le « Transformer » de Lou Reed. Préfigurant
le punk, tout en se montrant bien plus fin que lui, le glam rock
renoua avec l’énergie des pionniers tout en restant digne du génie
mélodique anglais.
Bien que bourré de tubes binaires tels que « The
sucker » ou « Momma’s Little Jewel », « All
the young dudes » est un peu affadi par la production très pop
de Bowie. Les albums « Mott » (1973) « The hoople » (1974) et le « Mott the
hoople Live » (1974) furent plus proches de la véritable identité de ces vagabonds
maudits. Bowie fut la tête chercheuse du glam, Marc Bolan son cœur
poétique, Mott the Hoople
son corps vibrant et exultant au rythme du rhythm’n’blues.
Ils
furent les enfants turbulents de Chuck Berry, les petits frères des
tonitruants Who et des swinguants Stones. Durant une tournée
commune, Queen fut ébloui par le mojo étincelant du groupe de Ian Hunter, qu’il passa sa carrière à caricaturer à grands coups de
grandiloquence vulgaire.
C’est que, pour survivre à la mort du
mouvement qui l’a porté, un groupe doit développer un élément
qui déborde de son cadre. Pour Mott the Hoople,
cet élément fut la personnalité artistique de Ian Hunter. Digne
héritier des guides poétiques du rock des sixties, le chanteur
exprimait la tendre mélancolie qui imbiba les vers de Dylan Thomas
ainsi que certains textes de Bob Dylan. La nostalgie, ce poison
réconfortant, cet amour fanatique du passé, cette ivresse des
souvenirs, imbiba les textes du Mott telle une liqueur corrosive et
sucrée. « The golden age of rock’n’ roll » ramenait
les puristes au bon vieux temps des studios Sun, « All the
young dudes » fut le cri désespéré d’une jeunesse trop
vite perdue, sans oublier le blues de l’amour disparu « Trudi’s
song ».
Les chansons écrites par Ian Hunter furent sans cesse
écartelées entre la philosophie orgiaque du rock’n’roll et une
humeur automnale héritée de ses grands maîtres poétiques. Après
avoir recruté Mick Ronson pour faire de son premier album une
dernière récréation rock’n’roll, Ian Hunter s’exila à New York
pour inscrire ses pas dans ceux de son maître Bob Dylan. Là- bas,
celui qui se sentait jusque là plus américain qu’anglais se
surprit à regretter sa terre natale. En rejoignant les images de son
passé idéalisé, la terre des Beatles devint pour lui aussi belle
que le souvenir d’un premier amour.
Accompagné de John Cale et de quelques musiciens de l’E Street
Band de
Springsteen, Ian Hunter livra avec « You're never alone with a
schizophrenic » (1979) l’apothéose de son lunatisme musical. Comme
pour boucler la boucle, cet enfant de Dylan et d’Elvis produisit
l’excellent « Defiance part.1 » pour le légendaire
label Sun.
Élégant jusque dans la débauche, fougueux jusque dans
les plus profonds abysses de sa mélancolie, Ian Hunter fut un des
plus brillants distillateurs de cette liqueur douce amère que l’on
nomme le rock anglais. Sa musique sonne également comme l’hymne de
tous ceux cherchant à devenir ce véritable héros cher à Maurice
Barrès.
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