jeudi 27 octobre 2022

Luigi CHERUBINI – Requiem N°2 (1836) en ré mineur- Igor MARKEVITCH (1963) – par Claude Toon


- Tiens Claude, encore un nouveau compositeur accueilli dans le Deblocnot, quoique son nom ne m'est pas étranger mais de là à citer un ouvrage…

- Médée Sonia, Médée, un opéra immortalisé par La Callas et Pasolini. Certes le monsieur est bien oublié hormis quelques œuvres religieuses…

- Je pense qu'il était italien et le portrait a un style très 1850, je me trompe ?

- Futée ma petite Sonia… Il a vécu surtout en France et a eu un rôle essentiel pour la renaissance de la vie musicale après la Révolution et l'Empire… Par contre sa production, de qualité disons modeste, est quasiment oubliée…

- Un enregistrement de Igor Markevitch… Humm, attends, je cherche… Tchaïkovski, la chronique sur la symphonie pathétique…

- Bravo !!!

Luigi Cherubini

Sonia connaît bien Paris et même l'opéra Garnier dont les façades portent les noms d'une cinquantaine de compositeurs. Ô hormis Beethoven, Mozart, Haydn, Bach et Monteverdi, la plupart sont des petits maîtres et encore je suis charitable. Franchement, Jommelli, Paisiello, Quinault, ça vous parle ? moi pas et pourtant Wikipédia leur attribue un petit entrefilet. Tous sont des auteurs d'Opéras mineurs qui eurent du succès avant la révolution jusqu'au Second Empire. Cela fit le bonheur d'un public friand de facilité à l'époque où le cinéma n'existait pas. Après tout, en visitant le temple lyrique construit par Charles Garnier (18251898 et premier grand prix de Rome en 1848), on tapote sur son smartphone pour se cultiver à propos de ces personnages que le temps a, pour un certain nombre d'entre eux, mis au rencard 😊. L'édifice sera construit à l'initiative de Napoléon III qui venait de survivre à l'attentat orchestré par un certain Orsini, l'inauguration n'aura lieu qu'en 1875

- Dis Claude, tu écris une brochure touristique ou un billet musicologique ? hihi !!!

En effet, revenons à Cherubini, un nom connu – il y a une rue dans le 2ème arrondissement. Luigi Carlo Zenobio Salvatore (Luigi) Cherubini nait à Florence en 1760. Il étudie à Bologne et à Milan puis après un bref passage à Londres il s'installe à Paris en 1787. La révolution ne semble pas l'affecter et tout en composant quelques opéras il atteint l'Empire la tête encore sur les épaules.

En 1805, il quitte Paris pour faire carrière à Vienne, accueilli par Haydn et Beethoven lui-même qui le proclame "le plus grand compositeur dramatique vivant". Pourtant Ludwig a la dent dure avec la concurrence française, il déteste Bonaparte depuis que que celui a trahi l'idéal révolutionnaire en se couronnant Empereur en 1804 et a envahi l'Autriche en 1805. Il repartira pour Paris en 1816 pour devenir lors de la Restauration directeur du conservatoire de Paris de 1822 jusqu'à sa mort en 1842. Cherubini est honoré dans toute l'Europe. Il bénéficiera d'obsèques nationales. Beethoven avait demandé que son premier Requiem pour chœur mixte soit joué pour ses propres funérailles…

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Affiche de Médée

Il existe donc un mystère Cherubini. Pourquoi un compositeur encensé de son vivant, admiré par Beethoven a-t-il pu sombrer dans un oubli relatif ? On trouvera une partie de la réponse dans son catalogue pourtant riche de 300 opus. Cherubini entre 1784 et 1810 se consacre essentiellement à la composition d'opéras, 15 en italien et 14 en français. En France, les opéras sont joués à l'époque dans des petites salles comme le théâtre Feydeau. Y sont donnés des pièces, des opéras bouffe, des pastiches. Plusieurs ouvrages lyriques de Cherubini seront créés dont Médée en 1797, une tragédie, une vraie, un drame de la jalousie, homicide en série et même infanticide par vengeance ! Ça change des opérettes comme la fille de Mme Angot !

Au milieu des bouffonneries à la mode, Medée se distingue par son romantisme poignant. Il marque les esprits dans toute l'Europe, attirant l'admiration de Beethoven qui l'écoute à Vienne en 1802, avis partagé par Schubert, Weber, Spohr et Wagner. Hélas Médée est le seul opéra ayant survécu à l'usure du temps. Deux ou trois autres ont été enregistrés récemment, une initiative qui reste anecdotique. Son dernier opéra écrit en 1833, Ali baba et les quarante voleurs se voudra trop ambitieux, d'une durée de trois heures et demi et, d'après Berlioz d'un intérêt faible. Retiré de l'affiche après quatre représentations, une tentative de reprise à la Scala en 1963 fera un bide !

À partir des années 1810, Cherubini délaisse petit à petit l'art lyrique pour d'autres formes de compositions : une symphonie datée de 1824, de la musique de chambre, quelques sonates. Hormis les quatuors (bel enregistrement du quatuor Melos), tout cela n'est plus de mode. Par contre la musique religieuse évitera à Cherubini de sombrer dans un oubli vraiment définitif. On compte 11 messes, 38 motets et surtout les deux Requiem tardifs. Il existe un coffret de 7 CD réunissant messes et motets (5 messes sont perdues) coréalisé par Neville Mariner et Riccardo Mutti, LE spécialiste de Cherubini au point que lors de sa prise de fonction à la tête du symphonique de Chicago, critique et public exprimèrent une petite exaspération face à l'excès de programmation du maître italien à chaque saison 😊.

Le requiem en do, une œuvre rivalisant avec les modèles du genre, créé pour célébrer le 24ème anniversaire de la mort de Louis XVI a été gravé de manière isolée par le maestro Mutti, un incontournable. Il sera interprété en 1827 aux obsèques de Beethoven. Le second en ré mineur est le sujet du jour…

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Mgr Hyacinthe-Louis de Quélen

La genèse des œuvres dites classiques, surtout dans le domaine de la musique religieuse, est souvent le fruit d'histoires pittoresques. Le très beau 1er Requiem en do mineur de Cherubini composé en 1816 et comportant un chœur mixte fut créé en 1817 en la Basilique Saint-Denis, lieu de repos éternel des rois de France. Logique !

En 1834, on envisage de redonner l'ouvrage à N.D. de Paris. Reconnu pourtant comme un homme charitable, l'archevêque Mgr Hyacinthe-Louis de Quélen s'y oppose. Le motif : pas question que des femmes chantent dans son temple vaticanesque. Mgr Hyacinthe-Louis n'avait à l'évidence pas intégré que le monde baroque, ces messes avec dix chanteurs (dont des castrats ou des garçonnets pour les voix de sopranos et d'altos), avait disparu pendant le siècle des lumières. Ernest Renan le brocardait en disant en substance que "l'homme était un pur produit de l'ancien Régime".

Qu'à cela ne tienne, conciliant, Cherubini compose un second Requiem en ré mineur pour chœur d'hommes. À 76 ans, Cherubini sent approcher la fin de son existence et souhaite que l'on joue un requiem écrit de sa main lors de ses funérailles.

Moins spectaculaire, ce requiem sera plus intériorisé, plus sombre. Beaucoup de Requiem parmi les sommets du genre (Verdi, Berlioz, Dvorak) dérivent vers un style très lyrique voire opératique masquant par leur vigueur la ferveur et la douleur de l'office funèbre. D'autres se veulent plus spirituels et parfois optimistes (Mozart, Fauré, Duruflé). Le Requiem en ré mineur s'apparente à une approche intermédiaire par son orchestration et sa forme.

L'orchestration se limite dans l'Introitus et le Kyrie à : 2 cors, 2 bassons, violoncelles en 2 groupes et contrebasses, timbales. À partir du Dies Irae puis dans l'Agnus dei conclusif s'ajoutent : flûtes, piccolo, hautbois, clarinettes, trompettes et trombones, violons et altos ; soit l'orchestre symphonique habituel. Dans le Pie Jesus, un passage extatique : seuls interviennent : clarinettes, bassons et trombone basse. Et donc un chœur masculin pour ne pas froisser Monseigneur : ténors en deux groupes et basses.


Igor Markevitch vers 1962

Cherubini était donc bien un compositeur plein d'idées originales, impression confirmée par le plan simplifié proposant une grande brièveté pour le rex tremendae et le lacrymosa, passages de rigueurs mais souvent aux accents exubérants. L'œuvre ne comprend donc que 7 mouvements nettement délimités et non 11 comme chez Berlioz et même 17 chez Verdi… Le requiem est concis, la durée moyenne n'excède guère la quarantaine de minutes.


Il y a toujours des imprévus, Cherubini s'adapta en prévision de ses propres funérailles au dictat de Mgr Hyacinthe-Louis qui… meurt en 1839. Et c'est ainsi que Cherubini commecera son voyage vers l'éternité en 1842 en l'Église Saint-Roch au son de cette partition moins exécutée que le requiem en do mineur, certes plus brillant et d'une durée d'une heure et comportant les 11 parties.

En 1962, ce requiem n'avait jamais encore été gravé, que ce soit en 78 tours ou en microsillon, quand Igor Markevitch décide de combler ce manque pour DG, il rejoint l'orchestre philarmonique tchèque et le chœur de Prague. La philharmonie, alors sous la coupe depuis une douzaine d'année du pointilleux Karel Ančerl (de 1950 à 1968), est devenue l'une des meilleures de la planète. Pour définir l'art de ce chef, les mots clés sont : raffinement jusqu'à la transparence, rigueur et limpidité (Clic). Les musiciens n'aiment pas trop les chefs invités qui risquent de remettre en cause le travail accompli. Mais le compositeur et chef Igor Markevitch qui défend les mêmes exigences depuis le début de sa carrière dans les années 30 s'adapte facilement au style de jeu de l'orchestre.

Depuis des décennies, avant les travaux des baroqueux, il est d'usage de jouer les grands ouvrages religieux classiques et du début du romantisme avec des effectifs pléthoriques qui souvent brouillent le propos musical. Markevitch change la donne tant avec des phalanges puissantes telle la Philharmonie de Berlin qu'avec celle de Prague (Clic). Il impose la spiritualité là où le séculier rigoriste envahissait la scène sonore. Markevitch comme nombre de compositeur-interprète aime la nouveauté, les causes perdues, ce qui explique sa discographie innovante.

(Partition)

{Playlist 1} Introitus et Kyrie      

{Playlist 2} Graduale

{Playlist 3} Dies irae

{Playlist 4} Offertorium

{Playlist 5} Sanctus

{Playlist 6} Pie Jesu

{Playlist 7} Agnus Dei

 

Pour la discographie concurrente, pas de dispute ! Il n'existe à ma connaissance que la version du fan number one de Cherubini, à savoir Riccardo Mutti dirigeant l'Ambrosian Chorus et le Philarmonia orchestra en complément du Requiem de Verdi (Warner – 2 CD - 1995). C'est très lent donc funèbre à souhait. Le CD de Igor Markevitch est complété avec bonheur par la petite messe du couronnement de Mozart interprétée par l'orchestre des Concerts Lamoureux avec un formidable quatuor vocal (Maria Stader, Oralia Dominguez, Ernst Haefliger, Michel Roux). (DG – 1960)


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