Contrairement aux idées reçues,
« Trout mask replica » (1969) obtint un succès commercial non
négligeable. Si l’Amérique a rapidement rejeté le virage expérimental de celui
qu’elle voyait comme un nouveau héros du blues, l’Angleterre a apprécié cette
bizarrerie expérimentale.
La réception de ce disque
confirmait le fossé existant entre le public américain, fortement attaché à son
patrimoine musical, et un public anglais plus friand d’avant-garde. Il ne faut
pas oublier que l’Angleterre a donné les Beatles, qui furent la figure de proue
de cette avant-garde. Grâce à cette devanture commerciale, les maisons de
disques laissaient leur chance à toute une bande de valeureux explorateurs. C’est
ainsi que les déviants, Soft Machine, et plus tard les Pink Fairies et le Edgar
Broughton Band, repoussèrent les limites du psychédélisme.
« Trout mask replica »
est surtout le disque qui déboussola toute la critique rock qui ne parvenait
pas à classer cette cacophonie merveilleuse. Les interviews devenaient donc de
grandes joutes verbales, les journalistes tentant de faire rentrer Captain Beefheart
dans ces cases qu’il méprisait. Qu’on lui parle de jazz ou de blues, d’Howlin
Wolf ou de Coltrane, le bon Captain rejetait toute filiation.
Sa méthode de travail était
justement faite pour l’éloigner de ces grandes figures. Beefheart n’était pas
musicien, il prenait juste son instrument comme il le sentait, et tentait d’en
tirer des sons dérangeants. Parfois il le faisait sur un piano, parfois sur une
trompette. Une fois qu’il était satisfait de ce qu’il avait effectué, ses
musiciens devait reproduire un schéma que même son auteur est incapable de
jouer une seconde fois.
Don Van Vliet (de son vrai nom) n’est pas un
compositeur, c’est un réservoir d’idées. Il est l’ingénieur chargé d’esquisser
le plan de ses monuments sonores, avant de laisser ses ouvriers s’occuper des
détails techniques. D’abord sculpteur, il a gardé cette approche pour la
musique. Et c’est justement son dilettantisme musical, allié à sa vision de
l’art, qui rend ses œuvres si originales.
Sorti dans la foulée de « Trout
mask replica », « Lick off my decals baby » (1970) fit d’abord scandale.
Beaucoup voyait dans ce titre ambigu un jeu de mot ouvertement grivois.
Pourtant, ces "étiquettes" que Don demandait de lécher, étaient celles que
certains tentaient de lui coller depuis la sortie de « Trout Mask ».
Il voulait simplement qu’on le nettoie de ces filiations hasardeuses, pour que
sa musique soit enfin jugée à sa juste valeur.
Prise dans les studios Warner,
la photo de couverture montre nos ex-hippies débraillés en smoking classieux,
ils sortent le grand jeu pour une grande œuvre. Ses "étiquettes", le Magic Band
les décolle à grand coup de cassures rythmiques, de dissonances, et de
croassements dadaïstes lancés par un Beefheart en grande forme.
Essayer de comprendre est vain,
et l’auditeur se fatiguera vite en cherchant à rapprocher ce fouillis de quoi
que ce soit. Et c’est justement l’effet cherché, le Magic Band veut que votre
esprit abdique, que votre inconscient soit nettoyé de tous ses repères
culturels. C’est là, quand ses délires ont fini par vous vider la tête, que les
choses intéressantes commencent.
L’auditeur retrouve alors
l’innocence de ses premiers émois musicaux, et « Lick my decals off » peut
imposer ses propres règles. On se rend alors compte que ce qu’on avait d’abord
pris pour un détritus joué par des péquenauds incapables de s’accorder, est en
réalité une symphonie d’un nouveau genre. On comprend le fil télépathique qui
relie tous ses musiciens, le plan délirant mis en place par ce groupe
délirant.
« Lick my decals off » n’est
pas un album rock dans le sens conventionnel du terme. Beefheart y manipule les
sons comme une palette de couleurs et, pour apprécier la toile, il faut se
débarrasser de toute la gadoue qui forme vos repères culturels.
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On regarde "Lick off my decals off" en live.
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On regarde "Lick off my decals off" en live.
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