vendredi 1 décembre 2023

SIMPLE COMME SYLVAIN de Monia Chokri (2023) par Luc B.

SIMPLE COMME SYLVAIN est le troisième long métrage de la québécoise Monia Chokri (aussi comédienne, notamment chez son compatriote Xavier Dolan) une sorte de comédie romantique dévoyée. D’abord parce qu’avant le romantisme, il y a essentiellement du sexe, gourmand, épidermique, et parce que dans ce type de film, si les contraires finissent par s’attirer, ici ils se repoussent finalement.

Sophia, 40 ans, professeur de philo à l’université, s’ennuie un peu dans son couple avec Xavier. Leur relation semble davantage cérébrale. La première scène évoque l’univers de Woody Allen, et pas que la première scène d’ailleurs, avec ce dîner entre amis où les discussions volent haut. De retour chez eux, on s’aperçoit que Sophia et Xavier font chambre à part.

Là encore, on retrouve une figure de style allenienne, une caméra placée dans un axe qui permet de voir chaque personnage dans une pièce différente. On voit d’abord Xavier dans son lit, puis la caméra fait un lent zoom arrière, recadrant une deuxième chambre avec Sophia dans son propre lit. Le zoom optique (à la différence du travelling, la caméra ne se déplace pas) est une figure que Monia Chokri va utiliser dans tout le film. C’est assez rare pour être souligner.

Le zoom a mauvaise réputation. On dit que c’est moche. Si des gens comme Sergio Leone, Luchino Visconti, Stanley Kubrick, Robert Altman ou Woody Allen l’utilisent à bon escient, on préférera le bon vieux travelling avant/arrière. Le zoom est plus économique, gain de temps, surtout dans un décor exigu. Il a aussi une signification précise en termes de mise en scène. Zoomer sur un visage, c’est zoomer sur la pensée du personnage, on rentre dans son esprit, il est souvent utilisé pour introduire un flash-back : zoom + léger fondu enchaîné = je me rappelle… (figure récurrente chez Leone, avec ou sans harmonica).  

Sophia part seule un weekend dans le chalet que le couple vient d’acheter, pour rencontrer l’ouvrier qui réalisera les travaux. La caméra est positionnée dans la voiture qui approche, Sophia en sort, rejoint l’ouvrier. La caméra reste dans la voiture, un procédé que la réalisatrice utilisera plusieurs fois (magnifique plan de Sophia, sur la fin, aveuglée par la lumière des phares). Le cadrage très précis fait qu’on ne voit pas la gueule du type. Même une fois dans le chalet, il y aura toujours un élément de décor pour cacher le visage du gars. Jeu de cache-cache, mini suspens avant de découvrir Sylvain, beau québécois en veste matelassé à carreaux, casquette vissée sur le crâne, les épaules larges, bref, le mec viril.

Sophia fond en larmes à l’évocation des travaux, de la facture. Sylvain l’emmène boire un verre. Au retour, elle se jette littéralement sur lui. De la bonne baise avec plein de gros mots, bestiale, enivrante. Sophia, totalement chamboulée, ne cessera de repenser à son bel étalon…

Le film est le portrait d’une femme que l’on croyait posée, et dont la vie bascule sur un coup de tête. Elle se confiera à son amie Françoise (jouée par la réalisatrice) qui elle-même n’est pas d’une fidélité à toute épreuve. Mais c’est aussi un film sur deux univers qui s’entrechoquent. Sylvain, comme le titre l’indique, est un type simple. Une bière, la campagne et une gonzesse, il est heureux. Brut de décoffrage, amant insatiable, romantique à sa façon. L’intello Sophia, qui dans ses cours convoque Platon et Spinoza pour parler d’amour, tombe sous le charme d’une relation simple.

On retrouve un peu du LE DÉCLIN DE L'EMPIRE AMÉRICAIN (1986) de Denys Arcand, l’univers universitaire, l’intellectualisation des rapports. De même que le Woody Allen de MARIS ET FEMMES (très bon cru 1992) où le personnage de Sydney Pollack tombait dingue d’une prof de fitness nunuche. Autre truc très Woody Allen : Sophia cherche à faire dire à Xavier qu’il en pince pour la jolie française croisée au dîner. Il nie farouchement. Plus loin dans l'histoire, une fois célibataire, on la retrouve à son bras chez un marchand de vin où se croise les deux couples recomposés. Du pur Woody.

Le couple est rattrapé par les différences sociales, intellectuelles. Sophia corrige souvent Sylvain sur sa manière de parler. Le repas dans la famille est assez gênant. Quand la mère de Sylvain accueille Sophia avec un verre de rosé à la couleur suspecte, son enthousiasme semble feint : « Vous pouvez le dire si vous ne le trouvez pas bon ». Sophia est bien élevée, elle sait ce qu’est un bon vin, mais craint de vexer son hôte.  

Sophia fantasmait une relation (scène à la station-service), mais comme le personnage de EYES WIDE SHUT (Kubrick, 1999), auquel on pense aussi, elle se rend compte qu’elle n’appartient pas à ce monde, et qu'elle souhaitait avant tout échapper au sien. Sophia se plie en quatre, s’humilie presque pour garder son homme (le collier sado-maso relié à une laisse !) elle l’invite chez ses amis, tout le monde veut voir le phénomène, c’est assez malaisant, un dîner de con, la bourgeoise intello qui s’encanaille chez ces prolos qui citent Michel Sardou quand elle évoque Schopenhauer. 

Rien de bien original, mais y’a un ton, un rythme, des trouvailles de mise en scène, les jeux de miroirs, de reflets, une interprétation juste. Beaucoup de personnages secondaires égayent des scènes chorales. Le film est sous-titré en français, au cas où on raterait des expressions du cru, l’accent québécois fait aussi partie du charme de cette comédie qui au final n’en est pas vraiment une, et dont le romantisme de départ s’évapore rapidement.


Couleur  -  1h50  - format 1 :1.85  

 

6 commentaires:

  1. Shuffle Master.2/12/23 14:13

    Dès les premières lignes, j'ai effectivement pensé au Déclin de l'empire américain. Ou à certaines scènes de Mes Meilleurs copains, où on trouve des Canadiens.

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  2. Il l'a mauvaise, Allen...

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    1. Shuffle Master3/12/23 12:11

      Arf arf....

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    2. Shuffle Master.3/12/23 12:13

      Mais c'est aussi parfois bâclé, Allen.

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  3. Un film français sous-titré en français ?
    On devrait obliger les québécois à choisir, soit le français ou l'anglais, mais pas leur tabernacle de langage ... J'ai revu récemment un Dolan, Mommy, qui en plus d'avoir une image carrée, mélange anglais, français et leur dialecte local. C'est pénible (le film est pourtant bon, voire plus), y'a des passages où tu comprends, donc tu lis plus les sous-titres, et la phrase d'après, tu captes plus un mot, donc tu cherches frénétiquement à lire lesdits sous-titres, et comme ils parlent à toute berzingue, tu finis avec les yeux exorbités comme si t'avais fumé une tonne de ganja ...

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  4. Je note quelque part "il l'a mauvaise, Allen" et "bâclé, Allen", ça peut toujours resservir.

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