vendredi 10 mai 2024

UNE AFFAIRE DE PRINCIPE de Antoine Raimbault (2024) par Luc B.

J’aime bien ce genre de films, les films-dossiers, avec le petit David contre le gros Goliath. Il y en a eu pas mal ces dernières années en France, plus ou moins réussis, qui tournent autour d’affaires de corruptions, de lobbys. Pour le moins il y avait eu KOMPROMAT avec Gilles Lellouche, et en plus mieux, GOLIATH avec… Gilles Lellouche, et aussi LA FILLE DE BREST, LES ALGUES VERTES… Les américains adorent ça aussi, on se souvient des fameux ERIN BROCKOVICH ou DARK WATER.

Il y a deux éléments qui prédisposent à ce type de film, le fameux « inspiré de faits réels » tamponné sur les affiches, crédibilité oblige, et une narration en mode thriller. C’est le cas encore pour UNE AFFAIRE DE PRINCIPE, un insert informe au début que bien qu’inspirée de… cette histoire s’autorise des situations et des dialogues fictifs. Mais là où le film passe un cran au-dessus, c’est que certains des protagonistes sont non seulement réels, mais apparaissent sous leurs vrais noms à l’écran, l’allemand Martin Schulz, le magistrat Kessler, le commissaire John Dalli. Et bien sûr le gentil député José Bové, moustache à la Astérix, en croisade contre le méchant José Manuel Barroso, président de la Commission Européenne pendant dix ans, qui ensuite a fait fructifier son carnet d’adresses chez Goldman Sachs. 

Très belle entrée en scène de Barroso, d'abord une ombre floue, une présence menaçante, qui arrive dans le dos de José Bové, inspirant le respect de tous... sauf Bové qui ose lui rentrer dedans !  

Le film est inspiré par le livre « Hold-up à Bruxelles, les lobbies au cœur de l’Europe » écrit par José Bové en 2015, qu’on retrouve donc, pipe au bec, sous les traits du toujours excellent Bouli Lanners. UNE AFFAIRE DE PRINCIPE tourne autour des lobbies du tabac, et comme le dit à un moment José Bové : « j’m’en fous du tabac, moi, j’adore ça ! Mais c’est une histoire de principe… ».

Le film a été tourné sur les lieux mêmes, puisque toutes les trois semaines, les parlementaires font leurs cartons pour rejoindre alternativement Strasbourg ou Bruxelles. Et quand y’a personne, ou peut y tourner des films peinards ! Ce qui ajoute à l’authenticité du propos.

Ca commence lorsque le maltais John Dalli, commissaire européen chargé de la santé, est limogé pour n’avoir pas déclaré dans son agenda un rendez-vous avec une juriste, dans le cadre d’une loi anti-tabac. Motif un peu léger, mais la juriste en question est suspectée d’être une lobbyiste qui bosse pour le compte de la Swedish Match, entreprise qui commercialise le snus. Le quoi ?

Le snus : du tabac à chiquer. Un truc très prisé (arf arf) par les suédois. 40% des grands blonds mâchouillent du snus. On apprend à la fin du film, que cette boite a été rachetée par le géant Philip Morris.

Emotion donc, au sein du Parlement, puisque John Dalli réfute les accusations, il n’y a jamais eu selon lui de rendez-vous secret. Il aurait été victime d’une machination pour entraver sa future loi (qui verra le jour, les paquets de cigarettes neutres). Le bruit court que José Manuel Barroso aurait viré son commissaire avant même les résultats de l’enquête. Tout cela est nébuleux, suspect. Etait-ce vraiment un coup monté ? Le député José Bové va mettre un bon coup de pied dans le cocotier pour éclaircir cette sombre histoire…


Le réalisateur et scénariste Antoine Raimbault (son deuxième film après UNE INTIME CONVICTION) nous fait entrer dans les arcanes du Parlement Européen, et pour se faire, il utilise une ficelle scénaristique toujours efficace : le candide. Ici, la jeune stagiaire Clémence (jouée par la formidable Céleste Brunnquell), un tempérament cette fille, qui rejoint l’équipe de José Bové et son assistant parlementaire Fabrice (excellent Thomas VDB). Le réalisateur n’a pas besoin d’en faire des tonnes question thriller pour passionner le spectateur, l’affaire se suffit à elle-même.

Évidemment c’est compliqué, beaucoup d’intervenants, beaucoup d’infos, des pistes qui se referment, des gens qui ne veulent pas parler, l’ombre de Barroso qui plane (joué par le portugais Joaquim de Almeida qu’on a beaucoup vu au cinéma en parrain de la drogue !). Ce qui est intéressant, c’est que dans ce genre d’Institution, tout est acté, enregistré, archivé, et c’est ainsi que les apprentis enquêteurs, à force de lire des pages et des pages de dossiers, remonter les organigrammes, comparer des dates, identifier des noms, analyser les CV, croiser les emplois du temps, interroger très officiellement les différents intervenants (mais avec des enregistreurs planqués dans les doublures) vont dénouer les fils d’une vaste corruption.

Le réalisateur exploite bien son décor, les bureaux et ascenseurs vitrés ne cachant rien aux spectateurs, ni aux protagonistes, effet de transparence (sic), les labyrinthes de couloirs, les archives filmées comme un coffre-fort. Les comédiens sont formidables :  Bouli Lanners compose un José Bové gouailleur, insolent, droit dans ses bottes et sa chemise à carreaux, qui plaide pour la transparence, la démocratie parlementaire. On comprend (un peu) mieux comment on travaille à Bruxelles, le film est bien documenté et se permet de scènes de suspens bien venues, de l'humour, comme lorsque Bové consulte sous haute surveillance un contrat passé entre Philip Morris et la Commission (document caviardé) ou la recherche d'un témoin en gare TGV, copiée malicieusement sur le modèle des trucs genre Jason Bourne / Tom Cruise.

Autre qualité du film, son rythme soutenu, sans esbroufe, un récit didactique certes, mais aussi divertissant, ni trop démonstratif ou solennel avec trompettes et Hymne à la joie. Ça pourrait presque être un album de Tintin à Bruxelles. Un film qui sort un mois avant les élections européennes… pas certain que cela incite à se lever tôt pour aller voter…


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9 commentaires:

  1. Par Toutatis, j'ai cru que c'était l'affiche du nouvel Astérix ... Astérix et le Roquefort Société ...

    Ouais, c'est toujours bien, les petits gentils contre les grands méchants ... mais quand tu connais bien un dossier, ça fait rigoler, les approximations grotesques qu'ils véhiculent et l'épilogue "orienté", comme si les pots de terre pouvaient exploser les pots de fer (je parle spécifiquement de "Goliath" qui multiplie les clichés totalement grotesques et scientifiquement débiles, et qu'on vienne pas me parler de bons sentiments, tous ceux qui sont concernés par un film, ils sont aussi là pour passer à la caisse).

    Sinon, j'ai rien contre Bové, mais rien pour non plus, je connais ses affidés de la Conf', leurs pratiques suivent pas vraiment leurs beaux discours ... ils arrêtent pas de dégommer les institutions agricoles européennes (en ce sens ils ont pas tort), mais ce sont de redoutables chasseurs de primes de ladite Europe ...

    Sinon, Steve Albini est mort ... Je suppose que toute la rédaction prépare un hommage funèbre ...

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    1. J'avoue, je ne connaissais pas Steve Albini (j'ai cru que tu parlais d'Albinoni, donc l'info n'était pas très fraîche...). J'ai lu qu'il a eu une crise cardiaque dans son studio d'enregistrement. Une belle mort pour un producteur de musique.

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    2. L'homme ayant œuvré dans le rock alternatif (ou indépendant) à partir des années 80, nous nous en serions doutés...

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    3. Si, Luc, tu connais forcément ; au moins pour sa production pour Nirvana et le "Walking into Clarksdale" de Robert & Jimmy. Il a aussi bossé pour Cheap Trick (notamment, il a effectué le remixage d'un de leurs albums - j'ne sais plus lequel -).

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    4. Ce matin un perit billet sur ce Steve Albini , sur France Inter.

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    5. + Pixies, PJ Harvey, Low, Electrelane, Jon Spencer Blues Explosion, etc etc...

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    6. Pour Cheap trick, c'est In Color. Ecoute sa version de I want you to Want Me, elle est encore meilleure que celle de At Budokan!

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  2. Shuffle Master.10/5/24 20:41

    "pas certain que cela incite à se lever tôt pour aller voter…" On ne saurait mieux dire. Je confirme les propos de Lester sur les membres de la Confédération paysanne chasseurs de primes. Mais bon, entre eux et la FNSEA....

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  3. Mettre la Conf et la FNSEA dans le même sac , voilà un raccourci pour le moins hasardeux qui témoigne d'une parfaite méconnaissance du monde agricole en général et du syndicalisme du secteur en particulier. Ce blog n'est pas l'endroit idéal pour échanger sur ce sujet oh combien polémique.
    Pour faire court , j'ai par le passé fréquenté José Bové , lors de la lutte du Larzac entre 76 et 81 , étant alors installé sur les contre forts du dit Larzac (éleveur de chèvres , hé oui!) et faisant partie du syndicat des Travailleurs Paysans (qui deviendra par la suite la Con f.) . Tu penses bien mon cher SM que j'ai un peu de mal à accepter que l'on mette la Conf avec les productivistes de la FNSEA ! Même si et j'en suis conscient le monde agricole a bien changé depuis que je l'ai quitté!

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