Même à l’époque où il jouissait d’une honorable notoriété, le Rock Progressif a toujours suscité une bonne part d’incompréhension, voire de mépris. De 1969 à 1972, la notoriété du mouvement obligeait les critiques rock français à entrer dans le rang de ce « Rock pour adulte ». Plus passionné par les frasques d’Iggy, des Stones encore au sommet, et d’autres grandes figures du Rock sans fioritures, la critique en France nous a parfois gratifié de jugements surréalistes. Ces groupies de Dylan se retrouvaient dans la position de Mr Jones, le triste conservateur dépeint sur "Ballade Of A Thin Man", perdues dans un univers dont ils ne comprenaient plus les changements.
Les
Beatles avaient pourtant tout annoncé en 1967, sur l’incontournable « Sergent
Pepper », mais ils n’y ont vu que le chef d’œuvre ultime de l’époque
psychédélique. La véritable trouvaille, il fallait la chercher dans « A
Day In The Life », la magnifique pièce montée érigée par le duo
Lennon/McCartney. Composé de deux parties s’enchainant naturellement, le titre
montrait que l’on pouvait allonger la durée d’une plage, multiplier les
ambiances, et avoir recours à des arrangements symphoniques, tout en restant
accessible au plus grand nombre. La même année, Procol Harum et les Moody Blues
enfonceront le clou, et Paul McCartney résumera ce désir de complexité en
qualifiant la Pop de « musique classique du vingtième siècle ». Mais la
défiance et l’incompréhension restaient vives.
On
se rappelle de la fameuse critique à propos de « Aqualung », qualifié à tords
d’album concept, et qui fut indirectement responsable de la création de « Thick
As A Brick ». Cette erreur est anecdotique quand on la compare au nombre
de classiques du genre massacrés à leur sortie, ou à l’enthousiasme
incompréhensible d’un Jean Marc Bailleux, s’extasiant devant l’artificialité de
« Tormato », un des pires navets musicaux de Yes. Il faut dire que
nous étions alors en 1978, et le Prog disparaissait déjà progressivement sous
les quolibets du Punk, célébré comme un retour aux sources salvateur.
Le
genre va donc progressivement se mettre en hibernation, ne se rappelant à nos
oreilles qu’à travers la Pop ambitieuse de Marillion. On soulignera tout de
même que, à part « Misplaced Childwood » et « Script For A Jepster
Tears », le groupe ressemblait plus à un mix entre la période Progressive
et la période Pop de Genesis, qu’à une bande d’explorateurs en quête de
nouveaux territoires sonores. Le groupe de Fish fut donc une bien maigre
consolation pour ceux qui avaient passé des heures à explorer les univers
bucoliques de Yes, le romantisme fantaisiste des premiers Genesis, ou
l’inventivité débridée d’Emerson Lake & Palmer.
Ce
sont ces références-là qui bercèrent la jeunesse d’une bande d’irréductibles
virtuoses, préparant la renaissance du genre dans les verdoyants paysages
suédois. Personne ne pouvait penser que, dans un pays qui fut assez pauvre en
groupes marquant, l’avenir du Rock Progressif était en train de se construire.
Après s’être équipé de toute la lutherie qui fit la grandeur de leurs plus
ingénieux ainés, le groupe fonde son propre label, et produit « Hybris »
qui sort discrètement en 1992.
Les
premières notes de piano nous immergent immédiatement dans un Rock
atmosphérique, aussi apaisant et fascinant qu’une balade en forêt, lorsque le
soleil commence à lancer ses rayons chaleureux entre les branches verdoyantes.
La flute et l’orgue ajoutent une aura mystique à ces mélodies fascinantes,
avant de s’embarquer dans des envolées lyriques mesurées et épiques, comme une
violente exultation spirituelle.
En
fin de compte, l’auditeur découvrant cet album s’embarque dans un univers d’une
remarquable beauté, une musique pénétrant au plus profond de l’âme pour lui
faire oublier la laideur et la violence du quotidien. Et que le chant soit
incompréhensible pour la plupart des auditeurs ne fait qu’ajouter à la
splendeur mystérieuse de l’œuvre. Cette voix lointaine devient ainsi un
instrument de cette ode fantastique, et devant une telle inventivité toute
phrase compréhensible serait finalement superflue.
Avec
« Hybris » Änglagård avait ouvert une porte familière mais toujours
surprenante, entrainant la renaissance ou l’émergence de toute une nuée de
compositeurs Rock.
*******************
A demain pour une séance western, avec "7 Hommes à abattre" de Budd Boetticher, une petite merveille...
En attendant, on écoute "Jordrök" le premier des quatre titres de l'album.
*******************
A demain pour une séance western, avec "7 Hommes à abattre" de Budd Boetticher, une petite merveille...
En attendant, on écoute "Jordrök" le premier des quatre titres de l'album.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire