mercredi 5 juin 2024

The BLACK CROWES " Happiness Bastards " (2024), by Bruno

 


   Pouvions-nous encore attendre quelque chose de nouveau de ces olibrius ?

     L'aîné, avec son Chris Robinson Brotherhood, semblait avoir la tête dans un brouillard saturé d'encens et d'herbes diverses, et sa discographie abondante aurait gagné à être succincte pour se recentrer sur le meilleur. Ou à essayer de se réguler sur les longues plages de jam bands en plein trip de champignons hallucinogènes. Rich, de son côté, paraît moins actif, avec quelques live et Ep sous son nom. Toutefois, The Magpie Salute, même si tout n'est pas du même tonneau, semble avoir retrouvé la formule magique. Probablement aidé par la présence de Marc Ford, second guitariste des Black Crowes de 1991 à 1997 et de 2005 à 2006, et de Sven Pipien, bassiste des années 1997 à 2000, puis des diverses reformations. Ce dernier groupe, The Magpie Salute, parvenait à faire jaillir quelques éclats teintés du meilleur des Black Crowes. Et c'est probablement celui dont l'avenir s'avérait le plus prometteur.

     Et puis, finalement, en 2019, les deux frérots tentent une nouvelle fois encore de relancer la machine. En essayant de mettre un peu d'eau dans leur vin, de tempérer leurs ardeurs. De parler avant de se foutre sur la gueule. Après maintes moutures et essais pour relancer une carrière qui avait pourtant été brillante à ses débuts, - réussissant à avoir du succès en pleine vague grunge, avec une musique alors considérée de « revival » -, cette énième réunion passe quasiment inaperçue. Ou du moins, n'éveille pas plus d'intérêt que ça. Si ce n'est que la bande part en tournée en ne s'appuyant que sur le vieux matériel. En l’occurrence, l'intégralité du premier album comblée par des titres du second. Le magistral « The Southern Harmony and Musical Companion ». Une bonne initiative qui permet de remplir les salles et de ravir un public demandeur.


  Cependant, si les prestations sont unanimement saluées (désormais, comme l'atteste la photographie ci-contre, les Robinson peuvent sourire sur scène), en matière de composition, l'inspiration semble tarie. Rien en quasiment cinq ans. L'album de reprises un peu chiche – un Ep de seulement six pièces - et sans grand intérêt, donne l'image d'un groupe désormais en semi-retraite, profitant de sa notoriété (méritée) pour monter sur les planches. Pourquoi pas ? Mais depuis « 
Lions », album décrié de 2001 (qui, en dépit de quelques trébuchements, mérite pourtant largement d'être réhabilité), The Black Crowes ne brillent pas particulièrement par leurs disques. Pourtant rien de rédhibitoire, rien de mauvais, au contraire, mais rien non plus qui accroche, rien qui saisit et hypnotise suffisamment l'auditeur, pour que cela s’imprègne dans son esprit. Certes, on n'a pas le droit de faire des remontrances à un groupe, plus précisément à un duo de frangins, qui a sorti des disques tels que « Shake Your Money Maker », « The Southern Harmony and Muscial Companion », « By Your Side » et « Lions », toutefois, et paradoxalement à cause de ce glorieux actif, on ose toujours en espérer un peu plus.

     L'attente fut suffisamment longue pour tarir les espoirs. Mais en l'an de grâce 2024, presque quinze ans après un vrai album studio (1), The Black Crowes sort un neuvième album (dix ans si on tient compte de « Croweology » de 2010, qui adapte en acoustique des morceaux piochés dans la discographie des années 90 jusqu'à "Lions"), et on n'est pas déçu. Bien au contraire.

     Indéniablement, les années précédentes passées à user leurs vieux morceaux sur la route, leur ont permis de se retrouver, de se ressouder. Malgré les ans qui ont marqué leur visage – surtout celui de Chris -, empâté leur tour de taille – surtout celui de Rich -, l'énergie est là. Regénérée, communicante et enivrante, bouillonnante, telle qu'il n'y en avait peut-être plus eu depuis « By Your Side ». Les Robinson brothers ont la gnaque. La grande majorité des morceaux marque un retour vers un format court. Seul « Wilted Rose », morceau de country-rock essentiellement acoustique, avec la présence de Laney Wilson (figure montante de la scène country), fait une incartade en dépassant de justesse les cinq minutes (du coup, c'est probablement la chanson la moins intéressante). Les sèches sont de nouveau de sortie pour « Kindred Friend », pour un final au bouquet de parfums mélangeant habilement Rolling Stones et Beatles (les intonations de Chris sont alors proches d'un John Lennon), avec quelques menus et occasionnels arrangements de violons et une plainte d'harmonica chargée de regret.

     Pour le reste, la direction prise par ces corbeaux est plutôt du genre gros Rock batifolant sans vergogne avec un Hard-blues poisseux. C'est du bon, du savoureux, du juteux, franchement de l'organique et du viscéral. A une époque où même les albums de Rock – et de Heavy-rock –,   à force de tout retoucher pour gommer toutes traces d'imperfections (en retraitant même numériquement le tempo), ont tendance à perdre leur humanité, cet album, lui, sonne comme une prise live. Sans compresseur ou autre muselière pour les guitares, les laissant librement crier, baver, postillonner. Certainement encouragées par un Fuzz ou une grosse overdrive pour grossir et salir le son. Et surtout, no auto-tune ! Chris a perdu un peu de voix, elle accuse son âge et les excès, et parfois elle paraît au bord de la fêlure, mais on s'en bat le flanc. C'est du rock, c'est vivant, ça transpire, ça éructe, ça revendique une simple envie de vivre. Et surtout, et c’est là l’essentiel, il a toujours ce mojo, cette présence. Les corbacs ont bouffé du lion. 


   Ils n'y vont pas par quatre chemins, entamant l'album par deux heavy-rock copieusement assaisonnés de blues épais à l'odeur de bitume. Rich, véritable usine à riffs, délivre des rythmiques avec la nonchalance d'un prince sûr de lui-même, confiant en ses capacités, mais préférant faire preuve d'humilité plutôt que d'arrogance. Faisant fi de l'esbrouffe, d'inutiles et inconsistants tapages, s'économisant pour préserver son énergie et balancer la sauce à bon escient. Toujours au service de la musique plutôt que de son ego. "
Cross Your Fingers" semble calmer le jeu en s'ouvrant au folk, mais ce n'est qu'un leurre, un intermède donnant encore plus de force quand le riff déboule subitement. Simple, primaire, évident, comme un funk alourdi, embourbé, joué tel un apprenti articulant chaque note. Ce qui finalement le gratifie d'une douce et naturelle puissance.

     De prime abord, la majorité des morceaux pourrait paraître relativement bourrins, privilégiant l'énergie à la subtilité. Mais que nenni. Avec une écoute attentive - de préférence au casque, ou sinon sur une vraie bonne et lourde chaîne hifi qui crache les watts avec finesse et détail -, une porte s'ouvre sur un monde de pur rock'n'roll où chaque musicien apporte une contribution essentielle à l'édifice. Evidemment, les guitares de Rich sont les reines de "Happiness Bastard", mais derrière, le nouveau comparse à la seconde guitare, truffe deci-delà des licks toxiques et flamboyants (en favorisant les tonalités mates, relativement graves - genre Gibson ou positions intermédiaires chez Fender). On y découvre aussi une basse qui, tout en s'échinant à épaissir la forme, peut suivre sa propre ligne, injectant un peu de funk boueux. Pas toujours épargné par ses collègues et moins présent que le regretté Eddie Harsch, les claviers versatiles d'Erik Deutsch (Shooter Jennings, Norah Jones, Shelby Lynne, Fat Mama) font effet de rayons de soleil dans ces chaudes bourrasques de heavy-southern-swamp-rockin'-blues. Ha... oui... mais c'est quoi finalement The Black Crowes ? Une sorte de Faces sous stéroïdes ? Y'a de ça. Du Stones (plus Taylor que Wood) après un stage de remise en forme chez Foghat ? Y'a un peu de ça aussi. Du Humble Pie funky ? Mmmm... à cogiter... Un Aerosmith qui serait né en Georgie ? Qui sait ? Les titres forts, "musclés, tels que "Bedside Manners",  "Rats and Clowns",  "Wanting and Waiting", " Dirty Cold Sun", "Follow the Moon" peuvent y souscrire. Bien que même si on peut jouer au jeu des références (parfois évidentes), il y a une marque "Black Crowes", reconnaissable et qui se fout de ce qui serait à la mode ou pas.

   A côté, il y a aussi du gros blues qui tache avec « Bleed It Dry » aux allures de Tom Waits revisité par une troupe de desperados amateurs de saloons cradingues et de saturations baveuses. Chris ressort son harmonica qu'il passe aussi dans un ampli à bout de souffle, tandis que le pianiste s'acharne sur les touches douteuses d'un piano bastringue.

   Ou encore une curiosité avec « Flesh Wound » qui sonne comme une grosse fiesta prolétarienne dans un pub anglais bondé, où Cheap-Trick (probablement égaré) monterait sur la petite estrade pour s'éclater en musique avec un jeune groupe de Pub-rock carburant sévère à la Ale, et faire danser toute la clientèle, sautillant sur place, se bousculant, tapissant le sol de bières renversées. Une ambiance inattendue, permettant aux Crowes de sortir de leur zone de confort. 

     Bien longtemps qu'un album des Black Crowes n'avait pas tourné aussi fréquemment sur la platine, quasiment en boucle jusqu'à plus soif.

 "Un Robinson, ça va, c'est sympa. Mais deux Robinson, ça envoie le bois et festoient" Confucius

 

     Si Sven Pipien a bien suivi Rich, ce n'est étonnamment pas le cas pour Marc Ford, pourtant lui aussi actif partenaire de Magpie Salute. A la place, c'est un certain Nico Bereciartua, qui a été recruté. Un Argentin qui a tissé de solides liens d'amitié avec Rich, a joué avec lui en solo puis lors des premières heures de The Magpie Salute (avant toutes sessions en studio). Il semblerait qu'avec Nivo, Rich a trouvé un quasi parfait alter-ego pour le seconder. C'est bien simple, au contraire des précédents acolytes, il est difficile de différencier Nico de Rich. Et en plus, ce sont tous les deux de bons joueurs de slide.

   Décédé précocement en novembre 2016 (alors au sein de Magie Salute), le pauvre Eddie Harsch ne fait pas non plus partie de cette énième résurrection. Tandis que Steve Gorman, qu'on aurait cru un élément indéboulonnable, présent dès les balbutiements des Crowes, n'est plus en odeur de sainteté depuis la parution de ses mémoires - très critiquées par les frères Robinson.

 


(1) L'album "Before the Frost... Until the Freeze" qui proposait un second chapitre à télécharger. Sympa, mais si ça plante, on est marron (ce fut mon cas, et tintin pour un second essai...in the baba)

(2) Nico est le fils de Victor "Vitico Canciller" Bereciartua, bassiste et chanteur, figure du Hard-rock argentin, actif depuis la fin des années 60, qui fonde Riff, un groupe de Heavy-metal Argentin du genre carré, influencé par la NWOBHM, avec le guitariste-chanteur Pappo (Norberto Napolitano, héro du Hard-blues argentin 70's - à la gratte des plus volubile - avec Pappo's blues) et un certain Michel Peyronel (ancien batteur d'Extraballe - voui, le groupe Français- et frérot de Danny, le claviériste d'UFO de 1975 à 76, et de Heavy Metal Kids). Au début du siècle, les Bereciartu forment un groupe familial de Heavy-boogie-blues sous le patronyme de Viticus (probablement ce que le paternel a fait de mieux).



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14 commentaires:

  1. Shuffle Master.5/6/24 08:55

    Je confirme tout ce qui est dit. Le disque est resté 15 jours non stop sur la platine. Pour avoir la niaque, ils ont l'ont. Rich Robinson est toujours aussi ridicule sur scène....

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    1. Pourquoé ridicule ?

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    2. Shuffle Master.9/6/24 11:03

      Sa présence sur scène: "pas de danse", mimiques, claquements de mains...etc.

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    3. ha.... okay... je présume donc qu'il s'agirait plutôt de Chris. Le chanteur, bien plus extraverti que le cadet 😁
      Rich, c'est le blondinet, à la guitare, par particulièrement expansif

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    4. Shuffle Master.9/6/24 19:58

      Mea culpa....

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  2. "Oh la vache, ça éclabousse ! "Ça mitraille sec"

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  3. J'ai jamais été fan des Black Crowes mais les remarques ci-dessus vont peut-être me convaincre de jeter une oreille sur ce disque. En revanche Chris Robinson Brotherhood là j'adhère après un tri quand même , mais pour le fan du Dead que je suis , ( hello Shuffle!) ce groupe me parlait , la présence de feu Neal Casal n'y était pas pour rien! Magpie Salute oui le premier est excellent , le second je suis moins enthousiaste .

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    1. Shuffle Master.5/6/24 13:50

      M'étonne pas.... Chris Robinson Brotherhood (j'en ai un, que j'écoute de temps en temps), c'est quand même un peu moins soporifique que le Grateful Dead (j'ai un coffret Rhino - acheté sur une erreur d'étiquetage chez Amazon - que je n'écoute jamais). Ce dernier disque des Black Crowes est du même tonneau que les deux premiers. Achat indispensable si on veut garder une certaine crédibilité.

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    2. Ouaip, Neal Casal. C'est sa présence qui m'a incité à écouter les disques du CRB. Cependant, s'il y a quelques bons trucs, Neal semble ailleurs. Enfin, ce n'est plus celui des (premiers) albums solo et de Hazy Malaze.

      Pour The Magpie Salute, Rich aurait gagné à moins charger le panier ; à mon sens, sur les deux albums, deux ou trois titres en moins aurait été une bonne chose.

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    3. SM, les galettes du CRB sont inégales. Sa production plutôt abondante, - en roue libre -, fait qu'il peut y avoir de larges écarts de qualité entre deux albums successifs. Parfois, on a l'impression que les enregistrements ont été effectué dans un brouillard opaque d'herbes du maquis et sous les effets de cocotions aux champignons. En comparaison, le "Amorica" des Black Crowes pourrait paraître des plus policés 😁.

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    4. En jetant un oeil dans ma cdthèque je viens de m'apercevoir qu'il y a un troisième Magpie Salute , le "High Water 2 " . Pas aussi sévère que toi Bruno en ce qui concerne Casal avec le CRB , surtout sur le premier disque du groupe sur lequel plane le fantôme de Jerry Garcia .

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  4. Très bon album effectivement, bien pêchu, bonnes compos, mais 10 titres pour 38 minutes, on ne les reconnaît plus les corbeaux...

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    1. Shuffle Master.5/6/24 18:20

      Entre 38 minutes comme ça et 3 vinyles (2 CD) du Grateful Dead (Europe 72, par exemple), le choix est vite fait.

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    2. J'suis d'accord. La qualité avant la quantité.
      D'ailleurs, visiblement, ça semble être la nouvelle tendance (imposée ?), les galettes plus courtes, de près de 40 minutes.
      Ce qui correspondrait d'ailleurs (sauf erreur), généralement, à la durée maximale d'attention.

      Dans les années 90, avec l'avènement du CD, les labels ont forcé les groupes à en faire plus que de raison, avec des disques tournant autour des 70 minutes. Et pour ce faire, combler de trucs absolument dispensables. Sans parler des rééditions surchargées de "bonus" alourdissant tellement le disque qu'on finit par ne plus le sortir (pour exemple, les "Anniversary" de Deep Purple)
      D'ailleurs, les grands classiques (blues, soul, rock, etc...), tournent aux alentours des 40 minutes. A titre d'exemple, "Lovedrive", très dense au demeurant, c'est dans les 35 mn. "Machine Head" aussi, non ? "Highway to Hell" ? "Street Survivors"

      Sans oublier le petit problème technique : plus c'est chargé, plus la qualité sonore s'en ressent.


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