vendredi 23 juillet 2021

BENEDETTA de Paul Verhoeven (2018-21) par Luc B.

Le dernier Paul Verhoeven aurait pu s’appeler LA CHAIR ET LE SANG N°2. Le hollandais violent repose ses caméras dans un moyen âge soumis au dogme catholique, avec ce qu’il faut de sexe et de sang. Verhoeven ne tourne plus pour Hollywood depuis 20 ans et le (très) bon HOLLOW MAN (2000), revenu au bercail il nous avait épaté avec BLACK BOOK (2006) et ELLE (2016). Comme ce dernier, BENEDETTA est tourné en langue française.

L’annonce du film (qui sort 3 ans après son tournage, pandémie oblige) nous avait émoustillés. Pensez-donc ! L’histoire d’une nonne lesbienne interprétée par Virginie Efira, on avait l’eau (bénite) à la bouche. Détail amusant, la pulpeuse Virginie - qui ici se donne corps et âme mais surtout corps -  jouait dans ELLE une bourge catho coincée du cul. Le film s’avère moins sulfureux que son sujet le supposait, ah ma bonne dame, y’a plus d’époque, je n’ai même pas entendu les ligues catholiques hurler au scandale ! Pourtant le coup du godemichet taillé au canif dans le bois d’une statuette de la Vierge, et poncé pour éviter les échardes, fallait oser !    

(photo à droite : la vraie Benedetta Carlini qui aura passé la moitié de sa vie au cachot) Au XVIIè siècle donc, la jeune Benedetta Carlini est confiée par ses parents à la mère supérieure du couvent de Pescia. C’est que la jeune fille est très pieuse, et affirme parler à Jésus. Dans la première scène, le convoi est attaqué par des bandits, que la gamine repousse en implorant le Très Haut. La petite inspire le respect. 

Au couvent, face à l’austérité qui y règne, Benedetta se réfugie dans la prière. Elle se cramponne aux pieds d'une statue de la Vierge, qui vacille, tombe à la renverse, la petite se retrouve coincée dessous, visage contre poitrine, la bouche collée à un téton de bois. Fallait oser (bis) 

10 ans plus tard.…

L’incident était-il un présage de la future orientation sexuelle de sœur Benedetta ? Elle jouit de tous les égards, scrutée par les autres nonnes qui croient voir en elle le messager de Jésus. C’est sur cela que porte le film. Ce n’est pas une attaque anti-religieuse, mais qui pointe du doigt les manifestations mystiques, l’obscurantisme, l'hypocrisie. Voir la scène ou Mère Felicita (Charlotte Rampling, impeccable comme toujours) monnaye l'entrée de Bartolomea au couvent, la main protectrice du Christ à un prix !

Séquence révélatrice avec la cérémonie des voeux de Benedetta. Ses parents y assistent, fiers, remplis de piété, leur fille monte vers Dieu. Verhoeven filme en réalité un numéro de cabaret, moins sexy que SHOWGIRL (1996). Benedetta attachée à des cordes reliées à des poulies, tirées par des nonnes, afin que l’héroïne s’élève vers le ciel, devant un public en pâmoison.   

Benedetta voit Jésus, lui parle, se frotte à lui (euh… Verhoeven ne recule pas devant le grotesque de certaines scènes), elle en porte aussi les stigmates. C’est là où certaines commencent à tiquer. Benedetta chevilles et poignets suintant le sang, irrite par sa foi démonstrative, incite à la méfiance. Est-elle une habile usurpatrice avide de pouvoir, une démente, une possédée du Diable ? Lorsque la foi de Benedetta est mise en doute, elle menace, vocifère, d’une voix caverneuse à la manière de la jeune Regan dans L’EXORCISTE. Là encore le ridicule n’est pas loin.  Mère Felicita a son avis sur la question, mais elle-même est-elle objective puisque Benedetta la spolie de son autorité au couvent, en devenant abbesse.

L’affaire se corse lorsque la jeune désœuvrée Bartolomea (Daphné Patakia, le regard halluciné) entre au couvent et devient la protégée puis la maîtresse de Benedetta. Là encore, Verhoeven laisse planer le doute. Est-il question d’amour entre ces deux femmes ? La première doit la vie sauve à la seconde. Bartolomea provoque-t-elle le désir par perversité, se donne-t-elle en offrande, est-elle amoureuse, subjuguée ou dévergondée ? Qui de l'une manipule l'autre finalement ?

Comme souvent chez Verhoeven, la sexualité féminine est dépeinte comme le moyen ultime de prendre le pouvoir aux hommes. Benedetta inspirait le respect, engendre maintenant le doute, la méfiance, le rejet. Une enquête est diligentée par le Nonce (Lambert Wilson), qui débarque au couvent alors que la peste ravage le pays. Bah oui, si en plus y’a de gros bubons qui suintent le pus, c’est plus drôle. Le procès pour calmer l’hérétique offre son pesant de tortures affriolantes.

Paul Verhoeven réalise de belles images, des plans d’ensemble à l’intérieur de l’abbaye baignée de lumières diaphanes, des clairs-obscurs, éclairage à la bougie, le rendu est réaliste, austère à souhait, mais un peu propret, les costumes sortent du pressing, on est loin de l'atmosphère boueuse et gothique de LE NOM DE LA ROSE. Les dialogues et le jeu très contemporains dans ce film historique coincent un peu, on a parfois l'impression que la production a manqué de moyen, de temps. Le kitsch, sûrement assumé car Verhoeven en est friand, fait sourire lorsqu’on devrait frémir.

Verhoeven filme en équilibriste. Toujours sur le fil. C'est le cinéaste de l’ambiguïté et des faux semblants - BASIC INSTINCT - ambiguïté des personnages, mais aussi des images qu'il filme, d'où ce malaise diffus. C’est ce qui a fait sa réputation, et quand on voit sa filmographie, y'a peu de déchet, son ELLE avec Huppert était un sommet du genre. Mais là on a l’impression qu’il verse dans une provocation d’un autre âge, qu'il se frotte les mains comme un gamin qui a bien préparé sa blague. J’ai à l’esprit BAD LIEUTENANT (Abel Ferrara, 1992) aux scènes sulpiciennes beaucoup plus sulfureuses et marquantes.

A la sortie de la séance j’ai demandé à un spectateur son avis (on était cinq dans la salle !). Le gars me dit qu’il est catholique, et que ce film est superbement représentatif de l’Église à cette époque, y compris dans le grotesque des situations. Okay. Il est surtout représentatif de son auteur, qui ne se renie pas, du Verhoeven pur jus. Mais je me sens comme les soeurs du couvent Pescia face aux démonstrations de Benedetta : pas totalement convaincu. 


couleur  -  2h10  -  format scope 

5 commentaires:

  1. Ouarfff!....T'as déjà ton Pass sanitaire toi? Je voulais voir Camelot mais faut que j'attende encore 4 jours...
    Suis pas sûr qu'un film sur les turpitudes du catholicisme au moyen âge me tente. Virginie Efira surement...
    Bon été dans notre capitale Lucio, et gaffe au verglas!...

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  2. Je l'ai vu trois jours avant la date fatidique ! Je n'ai pas le pass, mais le papier avec le QR code.
    Pas certain qu'au Moyen Age de Kamelot il y ait des nonnes aussi sexy...
    Bon été à toi, Juan !

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    1. “En définitive, la meilleure preuve des progrès de l’humanité, c’est qu’en 2500 ans nous sommes passés de Socrate sur l’agora à Francis Lalanne sur Facebook” Claude Malhuret, sénateur, contre les anti-vaccins pour défendre l'extension du pass sanitaire et la vaccination contre le coronavirus...

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  3. Il n'y a plus que quelques gauchistes pour encore trouver "subversif" en 2021 de ch... sur la religion catholique. Bizarrement (ou pas), y'a beaucoup moins de candidats pour les deux autres grandes religions monothéistes. La jouissance que procure de piétiner un cadavre...

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  4. Ce n'est pas faux. Mais ce que raconte ce film pourrait être dit à propos des autres religions, et pas seulement les monothéistes. Et dans ce cas précis, il faut voir aussi le parcours et le profil de Verhoeven. Merci du passage.

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