jeudi 13 août 2020

CAPTAIN BEEFHEART "Lick off my decals baby" (1970) par Benjamin




Contrairement aux idées reçues, « Trout mask replica » (1969) obtint un succès commercial non négligeable. Si l’Amérique a rapidement rejeté le virage expérimental de celui qu’elle voyait comme un nouveau héros du blues, l’Angleterre a apprécié cette bizarrerie expérimentale.

La réception de ce disque confirmait le fossé existant entre le public américain, fortement attaché à son patrimoine musical, et un public anglais plus friand d’avant-garde. Il ne faut pas oublier que l’Angleterre a donné les Beatles, qui furent la figure de proue de cette avant-garde. Grâce à cette devanture commerciale, les maisons de disques laissaient leur chance à toute une bande de valeureux explorateurs. C’est ainsi que les déviants, Soft Machine, et plus tard les Pink Fairies et le Edgar Broughton Band, repoussèrent les limites du psychédélisme.

« Trout mask replica » est surtout le disque qui déboussola toute la critique rock qui ne parvenait pas à classer cette cacophonie merveilleuse. Les interviews devenaient donc de grandes joutes verbales, les journalistes tentant de faire rentrer Captain Beefheart dans ces cases qu’il méprisait. Qu’on lui parle de jazz ou de blues, d’Howlin Wolf ou de Coltrane, le bon Captain rejetait toute filiation.

Sa méthode de travail était justement faite pour l’éloigner de ces grandes figures. Beefheart n’était pas musicien, il prenait juste son instrument comme il le sentait, et tentait d’en tirer des sons dérangeants. Parfois il le faisait sur un piano, parfois sur une trompette. Une fois qu’il était satisfait de ce qu’il avait effectué, ses musiciens devait reproduire un schéma que même son auteur est incapable de jouer une seconde fois.

Don Van Vliet (de son vrai nom) n’est pas un compositeur, c’est un réservoir d’idées. Il est l’ingénieur chargé d’esquisser le plan de ses monuments sonores, avant de laisser ses ouvriers s’occuper des détails techniques. D’abord sculpteur, il a gardé cette approche pour la musique. Et c’est justement son dilettantisme musical, allié à sa vision de l’art, qui rend ses œuvres si originales.

Sorti dans la foulée de « Trout mask replica », « Lick off my decals baby » (1970) fit d’abord scandale. Beaucoup voyait dans ce titre ambigu un jeu de mot ouvertement grivois. Pourtant, ces "étiquettes" que Don demandait de lécher, étaient celles que certains tentaient de lui coller depuis la sortie de « Trout Mask ». Il voulait simplement qu’on le nettoie de ces filiations hasardeuses, pour que sa musique soit enfin jugée à sa juste valeur.

Prise dans les studios Warner, la photo de couverture montre nos ex-hippies débraillés en smoking classieux, ils sortent le grand jeu pour une grande œuvre. Ses "étiquettes", le Magic Band les décolle à grand coup de cassures rythmiques, de dissonances, et de croassements dadaïstes lancés par un Beefheart en grande forme.

Essayer de comprendre est vain, et l’auditeur se fatiguera vite en cherchant à rapprocher ce fouillis de quoi que ce soit. Et c’est justement l’effet cherché, le Magic Band veut que votre esprit abdique, que votre inconscient soit nettoyé de tous ses repères culturels. C’est là, quand ses délires ont fini par vous vider la tête, que les choses intéressantes commencent.

L’auditeur retrouve alors l’innocence de ses premiers émois musicaux, et « Lick my decals off » peut imposer ses propres règles. On se rend alors compte que ce qu’on avait d’abord pris pour un détritus joué par des péquenauds incapables de s’accorder, est en réalité une symphonie d’un nouveau genre. On comprend le fil télépathique qui relie tous ses musiciens, le plan délirant mis en place par ce groupe délirant. 

« Lick my decals off » n’est pas un album rock dans le sens conventionnel du terme. Beefheart y manipule les sons comme une palette de couleurs et, pour apprécier la toile, il faut se débarrasser de toute la gadoue qui forme vos repères culturels.

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On regarde "Lick off my decals off" en live.

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