vendredi 7 juin 2024

ERIC CLAPTON - Concert à l'Accor Arena (Bercy) le 26 mai 2024, par Luc B.

J’y suis allé comme on va visiter un vieil oncle éloigné dont on vous dit qu’il ne passera pas l’hiver, avec appréhension mais indulgence, et respect pour service rendu à la nation, celle du blues. J’avais cru comprendre qu’Eric Clapton (79 ans aux nougats) était perclus d’arthrite et sourd comme un pot, ce qui n'augurait rien de bon.

Et là, surprise ! C’est un jeune homme qui entre sur scène, démarche nonchalante, classieux dans son veston bleu, brushing impeccable, qui empoigne direct sa Stratocaster customisée en drapeau palestinien. Quelques arpèges pour vérifier le son, puis les premiers accords de l’instrumental « Blue dust », slow bluesy joué à l’unisson avec Doyle Bramhall II, fidèle bras droit (bien que gaucher) depuis deux décennies, verres fumés et chemise à jabots. L'entrelacement des lignes de guitares rappellent l'esprit des sessions de Layla avec Duane Allman.

Après un sobre « bonsouâr, good evening », on rentre dans le dur avec deux classiques du blues, « Key to the highway » (attribuée à Big Bill Broonzy) et « Hoochie Coochie Man » de Willie Dixon. Le son est costaud, mais pas saturé, bien mixé, bien rendu, et c’est un déjà festival de chorus, les deux guitaristes, puis Tim Carmon à l’orgue Hammond et l’indéboulonnable Chris Stainton au piano, tignasse filasse et binocle au bout du nez. Les interventions des deux choristes sur « Hoochie Coochie Man » font glisser le titre vers une soul gospel, magique. On est rassuré, les doigts sont agiles, courent sur le manche, et surtout la voix est là, fêlée comme il faut, suave ou grondante. Clapton n'a jamais été considéré comme un grand chanteur, je m'inscris en faux ! Il fait avec ce qu'il a, et le fait bien. 

Le groupe envoie du lourd ensuite avec le superbe « Badge », une chanson de la période Cream, co-écrite avec George Harrison. Puis une nouvelle composition, « Prayer of child », en référence à Gaza, des images de camps de réfugiés sont projetées sur les écrans alors que la scène est plongée dans le noir. Le message est sobre, pas de discours, ça vaut mieux car généralement quand Clapton se pique de politique c’est pour dire des conneries !

Vient le set acoustique. Hein, quoi, déjà ? C’est pas de bon augure… Avec « Back home », titre récent, en mode folk, puis le classique blues « Nobody knows you when you're down and out » (j'adore), le très beau « Tears in heaven » au tempo plus soutenu, les croches en l'air donnent presque un parfum reggae, toujours acclamé comme il se doit par le public, et « Golden ring » tirée de l’album Backless (1978). Pour ces quatre titres, Nathan East, bouille ronde et toujours réjouie, troque sa basse pour une contrebasse, Doyle Bramhall se fait plus discret à la guitare électrique.

On rebranche la prise, et pas qu'un peu, avec le funky et tonitruant « Got to get better in a little while » période Derek & Dominoes, une version assez démente de 10 minutes, chorus à gogo, y compris de Sonny Emory à la batterie, qui a dû racheter un lot de cymbales de Neil Peart pour pas cher. Si la frappe est virile, elle n'est pas lourdingue, c'est concis, efficace, la qualité du son permet d’apprécier les nuances de roulements, et le jeu au charley. La transition est un peu rude avec « Holly mother », une ballade mollassonne issue de l’album August (pas franchement une référence) écrite en hommage à Richard Manuel du groupe The Band, une version tout de même sauvée par un long chorus final. Quitte à donner dans le slow guimauve, on aurait tout de même préféré le sublime « Wonderful tonight ».

La suite sera de toute beauté, avec deux reprises de Robert Johnson. D’abord « Crossroad » dans une excellente version au tempo ralenti, presque plus rock, et le long blues « Little queen of spades » où là encore les solistes rivalisent. Nathan East s’avance au micro pour fredonner « Close to home » de Lyle Mays, il s'accompagne de sa basse, c’est léger, aérien, Clapton en soutien, discret, qui s’immisce avec quelques cocottes funky, et le riff de « Cocaïne » nous explose à la face. La salle jusque-là enthousiaste mais sagement assise (pas de fosse) se lève et afflue vers la scène. Doyle Bramhall a sorti pour l’occasion une Stratocaster dont le vernis éclaté ne laisse plus que le bois brut, à côté de laquelle la gratte de Rory Gallagher parait en bon état ! Tout le monde y va de son chorus, Chris Stainton maltraite son clavier, quand y’en a plus y’en a encore.

Les musiciens quittent la scène. On est tout de même un peu inquiet, mais ils reviennent pour le blues « Before you accuse me », avant de définitivement tirer leurs révérences. Heu… Là on fait franchement la gueule. Quand les lumières d’une salle se rallument, c’est qu’il n’y aura pas de suite. Je mate ma Rolex : 1h30 de concert !

Bon, on a eu droit tout de même à une première partie, le chanteur guitariste Rover (Thimothée Régnier, de son p'tit nom, in french) un physique à la Leslie West, seulement accompagné d’un batteur, pour un mini-set de chansons concises, en mode power-pop. Exercice périlleux que d'ouvrir pour une star, que dis-je, une légende. On lui a fait un bon accueil, franchement mérité. Faire la première partie des dates françaises de Clapton, ça claque sur un CV.

Pour cette tournée fêtant ses 60 ans de carrière, Eric Clapton n’a pas déroulé ses classiques (absents « Layla », « Sunshine of your love », « I shot the shérif », « After midnight »…) mais a fait le choix de piquer ça et là, dans les époques, la tradition, les repêchages, les inédits, privilégiant largement le blues. Il n’est pas causant, on le savait, ça se confirme. Juste un « je n’étais pas venu en France depuis longtemps, c’est dommage finalement, il faudrait que je revienne si j’en ai  le temps… » devant les torrents d’applaudissements qui déferlaient. Il en semblait surpris, ses mains semblaient dire non non, ça me gêne, je suis juste venu vous jouer un peu de musique… Il reste droit sur son mètre carré de tapis, chante assez loin du micro. Après toutes ces années, on reste épaté par l’agilité et la vélocité de son jeu de guitare, reconnaissable entre mille. 

Je m’apprêtais à tagger un "Clapton is (still) god" sur le mur du métro, quand les gars de la RATP ont débarqué sur le quai, ils étaient cinq, six avec le chien, et je n'avais pas les bonnes chaussures pour courir...

On aura appris deux choses ce soir-là :  Eric Clapton est en pleine forme, et il aime se coucher tôt. Ceci expliquant sans doute cela.

9 commentaires:

  1. Shuffle Master.7/6/24 08:46

    J'avais déjà regardé quelques extraits sur YouTube. Du Clapton, quoi, sans surprise, très propre, parfois ennuyeux (les solos à rallonge de Cocaine avec ce son de claviers à partir en courant, Doyle Bramhall dont je me demande à chaque fois ce qu'il fait là). Est-ce que ça a un intérêt autre que nostalgique? À part ça, j'aime bien Sonny Emory (également endorsé Yamaha comme Gadd, c'était une clause imposée?), solide et comme tu le dis moins bourrin qu'il n'en a l'air à première vue.

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  2. Shuffle Master.7/6/24 08:47

    Prix des places?

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  3. Prix des places ? Ma pudeur m'oblige à détourner le regard de cette question. Disons que je me suis offert un beau cadeau. Il ne restait que des places "carré or" qui une fois sur place ce sont révélées ni dans le carré central, ni en or ! Ca râlait pas mal dans la petite tribune où nous étions parqués, mais tout de même bien placé.

    L’intérêt ? Raconter à mes arrières petits enfants, au seuil de la mort, que oui, j'ai vu Clapton sur scène (je l'avais vu dans les années 90, c'est loin...). Je me tâte pour aller dire aussi adieu à Deep Purple.

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  4. C'était la semaine des anti-vaccin pour pouvoir aller au concert et prendre un café en terrasse, en somme, c'est le deuxième...

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  5. Hé oui Clapton n'est pas adepte des concerts marathons ! Il nous reste Springsteen (silence SM!) et Neil Young pour ça ! Je ne sais ce que vous avez tous contre "Holy Mother" , certes le morceau figure sur un bien piètre disque de Clapton mais c'est pas une raison Personnellement je trouve ce titre aux accents gospel absolument superbe et bien moins rabâché en concert que "Wonderful Tonight" . Sur les récents "24 Night" on y trouve une belle version de ce titre avec grand orchestre , et superbe chorus de guitare . Sans oublier la version avec choeur gospel au magistral concert de Hyde Park.

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  6. Disons que ça dénotait un peu sur le registre du concert. Bien que rabâchée (tant que ça ?) "Wonderful tonight" reste un modèle du genre. Ça doit être sentimental. Personnellement, c'est un des rares morceaux qui me fait monter la larme à l'oeil (pour Shuffle, ce serait plutôt l'alarme !). Je vais réécouter la version sur "24 night", que j'écoute peu (au contraire de "Just one night", ma bible, ou le récent "Live in San Diego") le concept de "une face par style" (en vinyle) m'avait laissé perplexe.

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  7. Clapton, Clapton, ... le nom me dit quelque chose ...

    Ceci étant, à quoi s'attendre de la part de toutes ces légendes grabataires, mis à part oublier le côté grabataire et aller voir la légende ?
    Clapton, il a à peu près rien sorti d'audible depuis une cinquantaine d'années, n'empêche qu'il a un répertoire, et plein de classiques (repris à d'autres pour la plupart, mais c'est pas le problème). Tant qu'à jouer une heure et demie, il avait qu'à reprendre l'intégralité de Layla (son meilleur disque et accessoirement aussi celui du motard sudiste maladroit), au moins y'aurait eu que des titres indiscutables.

    Il faut sortir une fortune pour aller voir une légende ? Je comprends ça, j'ai payé cher il y a quelques années pour aller voir Dylan, qui avait livré une prestation pathétique, à la Joe Biden (il paraît qu'il était bon un soir sur deux, c'était le mauvais jour pour moi). Depuis, je me suis astreint à éviter les légendes en concert ...

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    1. Shuffle Master9/6/24 09:56

      Ce ne sont pas les motards qui sont maladroits mais les motos qui sont dangereuses. Une Harley-Davidson, ça se manœuvre à peu près comme une moissonneuse-batteuse, ça ne tient pas la route et ça ne freine pas. Difficile de ne pas aller au tas quand on attaque un peu, même non bourré ou défoncé. Les propriétaires actuels, notaires, dentistes, radiologues, agents immobiliers (Pays basque, Côte d'Azur, Paris) ne risquent rien de ce coté-là. Enfin, je précise: ils sont souvent adeptes de la poudre mais niveau conduite c'est calme plat.
      Pour en revenir à Clapton, la guitare aux couleurs du drapeau palestinien, c'est grotesque.

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    2. On a les révolutionnaires qu'on mérite!!!!! Pour sa prochaine tournée ce sera sans doute le drapeau ukrainien !

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