vendredi 24 mai 2019

EN QUATRIEME VITESSE (1955) de Robert Aldrich, par Luc B.

Robert Aldrich. Un nouveau venu dans le Déblocnot’ et pourtant, sûr que vous avez déjà vu un de ses films. Le gars est né en 1918, dans des draps en soie, père financier ayant des parts dans des studios de cinéma. Une aubaine pour le petit Bob qui va entrer à la RKO, découvrir tous les métiers, devenir assistant pour quelques grands noms, Dmytryk, Dassin, Chaplin (des types politiquement à gauche, comme Aldrich), ou Ophüls, Renoir. La bonne école.

Il commence à tourner au début des années 50, et va être un de ceux qui ont dynamité les genres. Son cinéma est très masculin, viril, violent. Il fera équipe plus d’une fois avec Burt Lancaster, dans BRONCO APACHE (1954) et l’année suivante dans VERA CRUZ, western qui dépoussière le genre, qui par la veulerie des protagonistes, sa violence, son cynisme et ses cadrages baroques, annonce le western italien des 60’s. Alors que le film de guerre est jusqu’ici dévoué à célébrer l’armée et l’Amérique toute puissante, il dézingue le mythe avec ATTAQUE (1956). Il fera pareil avec KISS ME DEADLY, notre sujet du jour.

Suivent des allers retours en Europe, des films moins convaincants, mais on retiendra QU’EST-IL-ARRIVE A BABY JANE ? (1962, avec le duo de harpies Bette Davis et Joan Crawford) et sans doute son plus populaire et excellent LES DOUZE SALOPARDS (1967). Les présentations sont faites, on peut y aller…

Avec EN QUATRIÈME VITESSE, Robert Aldrich s’attaque au Film Noir, et particulièrement au film de détective. Le traitement qu’Aldrich fait subir au genre va influencer le polar des années 60 et 70, dont Don Siegel ou Clint Eastwood. La vision quasi romantique qu’on avait du détective privé joué par Humphrey Bogart chez John Huston ou Howard Hawks, des types certes cyniques mais respectueux de la justice, sympas, charmeurs, va exploser en vol. Aldrich accepte cette adaptation d’un roman de Mickey Splillane, écrivain à succès, peu talentueux et controversé par ses idées politiques fascistes. Son héros littéraire vous le connaissez, c’est Mike Hammer, objet d’une série TV dans les années 80 avec Stacy Keach. Hammer en anglais signifie marteau. Tout est dit.

Aldrich trouve le roman mauvais et va tout reconstruire avec son scénariste Albert Isaac Bezzerides (un nom de médicament !). Ils vont surtout remplacer l’intrigue autour d’un paquet de drogue par la menace nucléaire, et une charge contre le maccarthysme. Un comble quand on connaît l’orientation politique de Spillane ! Un film qui flirte avec les peurs du moment, les dangers du communisme, des aliens, de la bombe atomique (voir L'invasion des profanateurs... ). Mais surtout un polar Noir violent, sadique, porté par un héros peu recommandable.

Déjà, le générique défile à l’envers. Un signe. Puis cette femme, Christina, qui court nue sous un imperméable, de nuit. Que fuit-elle ? Elle se jette sous les roues de la Jaguar de Mike Hammer qui n’a d’autre choix de la prendre en stop. Scène magnifique, quand elle lui dit : « déposez-moi à l’arrêt de bus. Et si je n’y parviens pas, alors souvenez-vous de moi ». Fabuleuse réplique pleine de mystère. Mais après un arrêt dans une station service où elle demande au pompiste de poster une lettre (on saura plus tard pour qui, pourquoi), Christina et Hammer tombent dans une embuscade. Séquestrée, Christina sera torturée pour avouer son secret. On ne voit que ses jambes nues, suspendues, une pince dans la main d'un type, on entend ses cris... Scène violente, choquante, pour l’époque.

Christina ne survit pas, Mike Hammer, oui.  Qui compte mener l’enquête. Son pote flic, Pat Murphy, l’en dissuade. Il y aurait là dessous une sombre affaire d’état : le Projet Manhattan (colloque secret initiant la fabrication de la bombe H en 1942). C’est avec sa secrétaire et maîtresse la brune brûlante Velda, qu’il poursuit ses investigations. Qui dit Film Noir, dit intrigue tortueuse. Mike Hammer tente de démêler la pelote, relie les indices, fouille le passé de Christina, interroge son entourage, dont son amie Lily Carver. Une drôle de fille. Excellent plan de présentation, avachie sur son pieux, nue sous son peignoir (décidément!), un flingue à la main.

On va croiser plein de personnages, tellement qu’on s’y perd mais c’est la loi du genre, qui crèvent à peine le temps d’imprimer l’écran. C’est pas compliqué, chaque scène a son lot de cadavres. Hammer est un dur. Un bourrin. Pas une once d’humour, mais au top de la technique, il possède un des premiers répondeurs téléphoniques ! Ce qu’il préfère : se taper des gonzesses et frapper les gens (ou l'inverse). Voir la scène chez un médecin légiste, où Hammer lui coince la main dans un tiroir, et jouit visiblement de la douleur infligée. Un sadique.

Bon, il s’en prend quelques unes dans la tronche, cogné, assommé, enlevé, drogué en penthotal, mais il répond coups pour coups, distribue les bourres-pif, et avance en fonçant. Le titre français porte bien son nom. Comme dans LE FAUCON MALTAIS, tous les protagonistes veulent mettre la main sur un truc. Hitchcock appelait ça un Mac Guffin : un prétexte pour nourrir l’intrigue, faire naitre le suspens mais qui au fond a peu d’importance. Ici, une mystérieuse boite dont on comprend que le personnage de Christina connaissait la cachette. Que contient-elle ? Qui s'y frotte, s'y brûle...

La boite de Pandore. La mythologie grecque. Boite qui contenait tous les maux du monde, qui s’en sont échappés lorsque Pandore, trop curieuse, l'a ouverte. La référence est passée totalement à côté de la plaque aux Etats Unis, les studios n’ont rien pigé à cette histoire ! Par contre, en Europe, et en France en particulier, EN QUATRIÈME VITESSE a reçu des avis élogieux des jeunes critiques de la Nouvelle Vague, Truffaut en tête, qui interviewa le réalisateur américain. Aldrich dira que les français y ont vu beaucoup plus qu’il n’y avait à voir, que son film avait été surévalué !

On peut comprendre l’engouement du film chez nous, série B de luxe, par son interprétation sans filtre ni glamour, sa mise en scène coup de poing, sa violence sèche, son montage cut, et l’extraordinaire photo noir et blanc contrastée à souhait, (voir la fabuleuse dernière scène sur la plage et ses ombres gigantesques derrière Hammer et Velda). Les cadres multiplient plongées et contre-plongées, la profondeur de champs, un style rappelant évidemment Orson Welles, mais aussi Robert Siodmak, Jacques Tourneur, Fritz Lang, Otto Preminger, tous européens d’origine. La touche finale : un tournage en décor réel, à Los Angeles.

Le film est peuplé de tronches admirables, comme ces deux tueurs joués par Jack Elam et Jack Lambert, éternels seconds couteaux hollywoodiens, ou Paul Stewart adepte de la piquouse, ou encore le mécanicien grec Va-va-voum Nick, assez agaçant, caricatural, qui mourra écrasé par la voiture qu’il était en train de réparée. Bien fait. Des femmes fatales en veux-tu en voilà, on notera le physique atypique de Gaby Rodgers dans le rôle de Lily Carver, cheveux très courts, comme Maxime Cooper en secrétaire dévouée, assez vulgaire, qui tranche avec les physiques avantageux des gloires des années 40.

A mon sens, le film pêche par l’interprétation monolithique de Ralph Meeker (vu chez Lumet, Kubrick, Fuller, et beaucoup à la télé), mais épate carrément par son épilogue apocalyptique, dans la maison sur la plage où Lily Carver ouvre la fameuse boite, qui diffuse (idée géniale) un son proche d’un râle humain, satanique, comme un dernier souffle macabre. Et y se passe quoi ? Y’a quoi dans la boite ? Non mais oh ! Vous croyez p’être que j’vais vous raconter la fin ? On culmine, les amis, on culmine… Un classique !!

Noir et blanc  -  1h45  -  format 1:1.85


1 commentaire:

  1. Je sais ce qu'il y a dans la boîte ... bien sûr, moyennant un chèque à plusieurs zéros (en liquide le chèque, évidemment), je ne dirai rien ...

    Sinon, un classique tordu, certes, mais qui m'emballe pas spécialement. on n'y comprend rien (comme dans tant d'autres de la même époque et du même genre style Faucon maltais), mais le but du jeu c'est pas d'être compréhensible. Faut montrer des hommes , des vrais, à l'aspect cool mais aussi prompts à balancer une mandale qu'à tomber le pantalon pour peu que la gazelle (dont on sait pas pourquoi elle est là et se méfie pas plus que ça) a l'air gironde ...

    D'Aldrich, je préfère Baby Jane, tout en pétage de plombs hystériques entre les deux vieilles gloires sur le retour ...

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