Tout est harmonie, voilà un titre original. De quelle harmonie parle-t-on ? Du miracle fragile et éphémère de deux êtres découvrant leurs similitudes avant d’être dégoutés par leurs différences ? Ce ne serait alors qu’une expression de notre narcissisme, tant il est vrai que l’homme ne sait aimer que ce qui lui ressemble. Schopenhauer disait que l’empathie n’existait pas, que ce que l’on détestait chez l’autre n’était que les défauts que nous avons sans oser nous l’avouer. Ce qui est vrai pour la haine l’est aussi pour l’amour, qui finalement s’achève lorsque les différences entre les amants leur deviennent plus flagrantes que leurs similitudes.
C’est pourquoi Oscar Wilde, qui
fit une des plus belles descriptions des caractéristiques et conséquences du
narcissisme dans « Portrait de Dorian Gray », dit un jour :
« S’aimer soi-même est le début d’une grande histoire d’amour. »
L’harmonie est donc également le fruit d’une volonté, celle de s’aimer
suffisamment pour que l’environnement s’adapte à notre volonté. Ce ne sont que
de petites choses, de petits services, de petites accolades. Mais, comme les
petites pluies font les grands fleuves, les petites douceurs forment les
grandes harmonies.
Oubliez tous ces Jean Foutres exhibant leurs grosses maisons, grosses voitures, grosses mises dans des jeux stupides. Tout cela n’est bon que pour les pornographes du plaisir futile, les exhibitionnistes de leurs petites joies artificielles. Rien n’est moins harmonieux que ces accros aux réseaux asociaux, tristes candaules incapables de jouir de leurs joies si personne ne les regarde. L’harmonie n’est pas une chose qui s’exhibe mais qui se ressent, elle n’est pas charnelle mais spirituelle. Elle n’est pas non plus affaire de richesse, il se trouve plus de vie harmonieuse chez les pères de familles épanouis que chez les célibataires réduits au rang de « cadres dynamiques ». Elle n’est pas non plus forcément positive, le caractère de l’acariâtre se révélant plus harmonieux que celui du lunatique, qui a pourtant le mérite de connaître quelques plaisirs éphémères. Le con peut vivre une vie plus harmonieuse que l’intellectuel, le vicieux peut trouver plus de béatitude que l’honnête homme, l’harmonie est un Graal que l’on peut atteindre par des chemins opposés.
Et en musique me
diriez-vous ? Et bien, dans le rock, l’harmonie est une ile abandonnée que
quelques aventuriers reviennent parfois visiter. Cette terre sortie des eaux
dans les années 60, lorsque les Beatles sonnèrent la charge de l’invasion
anglaise après que les pionniers yankees aient sonné la première charge. Il
y’eut « Rubber soul », « Revolver » et « Sergent Pepper », éternelles tours de Babel rock dont on ne connaîtra jamais
totalement toutes les subtilités architecturales. Il ne faut pas non plus
oublier la brillante cavalerie formée par les Kinks, les Zombies, puis Big Star
un peu plus tard. Il se forma régulièrement de nouveaux Big Star, courageux
groupes pop soucieux de ressusciter une pop raffinée broyée par les sauvages
seventies.
Nous y voilà donc enfin. « Everything harmony » n’est rien d’autre qu’un nouveau représentant de l’éternel retour de la grâce pop. Dès le début, la passion des Lemon Twigs pour les bijoux de la couronne rock fut palpable. Reprenant à leur compte cette phrase d’Oscar Wilde selon laquelle « rien n’est vrai que le beau », les frangins mixèrent l’inventivité mélodique des Beach Boys et la fougue lumineuse de Ziggy Stardust. C’est pourtant sur « Everything harmony » que leur génie mélodique atteint ses véritables sommets.
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Je pourrais également citer des « Born to be lonely » et « New to me » dignes de Simon and Garfunkel, le classieux rock « When ghost run free », la mélodie baroque de « What happens to a heart ». Il se trouvera toujours des pisse-froid pour dire que tout cela n’est plus du rock, pour roter leur nihilisme rabat-joie au pied de ce si beau temple. La plume géniale mais élitiste de Lester Bangs en a traumatisé plus d’un, qui ne savent plus apprécier les joies simples d’une belle mélodie. L’auditeur admiratif de cet album, prenant la sauvagerie seventies pour le nez disgracieux du rock’n’roll, pourra alors leur répondre en réadaptant une célèbre phrase de Cyrano de Bergerac :
« Mais quel est donc ce chaos tonitruant qui de la mélodie rock a détruit l’harmonie. Il en rougit le traitre ! »
Nous avions déjà évoqué ces talentueux frangins lors de leur venue en France : The Lemon Twigs - concert
La seconde vidéo a été captée à Paris, en mai dernier.
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