"Veni, Vidi, Vici, Theodorus"
Voilà comment on pourrait résumer en quelques mots le dernier fait d'armes du terribilis Theodore Nugent. L'auteur du vindicatif adage "si c'est trop fort, c'est que tu es trop vieux", celui qui à une époque avançait, droit dans ses bottes de daim, qu'il est peu probable qu'il puisse encore arpenter les scènes passé les quarante ans, tant il était éreintant de tourner pour jouer du hard-rock. Il présente pourtant en 2022, à l'âge quasi canonique pour un musicien de rock-dur de 73 ans, un album de hard-rock'n'roll suffisamment bon pour faire de l'ombre à celui de "jeunots" de 50 balais. Encore plus aux pieds tendres de 30 piges, sans parler des nourrissons tournant aux alentours des vingt printemps.
Un Uncle Ted qui, apparemment, n'a pas fini de surprendre son monde. Alors bon, ce skeud n'a rien de révolutionnaire, mais il n'a pas d'autre but que de faire de son mieux pour pérenniser un Rock "high energy". Celui qui électrifie tant l'auditeur que son interprète. Celui qui nécessite un engagement et une foi envers ce rock'n'roll nerveux et urbain, généralement né dans les entrailles de villes industrielles, foyer d'un prolétariat qui n'avait d'autre voie pour échapper au vacarme et aux cadences des usines, que de s'adonner, passivement ou en tant qu'acteur, au déferlement de décibels par le biais d'un Rock salvateur.
Ainsi, en 2022, à un âge où généralement on s'est déjà tourné depuis longtemps vers des sonorités et des tempi plus apaisés, et/ou vers le terreau qui a nourri sa première identité musicale, ou simplement en profitant d'une douce retraite, Gonzo, lui, revient à des fondamentaux rock'n'roll franchement bourrus et belliqueux. A 73 ans donc, le Nuge revient à un énergique hard-rock, un poil frappa-dingue, dont il a été l'un des plus fervents prophètes dans les années 70. En particulier celui dont témoignent les deux derniers chapitres des Amboys Dukes, et les trois premiers et emblématiques "hauts faits" sous son propre nom. Ainsi que les énergiques « Scream Dream » et « Intensities in 10 Cities »
Certains s'offusqueront du fait qu'un gaillard de cet âge s'évertue à jouer une musique qu'on voudrait limiter au cri d'une jeunesse déstabilisée, en mal de repères, ou abrutie par le tumulte urbain et l'alcool ou autre (ça tombe mal, Nugent ne boit ni ne fume). Mais Nugent n'en a cure, celui qu'il écoute, avant tout, c'est lui-même. Ses détracteurs pourront toujours avancer les arguments faciles d'une sénilité précoce, les paroles simplistes des chansons en étant la preuve indéniable. Or, le Motorcity-madman (existe-t-il un autre musicien pouvant se targuer d'avoir gagné autant de surnoms ?) n'a jamais été un poète, même s'il a toujours goûté des métaphores et des versets imagés en dessous de la ceinture. Son âge aidant, il est désormais bien moins porté sur la chose, et ses sujets se portent plus facilement sur les choses simples de la vie. Et c'est pourquoi, n'ayant peur de rien, surtout pas du ridicule, il ose même une ode au feu de camp. Au feu de camp "américain", comme s'il devait y avoir une différence hors frontières. Moins polluant peut-être, avec bien moins de gros 4x4 voraces en carburant au m² ? (Hé ! Ted ! Il est où le temps où tu partais seul à la chasse, pratiquement avec ta b[ censure ] et ton couteau ?).
En aparté, si les paroles de "American Campfire" peuvent être appréhendées comme une sympathique chanson festive, celles de "Come and Take it" par contre, sont affligeantes, vantant une Amérique militarisée, bastion de liberté, faisant fi des horreurs de la guerre (« frappes chirurgicales ?? »). "... ne me marchez pas dessus. Vous pouvez le faire ou mourir dans le pays de la liberté. Viens et prends-le ! Plus de rois, plus de tyrans, plus de voyous à la botte ! Nous déchaînerons la violence pour la liberté que nous aimons". Le slogan "come and take it" vient de la révolution texane de 1835, déclenchée par de "pauvres" colons américains opposant leur force et leur courage à une armée mexicaine sans merci. Le "Come and take it" est un défi à venir récupérer un canon de bronze confisqué lors d'un petit affrontement marquant le début de cette "révolution". Une révolution souvent résumée à l'histoire romancée de fort Alamo. Rappelons tout de même qu'à l'époque, le Texas faisait partie intégrante du Mexique, et que l'intervention de l'armée mexicaine répondait à une tentative d'annexation du territoire par de riches colons américains. Ces derniers, une fois confortablement installés, réclamèrent l'autonomie. La meilleur façon de se soustraire aux lois mexicaines, en particulier celle interdisant l'esclavage depuis 1829 (soit trente-six avant les États-Unis) et ne plus payer le modeste loyer - et les arriérés - dû à l'administration mexicaine. Ces riches colons avaient déjà obtenu un report d'une année pour régulariser leur situation, surtout celle des esclaves. Ils mirent à profit ce report pour fomenter la spoliation de ces terres mexicaines. Ces évènements, dont découleront les guerres américano-mexicaines (auxquelles, néanmoins, ne cessèrent de s'opposer nombre de dirigeants de l'opposition), vont permettre aux États-Unis de continuer sur leur lancée en annexant d'autres territoires : le Nouveau-Mexique et une grande partie de la Californie. Finalement, ce "Come and Take it" serait bien moins un slogan de défense des libertés qu'une provocation, une invitation au combat, la devise d'un état guerrier et conquérant.
Le clip est à l'avenant avec moult images d'armes et d'armées de tout âge. Il est vrai que depuis les années quarante, il y aurait eu une seule année complète où l'armée américaine aurait chômé... Il serait bon de savoir ce qu'en pensent les natifs, les amérindiens. Amusant de la part d'un gars qui n'a jamais souhaité s'enrôler, en dépit - ou à cause ? - d'un père sous-officier.
Question musique, rien de particulièrement original pour ce dernier album ; ça frôle même parfois le recyclage, et ses soli, sans surprises, resservent généralement la même recette qu'il y a quarante ans - Nugent fait du Nugent, étonnant non ? -. Mais rien de plus normal avec déjà quinze albums à son actif, plus ceux des Amboys Dukes et des Dawn Yankees. Tandis que la production est... plutôt "garage". Évidemment, on ne peut nier que depuis quelques années, ses réflexions pour le moins fleuries laissent à désirer, - il n'a même pas l'excuse de l'alcool -, au point où l'on peut légitimement faire l'impasse sur sa récente production. Cependant, en tant que rocker, il a encore du répondant, et ce "Detroit Muscle" est une bonne et épaisse tranche de "heavy-rock'n'roll high energy".
Le vieux rocker indécrottable rend hommage à sa ville (tout comme cette année Alice Cooper), avec la chanson éponyme - introduite par le ronflement d'une "muscle car" – qui, si elle ne casse trois pattes à un canard (anatidé made in Nevada ?), est une vraie pièce de barjaque ; à l'image de son géniteur qui, même lors de placides interviews, ne semble pas seul dans sa caboche. Chanson évoquant ses héros, tels que Bob Seger, MC5, Grand Funk Railroad et... Amboys Dukes (à défaut de lui-même ?). Une telle vitalité à 73 ans ? Incroyable ! Et ça passe la cinquième dès la seconde salve, le nauséeux "Come and Take It" mais pourtant solide morceau de hard-rock "toutes guitares dehors". On se croirait revenu à l'aube des années 80, lorsqu'en mode "Guy Tarzan", plus dingue que jamais, il déboulait sur scène en pagne soutenu par deux autres gratteux francs-tireurs. Avec "Born in the Motorcity", chanson mégalomane évoquant très succinctement son parcours - "... rock'in before I was six... I am the child of Motown, lord how I love the groove", il met les points sur les "i" en rappelant qu'il a aussi été un fer de lance en matière de (heavy) rock'n'roll nerveux. Si son jeu ne peut concourir avec les étonnants acrobates du manche, la mise en place rythmique et ses vigoureux petits chorus tendus sont exemplaires. Nombre de Blues-rockers américains, parmi les plus vindicatifs, semblent d'ailleurs avoir sans vergogne puisé dans sa vieille discographie. L'amusant "American Campfire" suit le même chemin - il avait fait une chanson sur les barbecues, maintenant c'est sur les feux de camp... sacré Ted.
Mais "Sweaty Teddy" n'est pas qu'un sauvage assoiffé de décibels et friand de tempi élevés. "Drivin' Blind" se la joue boogie-cool, nonchalant, façon ZZ-Top (avec quelque chose qui évoque "Song for Jedi" de Dynysos ?). Bien que relativement plus tempéré que ses prédécesseurs, "Just Leave Me Alone" et "Alaska" n'en sont pas moins comme des mustangs galopant à vive allure, écumant dans la fraîcheur d'une nuit bleutée, sous les rayons d'une pleine lune déchirant quelques nuages perdus, soulevant sous leurs furieux sabots des mottes de terre herbeuse et humide. Course folle, juste pour le plaisir de sentir les muscles se raidir sous l'effort prolongé et l'air frais tonifier le cuir.
"Winterspring Summerfall" tente de refaire le coup de "Death by Mesadventure" (instrumental sur "Free for All") mais elle est malheureusement cabossée par une Gibson Byrdland trop en avant, transformée en chignole pourfendeuse de cervelle. Pour sûr, les oreilles, ou plutôt l'oreille de Nugent, puisqu'il en a déjà flingué une depuis des lustres, a été rudement malmenée, et en conséquence ne doit plus percevoir correctement toutes les fréquences. Pas étonnant, vu le volume sonore habituel du sieur (on raconte qu'après ses concerts, nulle bestiole dans les parages pendant bien trois jours ; pas de chats, de clebs ou de rongeurs dans les environs, sinon des cadavres, les yeux écarquillés et les pattes dans les oreilles ☠).
Sur "Leave The Lights On", la voix de Theodocious Atrocious", plus mesurée que jamais est méconnaissable. Est-ce bien lui où celle du producteur Michael Lutz (aux manettes depuis 2014), également musicien (co-fondateur avec Cub Koda de Brownsville Station), qui est crédité aux "harmonies" ? Presque une bluette pour le Nuge, qui parle d'un homme en passe de réintégrer un foyer qu'il avait quitté. Vu le personnage, probable que cela soit en honneur de "fiers soldats revenant de mission".
Volontairement ou non, le furieux "Feedback Grindfire", véritable spasme séminal, retranscrit ici toute la fougue et le magnétisme d'un Rose Tattoo ; le chant est à l'image d'un Angry Anderson emporté par le tourbillon des vibrations, jouissant comme un dément de la force envoutante générée par la musique. Hélas, Ted aurait pu se dispenser de percer les tympans avec ce "Starspangled Banner" sur-saturé, griffé de larsen et d'harmoniques sauvages. Un hymne qui depuis le début de ce siècle, à force d'être tellement rabâché par le cinéma et la téloche, commence à saturer les esgourdes. Sauf celle de Ted...
Info ou Intox ? On raconte qu'à cause de chansons telles que "Come And Get Take It", "Born in the Motorcity", "FeedBack Grindfire", un comité aurait été formé afin que l'album soit interdit de passage en voiture. L'objet générant chez l'auditeur, des comportements irresponsables sur la route. Poussé par des citoyens en colère, dans certains comtés états-uniens, des barrages de police aurait opéré des fouilles minutieuses.
La production pour le moins brute, n'a rien de lustrée ou de chromée. Au contraire. Ses albums des 70's offrent plus de définition. Les notes spécifient que les enregistrements ont été faits live, ce qui n'est pas vraiment une excuse. Les fréquences aiguës sont pauvres, écrasées - peut-être pour préserver les tympans fatigués du phénomène. La batterie et la basse, pourtant toutes deux groovies et robustes, ne manquant pas d'attrait, sont à plusieurs occasions mal desservies par le mixage. A titre d'exemple, les cymbales sont généralement étouffées. Dommage car le jeune Jason Hartless est un sérieux cogneur (il a même tâté du Jazz, de la fusion et du funk avant de pactiser avec les barbares). Toutefois, il n'est pas dit qu'une production plus raffinée n'aurait pas émoussé ce furieux jet de rock'n'roll séminal et un poil bestial. 73 ans ? Y'a plus de vieillesse ?
Un album qui va diviser. Par la production, le sujet de certaines chansons, ou simplement le personnage (moins sympathique qu'auparavant par faute de déclarations rivalisant de vulgarités gratuites), mais n'est-ce pas une habitude chez ce grand escogriffe ?
P.S. : un petit mot sur les pochettes du monsieur qui depuis les années 80, concourent pour la plus rédhibitoire. Avec deux pompons dans la vulgarité. "Love Grenade" récoltant haut la main les deux premiers prix. Un énorme fossé avec celles des années 70, autrement plus sympathiques ; et elles avaient de la gueule. Lorsqu'on saisissait à pleines mains celle de "State of Shock", de "Gonzo !", de "Ted Nugent", de "Weekend Warriors", de "Free for All", en déposant la galette sur la platine, on s'attendait à ce que les baffles soient agressées par une bande de barbares fanatiques voués aux dieux du Harderoque. Mais là, avec cet amalgame de buildings (mais, bon sang, il n'y a pas plus laid qu'un building), de guitare stupidement tunée par un pot démesuré crachant une énorme gerbe de flammes, et surtout ce patriotisme exacerbé (dont les couleurs s'exposent au verso, au recto et à l'intérieur du contenant ), c'est limite repoussant.
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