vendredi 4 octobre 2024

MEGALOPOLIS de Francis Ford Coppola (2024) par Luc B.


Tout de même, ça force le respect. Sans doute pas le film en lui-même, quoique, on verra dans 40 ans, avec le recul, mais au moins la démarche, celle d’un réalisateur parmi les plus célèbres, parrain du Nouvel Hollywood, qui lorsqu’on lui en a donné les moyens a toujours donné dans la démesure. Et lorsqu’il n’avait plus un kopeck, aussi. Le budget explosé d’APOCALYPSE NOW avait été renfloué par l’hypothèque de ses biens. Jackpot ! Palme d’Or ! Aussi sec, le fric déboule pour COUP DE COEUR. Qui se ramasse, retour à la case départ, sans passer par la banque.

Avec Coppola, ça passe ou ça casse. MEGALOPOLIS, projet de longue date, a été financé à hauteur de 120 millions de dollars, grâce à la vente d’une bonne partie de son vignoble. Fait rarissime dans l’industrie du cinéma. Chez nous il y avait eu le cas Tati, avec PLAYTIME, financé sur ses deniers personnels. Résultat : ruiné. Monsieur Hulot a fini sa vie hébergé chez des amis, incapable de payer un loyer… « Je n’aime pas l’idée de donner des prix aux œuvres d’art, mais si on m’en remet un, j’aimerais que ce soit le prix Jacques Tati » disait Coppola dans une interview. Geste fraternel.

Vu comme cela s’annonce, le Francis doit déjà de nouveau être au bord de la banqueroute. Nous étions 9 spectateurs dans la salle, ce qui frise l’injure, et 5 à la fin. Là, c’est un camouflet. Qui résume ce que tout le monde pense du dernier projet pharaonique de Coppola, inutile, mégalo, boursouflé et insipide. Sauf que moi, je n’ai pas détesté, loin de là, et je le prouve !

Le souci, c’est le fond. A part parler de lui en mode artiste incompris mais visionnaire - on aura saisi les multiples allusions – que raconte ce film ? Dans la première partie, les tableaux sont magnifiques mais une intrigue peine à surgir. Le maire conservateur de New Rome, Franklyn Cicéro, a des projets pour rebâtir sa ville qui s’opposent à la vision progressiste de l’architecte star, César (qui roule en DS Citröen). Ils se conspuent à coup de conférences de presse délirantes retransmises en direct à la télé. C’est maigre, d’autant que Coppola n’a pas grand-chose à proposer en termes de réflexion sur l’environnement de vie, mais mine de rien, ça reflète cette Amérique dominée par les coups médiatiques, à la Trump en campagne. 

Par contre, sur la forme, il y a de fameuses idées (fumeuses diraient d’autres), comme cette conférence de presse au dessus des maquettes de la future citée, les protagonistes perchés sur des échafaudages, le public surchauffé, la présentatrice vedette avide de scoop, les jeux du cirque, Coppola nous refait même la course de char de BEN-HUR (au Madison Square Garden!). Tout ça commence plutôt bien, si les propos sont abscons ou naïfs, au moins à l’écran y’a de l’action.

[<= Shia Labeouf en mini-toge, qui s'est visiblement beaucoup amusé avec la costumière !] On apprécie la présence de Jon Voight, il joue Crassus, l’oncle richissime de César, et de Dustin Hoffman en éminence grise corrompue jusqu’à l’os. Le rôle avait été prévu pour James Caan, qui était de l’aventure du PARRAIN (décédé avant le tournage) et on retrouve aussi sa partenaire d'alors, la frangine de Coppola, Talia Shire. Deux générations d’acteurs, le nouvel et le nouveau Hollywood, les jeunes étant Adam Driver et Shia Labeouf qui en font des tonnes, tous sont assez excessifs dans leurs jeux, c'est raccord avec la mise en scène. Laurence Fishburne est aussi de la fête, en majordome de César. J’ai bien aimé la prestation de Aubrey Plaza dans le rôle de Wow Platinum, la starlette télé volcanique et vraie salope quand il s’agit de toucher le magot. Par contre, Nathalie Emmanuel (vue dans GAME OF THRONES) qui joue Julia la fille du maire, n’insuffle rien de décisif à son personnage, faut dire aussi que le rôle est assez fade.

Si les patronymes renvoient à la Rome antique, c’est que le film est un savant mélange des deux époques / civilisation, Coppola jouant sur l’architecture (Wall Street et ses colonnes devient comme un temple romain), les intérieurs, les vêtements, grappes de raisin sur les tables. Joli plan d’un manteau soufflé par le vent, qui semble emmitoufler le personnage dans une toge. On aura compris la métaphore, la chute de Rome vs la fin de l'Amérique dorée des 70's vécue par Coppola.

Coppola s’offre un long délire limite psychédélique, César boit pas mal, gobe plein de pilules, et comme Coppola – d’après des indiscrétions – passait son temps à fumer des six feuilles de ganja pendant le tournage, c’est assez raccord, et pourrait expliquer beaucoup de choses... Là, le film patine un peu, ballet de personnages grotesques, le film tient de la farce, chacun y va de son numéro, on se demande où le réalisateur veut en venir, s’il le sait lui-même.

Et puis MEGALOPOLIS se recentre sur ce que Coppola sait faire de mieux, le drame familial sous influence shakespearienne. Entre Julia la fille du maire qui passe dans le camp de César (par amour), Wow Platinum délaissée qui se console dans les bras du vieux Crassus pour fomenter sa vengeance, puis dans ceux de son fils Clodio pour siphonner les comptes en banque du vieux, le même Clodio, populiste des basses œuvres qui complote pour assassiner César… D’un coup, le film a un regain de vitalité, on est dans des intrigues plus classiques, toujours servies par une mise en scène qui enchaîne les morceaux de bravoure.

Coppola cite beaucoup. On pense tout de suite à CITIZEN KANE avec ces magnas emprisonnés dans leurs palais, le jeu volontairement grotesque d’Adam Driver (Welles et les cènes au journal) et y'a même la boule de neige ! Citation directe à LA NUIT DU CHASSEUR de Charles Laughton avec ce cadavre de femme sous l’eau, dans une voiture, cheveux flottants. Certains plans de la cité renvoient au BLADE RUNNER de Ridley Scott, on pense aussi à Christopher Nolan, celui de TENET ou de INCEPTION (la poésie en plus chez Francis F.) car César a le pouvoir d’arrêter le temps : très belle scène d’ouverture, et plus tard de la destruction d'un immeuble. Que fait-il de ce pouvoir ? Nada… Coppola non plus. Beaucoup de pistes alléchantes sont inabouties.

Entre autres influences, en vrac, Cocteau et les statues vivantes, celle de la justice tombe de son piédestal, le film muet avec l’usage des encarts, les fermeture à l’iris, et surtout Abel Gance* dont il reprend l’idée du triptyque de NAPOLÉON. On peut même remonter jusqu’à George Mélies, dans l’usage des trucages. On pense à son DRACULA, dont les effets visuels étaient produits dès le tournage, sans ajout de numérique. Coppola utilise la vieille technique du fond vert, superbes plans de la robe transparente, où le personnage devient comme invisible, et il y a aussi des séquences animées. Coppola utilise toutes les ressources du cinéma pour servir son récit, de manière souvent artisanale, parfois avec la 3D, paradoxalement vieillotte. Une esthétique assez années 80 (date où l’idée du film a germé dans l’esprit de son auteur, et le satellite russe tagué d'un CCCP anachronique !), je n’ai pas détesté ce mélange de SF / Peplum. 

MEGALOPOLIS n’est pas un film chiant. Le rythme est relativement soutenu, Coppola élève même le tempo dans la seconde partie. On pourra lui reprocher d’être soit trop naïf, convenu, soit trop confus, comme si Coppola ne savait pas organiser ses pensées, son discours. Mais visuellement, c’est un feu d’artifice à chaque instant, le cinéaste laisse la concurrence loin derrière, parce qu’il ose, quitte à être pompeux, voire pompier. De la part d’un homme de 85 ans, croire encore à la force du cinématographe, oui, ça force le respect. Son cinéma n’a peut être plus grand chose à dire mais il a tout à montrer. 

* Coppola avait racheté les droits du film "Napoléon" d'Abel Gance, pour le restaurer, et avait inventé pour l'occasion le concept de ciné-concert, son père Carmine ayant composé la nouvelle musique du chef d'oeuvre de Gance. Pour plus d'infos, clic vers l'article : NAPOLEON par Abel Gance  

 


Couleur – 2h18 - format 1:2.00 


2 commentaires:

  1. Une critique plus ou moins positive sur le dernier Coppola, ça court pas les rues ... film à peu près unanimement dézingué ...

    RépondreSupprimer
  2. Il semblerait que certains critiques assassins au moment du festival de Cannes, avec le recul, font un peu marche arrière aujourd'hui, et admettent que finalement, ce n'est pas de la daube. Coppola lui même en interview, disait qu'il fallait du temps pour apprécier certains films, l'échec de "Playtime" de Tati, il parlait aussi de son "Coup de coeur" massacré à sa sortie, qui 40 ans plus tard a retrouvé de l'éclat ! Si lui même le dit...

    RépondreSupprimer