jeudi 12 décembre 2024

IAN HUNTER par Benjamin


« Mais un intellectuel qui, à l’encontre de M Taine, n’aurait pas peur de la vie et qui, à l’encontre de Bouteiller, serait aussi dégagé qu’un magnifique joueur mené par les seules émotions du jeu, oui, un intellectuel avide de toutes les saveurs de la vie, voilà le véritable héros » Maurice Barrés : Les Déracinés.

Voilà donc la mission la plus dure de l’homme, pousser ses connaissances le plus loin qu’il peut, sans étouffer son humanité sous le poids d’une austérité lourde. Poursuivre ce but, c’est subir le rejet de la masse pour un succès des plus incertain. Se partageant la majorité du genre humain, de fulgurants imbéciles et d’austères intellectuels se vouent un mépris réciproque. 

La bêtise, mauvaise fée du monde, triomphe bien souvent de cet affrontement et dans bien des domaines. Aujourd’hui protégée par la barricade d’une morale absurde, celle-ci noie toute réflexion sous les éructations de sa dictature moraliste. Philippe Murray parlait déjà du coup d’état des idiots bienveillants dans l’empire du bien, dont une partie du propos peut être résumé par cette citation de Dostoïevsky : « Les gens intelligents n’oseront plus parler de peur de vexer les imbéciles ». 

Les pseudos intellectuels osent pourtant parler, mais rarement hors du cadre imposé par la force acéphale du conformisme de leur temps. Confondant snobisme et intellectualisme, ils divaguent pompeusement sur les sujets les plus consensuels, ajoutant ainsi l’ineptie abstraite de la forme à la niaiserie gluante formant le fond de leurs propos. Amour de l’humanité sans soucis de l’histoire des hommes et des antagonismes de leurs cultures, psychanalyse que seule la peur du pléonasme m’empêche de qualifier d’aliénante, écologie décroissante de fils de bonnes familles bien nourris, lutte contre un patriarcat mort depuis bien longtemps, ces hommes sont les courageux mercenaires de tous les combat gagnés d’avance. 

Dans ce contexte, oppressé entre le mur épais de la bêtise humaine et caressé par les douces mains d’un snobisme dégénéré, le devoir de la véritable intelligence est de faire renaître la grandeur humaine. Et cette grandeur, loin de se trouver dans les réflexes prédéfinis d’un quelconque extrémisme autoritaire, se cache dans la liberté imprévisible de ceux qui ont trouvé leur vision de l’équilibre psychique.

Ian Hunter fut un peu le symbole musical de cette quête, lui qui devint le Dylan du glam rock. Il y eut d’abord la quête d’une identité, qui s’avéra pour son groupe Mott the Hoople un véritable chemin de croix. Ayant découvert sa vocation de rocker lors des passages radiophoniques des tubes de Jerry Lee Lewis et autres Buddy Holly, le chanteur resta toujours fidèle à l’énergie primaire des débuts du rock’n’roll. Cette énergie chercha sa robe sur quatre albums malheureusement oubliés, exercices de styles aussi divers que rafraîchissants. 

En l’espace de quatre albums, Mott the Hoople passa du heavy blues au rhythm’n’blues, pour finir dans les plaines bucoliques du country rock, avant de laisser entrevoir ce que sera sa véritable personnalité. Dépité par le manque de succès de son groupe, Ian Hunter finit par tout plaquer en 1972, alors que la formation achevait une tournée calamiteuse des bars les plus miteux et des stations-services les plus mornes. Heureusement, le Mott eut alors comme spectateur de cette débâcle un certain David Bowie

Impressionné par le swing incandescent de ces rockers maudits, il voulut les sauver d’une disparition qui paraissait alors inéluctable. Auréolé de l’immense succès de « Ziggy Stardust », le roi David semblait changer tout ce qu’il touchait en or. L’homme proposa d’abord au groupe de reprendre « Suffragette city », mais Hunter ne crut ni en cette chanson ni en l’avenir d’un groupe semblant condamné d’avance. Bowie et son guitariste Mick Ronson planchèrent alors sur l’hymne d’une génération de jeunes dandys, qu’ils offrirent au Mott telle une pierre philosophale rock. 

Sorti par CBS, « All the young dudes » est un des albums les plus iconiques du glam rock, genre dont Bowie marqua une autre fois l’histoire en produisant le « Transformer » de Lou Reed. Préfigurant le punk, tout en se montrant bien plus fin que lui, le glam rock renoua avec l’énergie des pionniers tout en restant digne du génie mélodique anglais. 

Bien que bourré de tubes binaires tels que « The sucker » ou « Momma’s Little Jewel », « All the young dudes » est un peu affadi par la production très pop de Bowie. Les albums « Mott » (1973) « The hoople » (1974) et le « Mott the hoople Live » (1974) furent plus proches de la véritable identité de ces vagabonds maudits. Bowie fut la tête chercheuse du glam, Marc Bolan son cœur poétique, Mott the Hoople son corps vibrant et exultant au rythme du rhythm’n’blues. 

Ils furent les enfants turbulents de Chuck Berry, les petits frères des tonitruants Who et des swinguants Stones. Durant une tournée commune, Queen fut ébloui par le mojo étincelant du groupe de Ian Hunter, qu’il passa sa carrière à caricaturer à grands coups de grandiloquence vulgaire.   

C’est que, pour survivre à la mort du mouvement qui l’a porté, un groupe doit développer un élément qui déborde de son cadre. Pour Mott the Hoople, cet élément fut la personnalité artistique de Ian Hunter. Digne héritier des guides poétiques du rock des sixties, le chanteur exprimait la tendre mélancolie qui imbiba les vers de Dylan Thomas ainsi que certains textes de Bob Dylan. La nostalgie, ce poison réconfortant, cet amour fanatique du passé, cette ivresse des souvenirs, imbiba les textes du Mott telle une liqueur corrosive et sucrée. « The golden age of rock’n’ roll » ramenait les puristes au bon vieux temps des studios Sun, « All the young dudes » fut le cri désespéré d’une jeunesse trop vite perdue, sans oublier le blues de l’amour disparu « Trudi’s song ». 

Les chansons écrites par Ian Hunter furent sans cesse écartelées entre la philosophie orgiaque du rock’n’roll et une humeur automnale héritée de ses grands maîtres poétiques. Après avoir recruté Mick Ronson pour faire de son premier album une dernière récréation rock’n’roll, Ian Hunter s’exila à New York pour inscrire ses pas dans ceux de son maître Bob Dylan. Là- bas, celui qui se sentait jusque là plus américain qu’anglais se surprit à regretter sa terre natale. En rejoignant les images de son passé idéalisé, la terre des Beatles devint pour lui aussi belle que le souvenir d’un premier amour. 

Accompagné de John Cale et de quelques musiciens de l’E Street Band de SpringsteenIan Hunter livra avec « You're never alone with a schizophrenic » (1979) l’apothéose de son lunatisme musical. Comme pour boucler la boucle, cet enfant de Dylan et d’Elvis produisit l’excellent « Defiance part.1 » pour le légendaire label Sun. 

Élégant jusque dans la débauche, fougueux jusque dans les plus profonds abysses de sa mélancolie, Ian Hunter fut un des plus brillants distillateurs de cette liqueur douce amère que l’on nomme le rock anglais. Sa musique sonne également comme l’hymne de tous ceux cherchant à devenir ce véritable héros cher à Maurice Barrès.

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