vendredi 1 novembre 2019

CEUX QUI TRAVAILLENT d'Antoine Russbach (2019) par Luc B comme boulot boulot


Voici la dernière comédie poilante jouée Olivier Gourmet ! Je plaisante… Cet acteur belge à la filmographie déjà impressionnante, est plus habitué aux registres dramatiques, et là, avec CEUX QUI TRAVAILLENT, ça se pose là ! Gourmet c’est une présence, un physique massif qui écrase volontiers toute concurrence, dès qu’il apparait à l’écran. Ce film est entièrement centré sur lui (il a un peu participé au scénario), son personnage est de tous les plans, marqué à la culotte par le réalisateur (on reviendra sur ce parti-pris de réalisation).

Les autres personnages semblent transparents, à l’exception notable de sa fille Mathilde, très proche de son bourru de père. Je ne vais pas dévoiler trop de l’intrigue, et laisser le spectateur découvrir le nœud dramatique du film, et ses conséquences.

Franck travaille dans une entreprise de fret maritime. Depuis son écran d’ordinateur, il suit des cargos qui sillonnent les océans,  à lui de faire en sorte que les marchandises arrivent à bon port, avec une bonne marge sur les bénéfices. Ce matin-là, un problème intervient sur un bateau qui relie l’Afrique à Marseille. Un gros problème, que Franck va gérer seul, tranchant dans le vif. Quand sa hiérarchie va l’apprendre, Franck sera licencié. Pour celui qui a quitté l’école à 14 ans, a grimpé les échelons à force de travail, d’effort, sacrifiant sa vie familiale, ça va être un coup de tonnerre. Il se retrouve écarté du cercle très envié de ceux qui travaillent

C’est le premier film du suisse Antoine Russbach, qui n’a pas choisi le sujet le plus léger qui soit. Son dispositif de mise en scène consiste à cadrer son comédien de près, souvent de dos. Avec des objectifs longues focales, qui laissent par conséquent dans le flou les trois quart de l’image. La caméra accompagne les moindres gestes de Franck, qui attrape un verre, ouvre un carton. Le récit est très organisé, rien n’est montré par hasard, rythmé par des déplacements en voiture maison-boulot, boulot-école, école-maison, filmés longuement depuis l’habitacle. Franck est tout à son travail, sa fonction, son rythme de vie : douche, costard, voiture, bureau. Ce qui pourrait paraitre redondant, trouve sa justification plus tard, quand tout s’effondre, et lorsque Franck se décide enfin à avouer à sa femme que depuis longtemps il part le matin, pas pour bosser, mais faire des bilans de compétence.

Peu de dialogues. A part lorsqu’il bosse au téléphone, Franck est un taiseux, un rigide. Antoine Russbach dit beaucoup avec quelques mots. Exemple lorsque Franck, après avoir avoué à sa femme, se couche le soir auprès d’elle, elle lui dit d’un ton neutre : « je préfèrerais que tu dormes en bas ». C’est tout. Pas de dispute, de discussions à rallonge. Des silences pesants, lourds, qui mettent mal à l’aise, font monter la tension du film, d’autant plus qu'une autre idée s'insinue, un doute que le spectateur ressent : Franck, meurtri et déboussolé songe-t-il à une solution radicale ? Les images d’un fusil et de cartouches teintent toute la fin de film d’une nouvelle gravité.

On respire un peu lorsque Franck emmène sa fille à son travail, dans le cadre d’une sortie scolaire. Sauf que du travail, il n’en a plus. « Où tu vas ? c’est pas par là le chemin » demande Mathilde, inquiète, en voiture. Franck va lui montrer, les stocks, les docks, le port et les cargos, qu’il semble découvrir lui aussi pour la première fois, des plans où on s’aère, enfin, on n’étouffe plus. Quoique. Lorsque Franck tend un papier à Mathilde : « c’est le n° de ta mère, si jamais on se perd ». Réponse logique de la gamine : « pourquoi on se perdrait ? ». Oui, pourquoi ?…

C’est un film froid, mais implacable. Lent, silencieux, manquant certainement d’humanité (à l'image de son boulot, gérer à distance, sans contact réel) mais Franck n’est pas du genre pouet pouet youp la boom, voir la scène du diner où il raconte un épisode de son enfance, à la ferme, à propos d’un jambon. Le film tient sur les larges épaules d’Olivier Gourmet, et de la petite Adèle Bochatay, surprenante de naturelle, les autres enfants sont des caricatures d’ados, renfermés, qui ne voient dans leur père qu’une fonction, celle de nourrir la famille. « On a accepté de vivre sans père, pas de changer notre train de vie » lui lance son fils en apprenant qu'il n’a plus de boulot. Ambiance. Franck qui consent à lui acheter le dernier I-phone, déposant simplement le sac Apple sur le lit du gamin, sans un mot…

Ca plombe l’ambiance, si vous voulez de la légèreté, foncez voir le dernier Woody Allenclic vers Woody ]. Mais voilà un film très maitrisé dans son propos et dans sa forme, concentré sur son sujet, qui ne laisse pas indifférent, un regard cynique sur le monde du travail. « Jusqu'où êtes vous prêt, 40 000 ? - non, je ne veux pas  - 80 000 ?  - non, plus jamais (silence) :  120 000 ! » Antoine Russbach arrive en peu de mots, peu d’images, à en dire beaucoup.

couleur  -  1h40  -  1 :1.85
  

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