C’est quasiment un genre à part, le film dans le film. Sous le patronage de l’indéboulonnable LA NUIT AMÉRICAINE de François Truffaut (1973, oscar du film étranger). On se souvient du rigolo CA TOURNE A MANHATTAN (1995, Tom DiCillo), le récent et génial COUPEZ ! de Michel Hazanavicius, le ONCE UPON A TIME IN HOLLYWOOD de Tarantino. Je vous épargne les fameux SUNSET BOULEVARD, LE MÉPRIS, UNE ÉTOILE EST NÉE, LES ENSORCELÉS, ou le récent LE LIVRE DES SOLUTIONS de Michel Gondry.
C’est au tour de Cédric Kahn de se soumettre au principe du film qui montre comment on fait un film. Avec ici une triple mise en abîme. J’vais essayer d’être clair. Y’a le film de Cédric Kahn, qu’on reconnaît car cadré au format 1.85, qui montre comment Simon (Denis Podalydès) essaie de tourner un film en scope 2.39, lui-même suivi par Joseph (Stefan Crepon), vidéaste chargé du journal de bord, le making-of, au format 1.37.
Donc le format du film MAKING OF change en fonction du point de vue adopté, ce qui permet de s’y retrouver. Mais la mise en abîme est aussi dans le propos même du film, et c’est là que ça devient intéressant. Simon tourne dans une usine occupée par ses ouvriers, qui refusent la fermeture de leurs ateliers et s’organisent en coop pour auto-gérer leur outil de travail. Sauf que les co-producteurs du film retirent leurs billes. Ils avaient signé pour un feelgood-movie avec happy end, pas pour un drame social.
C’est Marquez (Xavier Beauvois), producteur, partenaire et ami de Simon, qui avait falsifié le scénario pour obtenir un financement. Une entourloupe** que les protagonistes apprennent lors d’une réunion de production. Bref, il y a un million d’euros en moins dans les caisses, impossible de finir le tournage, à moins de réduire la masse salariale (moins de machinos, décorateurs, électros, assistants) et ceux qui restent risquent de devoir bosser gratos.
Donc Simon et sa directrice de production, Viviane (Emmanuelle Bercot), se retrouvent dans la même situation que les personnages dont ils racontent l’histoire.
Il y a des choses intéressantes qui se disent dans MAKING OF, lors de la réunion, sur la notion de film bankable, sur les compromis, sur la vision de l’auteur, qui pourrait être contraint de renoncer à son épilogue pour récupérer son budget. « On n’est pas en Amérique ici ! » clame Marquez pour défendre la vision de son réalisateur. Il essaiera de trouver de l’argent, ressort amusant du film, il ment et filoute tout le monde.
Le film décrit davantage les dessous financiers du cinéma, la gestion d’un budget, ce qu’on coupe dans un scénario pour alléger les dépenses (les trajets en voitures, faire raconter une scène par un personnage plutôt que de la montrer à l’écran…). On y parle salaire, ceux des chefs de postes (directeur photo, monteur…) qui peuvent se permettre de bosser gratos quinze jours contrairement aux machinos. Et bien sûr le salaire de la star…
Car si les ouvriers du film de Simon sont réellement les ouvriers de l’usine, (autre mise en abîme) le meneur syndical est joué par un pro, Alain (Jonathan Cohen). Principal ressort comique du film, imbu, chiant, égocentrique jusqu’à la moelle, qui squatte chez Jeff, celui dont il interprète le rôle, pour une pseudo-immersion dans le monde ouvrier ! Quand une partie de l’équipe technique refusera de bosser pour rien, il hurlera « On est des artistes, merde ! ». Il interrompt des plans pour se plaindre qu’on entend trop les ouvriers s’exprimer, ça nuit à la compréhension, ce serait plus simple avec un gros plan sur lui seul !
Jolie scène où Nadia (Souheila Yacoup) l’autre vraie actrice de film, lui hurle ses quatre vérités « T’es qu’un énorme fils de pute ! » et que l’autre, sans se démonter, répond : « Bah voilà, ça c’est bien, ça sonne vrai, c’est comme ça qu’il faut que tu joues ! ».
La mise en scène de Cédric Kahn explore différents styles, selon le point de vue, il y a de bonnes trouvailles en mode trompe l’œil (la scène dans le stade). On remarque que ses acteurs principaux, Cohen, Bercot, Beauvois, Valérie Donzelli (la femme de Simon) sont tous comédiens et réalisateurs. Podalydès est en plus scénariste, écrivain, et metteur en scène de théâtre. Sûrement pas un hasard. Ils sont tous excellents, un des points fort du film.
Bon, une fois qu’on a dit ça, j’aurais quelques réserves… Présenter MAKING OF comme une comédie hilarante, faut pas déconner. Jonathan Cohen et Xavier Beauvois font sourire, certes, mais de là à se gondoler… Le cinéma de Cédric Kahn ne rime pas avec poilade (d’ailleurs, ça rime pas), voir son précédent LE PROCÈS GOLDMAN.
Le film se disperse dans les intrigues secondaires. Kahn joue la carte du film choral, il montre un tournage donc un travail d'équipe. On reproche au vidéaste Joseph de ne suivre que le réalisateur et de ne pas témoigner du travail des costumières ou de la cantinière. Reproche qu'on pourrait faire à Cédric Kahn justement. L’histoire d'amour entre Joseph et Nadia
est peu convaincante, les épisodes à la pizzeria plaqués maladroitement, les relations entre Simon et son ex-femme nous éloignent du sujet principal. Par contre, sa relation avec Marquez aurait mérité qu'on s'y attarde.
Le film de Cédric Kahn est intelligemment écrit et dirigé, mais paradoxalement, on a du mal à croire à l'implication de Simon dans son projet, à ses ouvriers, ce qui aurait dû être le sujet central du film. Tout le monde s’agite, court, hurle, mais on reste un peu froid devant cette effervescence.
** Procédé permettant de contourner la censure (idéologique ou économique) qui consiste à présenter aux investisseurs un scénario remodelé dont on sait qu'il sera accepté par les grands maîtres de la cisaille, et dans lequel on réincorpore ensuite les séquences judicieusement coupées. C'est aussi ce qui permet à des cinéastes iraniens (par exemple) d'obtenir une autorisation de tournage. Mais chez nous aussi, c'est l'astuce que François Ozon avait dû utiliser pour avoir l'autorisation de tourner "Grâce à Dieu" (2018) dans la ville de Lyon, fief du cardinal Barbarin, personnage principal du film ciblant la pédophilie dans l'Eglise.
couleur - 1h55 – multi-format (1:1.37 / 1.85 / 2.39)
On ne peut pas dire que ça fasse vraiment envie. Un film pour les "professionnels de la profession", comme dirait l'autre? Et Podalydès, stop, on le voit partout, sur le moindre mètre de pellicule qui traîne. Même s'il n'y a plus de pellicule depuis longtemps. C'est l'équivalent de Phil Collins pour la musique dans les années 80. Jusqu'à la coupe de douilles.
RépondreSupprimerJusqu'à la coupe de douilles... Je ne connaissais pas l'expression, une fausse contrepèterie ?
SupprimerNon, pas de contrepèterie. C'est de l'argot classique, encore assez usité en Charente-Maritime, entre autres.
SupprimerOn est effectivement à des années-lumière des Gabin, Delon, Ventura, Belmondo, Blier, Noiret, Serrault, Rochefort, Marielle, Piccoli, Carmet (etc...) d'antan (sans oublier les dames). Espérons le succès d'"Anatomie d'une chute" aux Césars et Oscars, juste pour "faire iech" Jupiter et Miss Qatar spécialiste de "l'inflation"...
RépondreSupprimerDans les films qui montrent des types tourner un film, La Dolce Vita ... avec Anita Ekberg, ce qui est plus flatteur pour la vue que Podalydes et Phil Collins ...
RépondreSupprimerY'a quand même une sacrée différence entre Podamachin et le Philou, l'un a la décence de ne pas chanter ...