lundi 11 mars 2019

LA DÉCHARGE de Paolo Teobaldi (1998) - par Nema M.




Nema et Sonia sont chez elles (elles sont en colocation depuis déjà plusieurs mois). Nema passe l’aspirateur en chantant à tue-tête :
- Poubelle la vie ! Tralala, tralala ! J’aime jeter, laver, récurer, aspirer !
- Nema ! Arrête ou je me casse !...

Paolo Teobaldi
Ce n’est jamais un bon moment que celui de la séparation et du départ du foyer que l’on a partagé pendant un certain temps. Non, vraiment pas. Mais ce sont les choses de la vie : tout lasse, tout passe, tout casse, comme disait ma grand-mère… En général, on fait le ménage après la séparation et non avant, comme le laisse penser Sonia…

Tizio et Lia se séparent. C’est triste. Ils ont juste passé la cinquantaine. Les deux grands garçons sont déjà partis construire leurs propres vies avec femmes et enfants. Tizio se retrouve soudain seul dans l’appartement, dans cette résidence en copropriété (300 copropriétaires, vous voyez le genre), grande barre de béton avec une « immense galerie qui court longitudinalement sous les pilotis du rez-de-chaussée avec 300 garages parallèles en demi-arête de poisson ».
Natalia (Lia) est une Trecca, grande famille qui a bien réussi dans le commerce (de bouche, de meubles…). Il y a des valeurs dans cette famille. Bon, plutôt des valeurs marchandes et un goût certain pour l’argent mais c’est comme ça. Lia et Tizio se sont rencontrés très jeunes, se sont mariés et ont eu deux enfants. Ah, cette première rencontre, touchante admiration d’un adolescent pour une jeune fille dont la peau fleure bon la calycanthe (allez-voir sur internet et demandez à votre fleuriste : personnellement je n’en ai jamais vu mais l’imagination peut faire le reste quant à la fragrance de ladite plante….). Tizio n’est pas dans le commerce, Tizio ne réussit pas, Tizio a une vie professionnelle très particulière où la précarité de ses différents postes vont le faire basculer de contractuel à surnuméraire, et de surnuméraire à « fongible », puis à accepter un poste pour lequel cet ancien professeur n’était pas a priori destiné, mais finalement vous verrez combien il va s’en trouver rédempté.   

Tout d’abord, avec le départ de Lia, Tizio s’engage dans une opération commando ménage et grand débarras, visant à s’alléger, à se libérer de tout ce qu’on peut accumuler dans un appartement en quelques décennies. On commence par la cuisine. La description du contenu du réfrigérateur est apocalyptique : c’est franchement immonde tout ce qui est resté au fond des rayons. (J’ai vite vérifié le mien, mais comme il est petit et que je suis assez maniaque, seul un pot d’olives un peu vieux est passé par la case poubelle). J’ai oublié de vous préciser que tout le roman est un festival d’odeurs (en général pas très flatteuses, en dehors de la calycanthe). De là, Tizio passe à la salle de bains, puis à la chambre à coucher dont le très grand placard, surtout la partie réservée à Natalia, montre ce goût très prononcé de tout conserver pour le cas où cela pourrait resservir (même des vieilles couches de bébé…). On a droit ensuite à la visite du garde-manger, de la bibliothèque et d’un garage dans lequel je me demande si on peut y garer une voiture miniature tellement il y a de bric à brac. Ce n’est pas du tout monotone tout ce déballage mais plutôt poilant d’autant que, bien sûr, ces objets par centaines ramènent chez Tizio des souvenirs et des commentaires (assez cinglants vis à vis de sa belle-famille, les Nuisibles).

Imaginez un instant une pendule murale en plastique représentant une bouche grande ouverte avec toutes les dents et dégageant une odeur de désinfectant dentaire : ce magnifique objet publicitaire, don d’un beau-frère dentiste, est retrouvé dans le fond du garage. Cet objet insolite vous montre un peu toute la fantaisie de l’histoire.

fleur de calycanthe
La deuxième partie du roman nous emmène au sein de l’Entreprise Municipale des Ordures et Rebuts Urbains (EMORU). Un réel enrichissement culturel que cette partie : vous saurez tout sur tout ce que les préposés à la voirie utilisent, du simple balai à ces nombreuses machines pour aspirer les feuilles, nettoyer les trottoirs, vider les fosses d’aisance, transporter le contenu des bennes à ordures. Quand vous verrez désormais des éboueurs, vous les regarderez mieux en pensant qu’ils  portent des combinaisons à bandes catadioptriques (c’est quand même plus chic que des bandes réfléchissantes, pour qu’on ne les écrase pas). Tizio plonge dans cet univers particulier des détritus, d’abord avec un peu de honte, lui l’ancien professeur, puis avec le grand bonheur de se retrouver lui-même, un homme simple qui ressent la fatigue physique d’une journée de travail utile, avec des collègues pittoresques mais très sympathiques.

La conduite de gros camions à ordures lui fera découvrir la vieille décharge, au Roncaccio, lieu magique un peu à l’écart de la ville heureusement, où tout est empilé, concassé, brûlé, ou bien se transforme en un distillat pestilentiel. Ensuite viendra l’aventure de la nouvelle décharge, plus organisée, plus scientifique et surtout moins débordante. Voir de la poésie dans un tel lieu peut paraître curieux, mais si, finalement, tous ces objets, ces restes des années précédentes, empilements des trop-pleins de la société de consommation seront dignes d’une exposition. On ne s’attend pas du tout à la fin de l’histoire : c’est charmant, je n’en dirai pas plus.

Paolo Teobaldi est né à Pesaro, ville de bord de mer dans la province d’Urbino. Ce professeur d’italien anime un atelier d’écriture à l’université et nous plonge avec ce premier roman dans une atmosphère très italienne : travail oui, mais aussi «combinazione», des hommes fiers et des femmes bavardes et tapageuses, beaucoup d’humour et de gouaille. Un roman à la construction rigoureuse et au vocabulaire riche comme le BHV.
Un grand merci à la traductrice Monique Baccelli qui nous permet d’enrichir considérablement notre français sans que l’on perde le côté pétillant de l’histoire.

Bonne lecture (pas forcément à côté d’une poubelle) !

Éditeur Denoël - 316 pages


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