vendredi 5 juillet 2024

VAUDOU (I WALKED WITH A ZOMBIE) de Jacques Tourneur (1943) par Luc B.


Le cinéma fantastique a toujours attiré les foules, les studios l’avaient bien compris, rien de tel que filer le frisson aux spectateurs. On en avait parlé à propos de FREAKS (lien en fin d'article). Au début des années 40, les studios Universal, pionniers en la matière, laissent tomber le genre, la RKO reprend le filon. On arrête avec les monstres de tous poils, les performances d’acteurs maquillés, les momies et autres Frankenstein, place à l’étrangeté, à l’atmosphère. Atmosphère, atmosphère ? Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? Concernant Jacques Tourneur, la réponse est oui !


Car Tourneur et son producteur Val Lewton vont mettre au point la formule magique, avec trois films sortis coup sur coup, LA FÉLINE, L’HOMME LÉOPARD, et VAUDOU, objet de notre causerie.

Le titre original est I WALKED WITH A ZOMBIE. Le premier plan du film montre une plage, au loin une femme semble errer dans un état second, la voix off dit : « J’ai rencontré un zombie ». Flash-back…

Betsy Connell est infirmière, on lui propose un poste de garde malade à Haïti, pour s’occuper de Jessica Holland, épouse du riche Paul Holland, qui gère des plantations de cannes à sucre. Jessica Holland est atteinte d’un mal inconnu, sorte de léthargie sans doute due à une infection, de fortes fièvres, d’après le médecin du coin, le docteur Maxwell. En arrivant sur place, Betsy Connell est surprise par les tensions qui règnent dans le clan Holland

Quand on dit zombie, on pense à George Romero, et à des morceaux de barbaques sanguinolentes jetés aux quatre coins de l’écran. VAUDOU n’a rien d’un slasher, curieusement, bien que fantastique, il reprend souvent les codes du Film Noir, du drame gothique. Là où Jacques Tourneur va innover, sans doute aussi par manque de budget, c’est en créant des images sombres, qui dissipent étrangeté et épouvante.

A l’image de ce plan du voilier qui emporte Betsy Connell vers les Antilles, Tourneur filme à contre-jour du soleil, le navire et ses voiles apparaissent donc comme une masse noire et menaçante, qui n’augure rien de bon… D’autant que Holland, présent sur le bateau, annonce la couleur : « Tout vous semble beau parce que vous ne comprenez pas. Rien n’est beau ici. Tout n’est que mort et putréfaction ».

Arrivée à la plantation Holland, il y a cette statue qui trône à l’entrée, d’un homme percé de flèches. L’atmosphère est tendue. Alors qu’elle est reçue par l’affable et bambocheur Wesley Rand (le demi-frère de Paul), tout le monde se raidit lorsque Paul arrive, un domestique au garde à vous surgit avec un plateau à la main. On sait qui est le maître de la maison.

Les scènes sont souvent tournées de nuit, les intérieurs sont striés par les ombres noires des stores. Tourneur remplit à ras bord ses cadres, joue sur la profondeur de champ, les ombres reportées, bric à brac baroques en amorce du cadre, obligeant le spectateur à scruter l’image pour y trouver du sens. C’est l’idée de la mise scène, composer des images suffisamment sombres pour que le spectateur s’y perdre, pense y voir des trucs, fasse travailler ses méninges. La peur peut survenir à chaque instant, comme lorsque Betsy Connell sursaute en plantant une fourchette dans une grosse brioche qui se dégonfle en faisant pschitt !

La première séquence qui reprend le code des films de zombie et celle où Jessica Holland, comme un fantôme, une somnambule, sort de sa chambre, et surprend l’infirmière Connell qui visitait la propriété. Le seul élément lumineux du plan est l’arête de l’escalier qui barre toute l’image en diagonale, le reste est noir comme la nuit. Jessica s’avance vers Betsy, qui hurle, alertant la maisonnée.

Les aspects mystérieux de VAUDOU sont autant dans l’état de Jessica Holland (que lui est-il vraiment arrivée ?) que dans les sombres affaires de famille. Il y a une scène remarquable où Betsy et Wesley sont à la terrasse d’un café, lui boit comme un trou, et on entend une chanson qui moque les relations entre les deux frères et l’infirmière. L’insolent sera prié de se taire, mais on le reverra, s’accompagnant de sa guitare, avançant lentement vers Betsy, comme s’il voulait l’ensorceler, ou la mettre en garde. Toute la ville semble connaitre la vérité sur la relation entre les demi-frères Holland et Jessica.

L’épouvante monte crescendo. On rentre dans le vif du sujet quand Betsy Connell emmène Jessica Holland consulter le Damballa (le sorcier Vaudou). Superbe long travelling qui longe d’abord la maison, pour constater, par les fenêtres, que chacun est occupé, puis la caméra s’approche de l’infirmière et sa patiente pour les accompagner. Il y a des jeux de lumières splendides sur la transparence de la robe de Jessica, elle apparaît comme un spectre, puis le parcours dans le champ de cannes à sucre, avec son cortège de cranes, animaux pendus, et cet homme zombifié planté comme un piquet.

On a droit à une cérémonie avec tams-tams, danses, rituels, le récit s’accélère, dernière ligne droite où les vérités seront révélées. Superbes scènes avoir la poupée à l’effigie de Jessica, un classique du genre, et Tourneur réussit un magnifique montage parallèle entre la poupée transpercée par les aiguilles et un véritable meurtre (dont je tairais of course les tenants et aboutissants). Les dernières séquences sont vraiment formidables, prenantes, tragiques à souhait, jusqu’à l’ultime scène sur la plage, qui renvoie à l’entame du film.

Amateurs d’hémoglobine passez votre chemin ! On est évidemment loin des productions contemporaines bien gore avec effets spéciaux. La formule du producteur Val Lewton était : « Une histoire d’amour, trois scènes d’angoisse suggérées, une scène d’horreur, le tout en moins de 70 minutes ». Et a marche ! Grâce à la mise en scène de Jacques Tourneur qui mise sur l’opacité, la suggestion. On se laisse happer par ce scénario - somme toute assez simple - jusqu’au dénouement final de toute beauté.

Paul Holland est interprété par l’acteur Tom Conway, son visage et surtout sa voix nous semblent familiers, il nous fait penser à George Sanders, et pour cause, ils sont frères !

👉 Comme il n'est si bonne compagnie qui ne se quitte, un autre film de Jacques Tourneur la semaine prochaine !  

Autre film de Jacques Tourneur chroniqué : RENDEZ-VOUS AVEC LA PEUR

On en avait aussi parlé... FREAKS


Noir et blanc  -  1h08  -  format 1:1.37


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