Des
hordes de chevelus débraillés envahissent les rues, des clochards célestes
priant pour la paix sur fond d’arpèges voluptueux. Dans les communautés formées
par ces idéalistes, on imagine une nouvelle société, on maudit la guerre du
Vietnam, et on ouvre son esprit à grand coups de psychotropes.
Non,
vous n’êtes pas à San Francisco, mais en Allemagne. Là plus qu’ailleurs, le
flower power a sonné comme un hymne
salvateur. Les jeunes ne veulent pas revivre le cauchemar qu’ont connu
leurs ainés, et exorcisent ce traumatisme dans une musique ultra moderne ou
hallucinée. Sous le regard amusé des anglo-saxon, la scène teutonne s’épanouit
en deux camps.
Le
premier, fasciné par les possibilités des studios et gadgets électroniques
modernes, crée une musique froide et ultra moderne. C’est la naissance de la
musique électronique, qui permet à Kraftwerk de dépeindre un urbanisme
ultramoderne. Tangerine Dream préfère se servir de l’électronique pour tisser
des décors sonores fascinants, des ambiances froides et rêveuses. La scène
qu’il représente n’a plus grand-chose à voir avec le rock, ses musiciens
refusant d’être rapprochés de ce symbole du passé.
Heureusement,
une autre tendance se dessine, plus proche des essais space-rock de Pink Floyd.
Amon Düül est le plus grand symbole de cette tendance. Le groupe fait partie de
ces réunions d’idéalistes qui envahissent le pays, et passe des heures à jouer
sous l’influence de la pilule des merry prankers.
La
communauté est surtout tiraillée entre les convictions de ses gauchistes les
plus violents, et les ambitions artistiques qu’elle porte. Dans cette réunion
d’idéalistes, on veut prôner la mort du grand capital, et une union des peuples
pour mettre fin aux conflits étatiques. Une part de ces musiciens s’en va donc
mettre son talent au service de Frank Zappa.
A
l’époque, le moustachu est vu par certains comme un leader révolutionnaire, ces
textes servant de poil à gratter pour une société américaine bigote et
consumériste. Mais Zappa méprise ces activistes de salon, cette « peace corps »,
comme il l’appelle dans un de ses titres phare. Pour lui, le mouvement hippie
n’est qu’une mode que sa génération suit aveuglément, un nouvel obscurantisme.
Rejetés par leur héros, les musiciens déserteurs produiront une série de
disques ignorés, pendant que ceux qu’ils ont abandonnés forment Amon Düül II.
De
ses origines hippie, Amon Düül II a gardé son goût pour la débrouille, qui le
mène à produire ses premiers disques seul. Sorti en 1969, « Phallus Dei »
souffre d’une production brouillonne, mais laisse tout de même deviner une
inventivité, qui ferait passer Pink Floyd pour un mauvais groupe de blues.
Les
allemands apprennent vite et, à peine un an après leur premier essai, ils
sortent le délirant « Yeti ». Ce disque rend littéralement le rock progressif au
peuple. Alors que les anglais sont partis dans des démonstrations virtuoses un
peu pompeuses, Amon Düül se contente de jammer jusqu’à atteindre des contrées
délirantes. Cette spontanéité hypnotique n’atteint son apogée que sur l’album
suivant, « Tanz der lemming » où la production parfaite restitue
magnifiquement le grand trip musical du collectif.
C’est
cette spontanéité mystique qui est célébrée sur ce « Live in London » enregistré
en décembre 72. A une époque où le hard rock est roi, les allemands s’imposent
sur une première partie lourde et puissante. Cette rage électrique rivalise
avec les heures les plus sulfureuses de Led Zeppelin, s’offrant ainsi les
faveurs des amoureux de puissance corrosive.
Ces
riffs accrocheurs semblent toutefois plongés dans un bain d’acide, ils forment
une spirale hypnotique qui vous ouvre les portes de la perception. La
simplicité trompeuse de ses improvisations, les rythmes répétitifs de ses
incantations, cachent la vraie finesse d’Amon Düül II.
A
chaque nouvelle écoute, c’est une nouvelle parcelle de ce décor onirique qui
s’ouvre à l’auditeur. Une bonne partie du stoner rock s’apparente à une
tentative désespérée de renouer avec cette simplicité trompeuse, elle ne fera
que caricaturer sa formule. Certains se contentent de marteler un rythme
destructeur, gommant toute trace de psychédélisme pour partir dans un boogie
boosté aux hormones. D’autres, au contraire, jouent à fond la carte de la
spirale hypnotique, pour masquer leur incapacité de faire évoluer un rythme
désespérément monotone. Les seuls cas intéressants se mêlent au renouveau du
hard rock, et personne ne saura reproduire les décors menaçants de « Improvisation
».
Ne
parlons même pas de « Synthelman’s march of the seventies » ou « Restless
Skylight », le feu voodoo qui les nourrit s’est éteint avec les seventies. « Live
in London » c’est le sommet d’un groupe incarnant la puissance rêveuse du
LSD, et la célébrant devant une foule médusée. Le trip se corse rapidement,
laissant se développer une force de plus en plus menaçante, une dangerosité
fascinante.
Cette
sensation est d’autant plus unique que, lorsque le disque sort enfin, en 1974,
Amon Düül II commence déjà à partir vers des chemins plus balisés. « Live in London
» devient ainsi le dernier témoin de cette aventure acide, la dernière fois
qu’un trip semblera gravé sur le sillon.
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Pas d'image de ce concert londonien, mais un peu deux ans tôt, un live de la télé française...
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