Voici la dernière comédie
poilante jouée Olivier Gourmet ! Je plaisante… Cet acteur belge à la
filmographie déjà impressionnante, est plus habitué aux registres dramatiques,
et là, avec CEUX QUI TRAVAILLENT, ça se pose là ! Gourmet c’est une
présence, un physique massif qui écrase volontiers toute concurrence, dès qu’il
apparait à l’écran. Ce film est entièrement centré sur lui (il a un peu
participé au scénario), son personnage est de tous les plans, marqué à la
culotte par le réalisateur (on reviendra sur ce parti-pris de réalisation).
Les autres personnages semblent
transparents, à l’exception notable de sa fille Mathilde, très proche de son
bourru de père. Je ne vais pas dévoiler trop de l’intrigue, et laisser le
spectateur découvrir le nœud dramatique du film, et ses conséquences.
Franck travaille dans une
entreprise de fret maritime. Depuis son écran d’ordinateur, il suit des cargos
qui sillonnent les océans, à lui de
faire en sorte que les marchandises arrivent à bon port, avec une bonne marge sur
les bénéfices. Ce matin-là, un problème intervient sur un bateau qui relie l’Afrique
à Marseille. Un gros problème, que Franck va gérer seul, tranchant dans le vif.
Quand sa hiérarchie va l’apprendre, Franck sera licencié. Pour celui qui a
quitté l’école à 14 ans, a grimpé les échelons à force de travail, d’effort,
sacrifiant sa vie familiale, ça va être un coup de tonnerre. Il se retrouve
écarté du cercle très envié de ceux qui travaillent…
C’est le premier film du suisse
Antoine Russbach, qui n’a pas choisi le sujet le plus léger qui soit. Son
dispositif de mise en scène consiste à cadrer son comédien de près, souvent de
dos. Avec des objectifs longues focales, qui laissent par conséquent dans le
flou les trois quart de l’image. La caméra accompagne les moindres gestes de Franck,
qui attrape un verre, ouvre un carton. Le récit est très organisé, rien n’est montré
par hasard, rythmé par des déplacements en voiture maison-boulot, boulot-école,
école-maison, filmés longuement depuis l’habitacle. Franck est tout à son
travail, sa fonction, son rythme de vie : douche, costard, voiture, bureau. Ce qui pourrait
paraitre redondant, trouve sa justification plus tard, quand tout s’effondre,
et lorsque Franck se décide enfin à avouer à sa femme que depuis longtemps il part
le matin, pas pour bosser, mais faire des bilans de compétence.
Peu de dialogues. A part lorsqu’il
bosse au téléphone, Franck est un taiseux, un rigide. Antoine Russbach dit beaucoup avec quelques mots. Exemple lorsque Franck, après avoir avoué à
sa femme, se couche le soir auprès d’elle, elle lui dit
d’un ton neutre : « je préfèrerais que tu dormes en bas ». C’est
tout. Pas de dispute, de discussions à rallonge. Des silences pesants, lourds,
qui mettent mal à l’aise, font monter la tension du film, d’autant plus qu'une autre idée s'insinue, un doute que le spectateur ressent : Franck, meurtri et déboussolé songe-t-il à une solution radicale ? Les images d’un fusil et de cartouches teintent toute la fin de film d’une nouvelle
gravité.
On respire un peu lorsque
Franck emmène sa fille à son travail, dans le cadre d’une sortie scolaire. Sauf
que du travail, il n’en a plus. « Où tu vas ? c’est pas par là le
chemin » demande Mathilde, inquiète, en voiture. Franck va lui montrer,
les stocks, les docks, le port et les cargos, qu’il semble découvrir lui aussi
pour la première fois, des plans où on s’aère, enfin, on n’étouffe plus. Quoique.
Lorsque Franck tend un papier à Mathilde : « c’est le n° de ta mère,
si jamais on se perd ». Réponse logique de la gamine : « pourquoi
on se perdrait ? ». Oui, pourquoi ?…
C’est un film froid, mais
implacable. Lent, silencieux, manquant certainement d’humanité (à l'image de son boulot, gérer à distance, sans contact réel) mais Franck n’est
pas du genre pouet pouet youp la boom, voir la scène du diner où il raconte un
épisode de son enfance, à la ferme, à propos d’un jambon. Le film tient sur les
larges épaules d’Olivier Gourmet, et de la petite Adèle Bochatay, surprenante
de naturelle, les autres enfants sont des caricatures d’ados, renfermés, qui ne
voient dans leur père qu’une fonction, celle de nourrir la famille. « On a accepté de vivre sans père, pas de changer notre train de vie » lui lance son fils en
apprenant qu'il n’a plus de boulot. Ambiance. Franck qui consent à lui acheter le
dernier I-phone, déposant simplement le sac Apple sur le lit du gamin, sans un
mot…
Ca plombe l’ambiance, si vous
voulez de la légèreté, foncez voir le dernier Woody Allen [ clic vers Woody ]. Mais
voilà un film très maitrisé dans son propos et dans sa forme, concentré sur
son sujet, qui ne laisse pas indifférent, un regard cynique sur le monde du travail. « Jusqu'où êtes vous prêt, 40 000 ? - non, je ne veux pas - 80 000 ? - non, plus jamais (silence) : 120 000 ! » Antoine Russbach arrive en peu de
mots, peu d’images, à en dire beaucoup.
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