vendredi 23 novembre 2018

L'INVASION DES PROFANATEURS DE SEPULTURES de Don Siegel (1956) par Luc B.


C’est ce qu’on appelle un classique. Ce film a d’ailleurs fait l’objet de trois remake, par Philip Kaufman en 1978, Abel Ferrara en 1993, et Oliver Hirschbiegel en 2007 avec Daniel Craig. Mais là on cause de la première version, celle de Don Siegel. Un réalisateur que j’adore, connu pour ses collaborations avec Clint Eastwood, L’INSPECTEUR HARRY c’est lui, comme LES PROIES, L’EVADE D’ALCATRAZ, SIERRA TORRIDE, mais aussi A BOUT PORTANT (remake de LES TUEURS de Siodmak), TUEZ CHARLEY VARRICK (superbe !) ou LE DERNIER DES GEANTS, ultime film de John Wayne. Bref un pro, un vrai, sans chichi, de l’efficacité à chaque recoin d’image.
serre, serre, ouvre-moi !
LES PROFANATEURS date de 1956. En plein maccarthysme. A l’origine, une histoire de Jack Kinney parue dans le magazine Colliers’s, que s’empresse d’acheter le producteur Walter Wanger. Qui engage Siegel.
Le film est un long flash-back, mais moi, j'vais remettre tout ça à plat. C’était d’ailleurs le vœu de Siegel, on y reviendra… L’histoire est celle du docteur Miles Bennell, de Santa Mira en Californie, à qui des proches relatent des comportements étranges parmi la population. Les gens sont comme devenus aseptisés, trop avenants, neutres, sans aspérités. D’autres se plaignent que leur entourage a changé. Un gamin ne reconnait plus sa mère... Bref (ma bonne dame) les gens ne sont décidément plus ce qu’ils étaient ! Avec son ami et confrère Dany Kaufman, Bennell va découvrir d’étranges cosses géantes, qui à maturité font naître des êtres humains, des répliques, des clones d'habitants. Bon sang, mais y's passe quoi à Santa Mira ?   
Depuis qu’Orson Welles avait mis en onde l’adaptation radiophonique de LA GUERRE DES MONDES (1938) c’est toute une flopée de films fantastico-parano qui sont apparus sur les écrans dans les années 50, à l’instar de LA CHOSE d’Howard Hawks (remake de Carpenter), LE JOUR OU LA TERRE S’ARRETA de Robert Wise, LE VILLAGE DES DAMNES de Wolf Rilla (remake bis de Carpenter). L’Amérique est en pleine chasse aux sorcières, le maccarthysme** est censé éradiquer la menace communiste. Ajoutés à cela les développements de l'arme nucléaire et les essais secrets, la Zone 51, Roswell, les p'tits GI's qu'on envoie en Corée, la jeunesse en proie au démon Elvis le Pelvis... C'en est trop ! Comme aurait dit Roger Gicquel s’il avait bossé à CBS : l’Amérique a peur ! Peur des ennemis invisibles qui viennent distiller leur venin anti-démocratique. L’INVASION DES PROFANATEURS DE SEPULTURES est un pur produit de cette tendance paranoïaque.
Curieusement, le film a trouvé écho dans les deux camps politiques. Ces extraterrestres (on le suppose) adeptes du grand remplacement, sont pour la droite dure une parabole de la menace communiste. Si vous pactisez avec les cocos, vous perdrez votre identité de bon américain, et votre liberté de penser (que Pagny, lui, a malheureusement gardée). Mais pour les progressistes, le film s’apparente à une dénonciation du conformisme ambiant, une Amérique qui engendre des moutons sans opinion, justes aptes à consommer, dans leurs maisons bien alignées, toutes bâties sur le même modèle.
Tout en étant une formidable histoire à suspens, le film est aussi une jolie réflexion. Comme le dit Dany Kaufman à Bennell, le concept qui consiste à remplacer les hommes par des répliques physiquement exactes, mais privées de sentiments, est une bénédiction pour le monde. Si l’amour, la foi, le désir, l’orgueil, la jalousie disparaissent des consciences humaines, la vie quotidienne n’en sera que plus facile. C’est un point de vue… Auquel Miles Bennell n’adhère pas. Les opinions, la personnalité, la subjectivité, sont au contraire tout ce qui fait un Homme.
moulage de l'actrice Dana Wynter, pour son clone !
Don Siegel nous raconte cette histoire quasi métaphysique de manière totalement réaliste, dans un noir et blanc sublime. Pas de nuit américaine, mais des plans nocturnes sombres et contrastés à souhaits, le rythme progresse, filmé dans l’urgence. Des scènes terribles, comme Bennell tuant son jumeau pas totalement formé à coups de fourche, mais n’osant toucher à la réplique en gestation de Becky Driscoll, dont il est amoureux. Superbe ! Comme l’actrice d’ailleurs… Dana Wynter. La séquence où Bennell cherche du secours auprès de ses amis, de la police, mais se rendant compte qu’il est déjà trop tard, vaut son pesant de parano.
Seule issue : la fuite. Bennell et Driscoll partent dans les montagnes, poursuivis par les habitants de la ville. Non pour échapper à la vindicte, mais au contraire pour ne pas céder à la tentation de devenir comme eux, des photocopies sans âme. Ne pas céder aux arguments, à la fatigue, au sommeil... Et devant témoin, circuler sans jamais trahir ses émotions (la scène du chien !). Belle scène de suspens au cabinet médical où Bennell simule d’obtempérer pour mieux fuir ses ennemis. Et la scène sur une autoroute surchargée de voitures est juste sublime, une caméra aérienne qui descend vers Bennell, hurlant et pointant du doigt le spectateur, prophétisant : « le prochain, c’est vous ! ». Mais n’est-ce pas trop tard ?
C’est là que Siegel souhaitait conclure. Le studio s’oppose à la fin trop flippante, de même qu’il efface la voix off d’Orson Welles, pourtant une bonne idée, reliant LES PROFANATEURS à LA GUERRE DES MONDES, qui avait foutu les jetons à la nation entière ! On voit bien que l’ultime séquence de cadre pas. Elle a été rajoutée pour atténuer le propos, apporter un happy end. On est presque dans un film de zombies avant l’heure, avec ces hordes de pantins vides d’émotions, cherchant à rallier le reste de l’humanité à leur triste sort.
Le titre français est un peu con, au sens où personne ne profane de sépultures, mais ça fout les jetons. Le jeune Sam Peckinpah a collaboré vaguement au scénario, mais aimait à dire, pour booster sa carrière débutante, qu’il en était quasi l’auteur ! Le syndicat des scénaristes, très puissant, a mis un terme à la polémique (Victor).
Un classique de la série B horrifique, d’une parfaite maîtrise technique et narrative, un must !

Je crois savoir - par Sonia qui était avec lui - que Bruno a revu récemment "La Maison du diable" de Robert Wise (1963), autre fleuron horrifique en noir et blanc. Chronique à suivre...

** pas de bol, l'acteur principal s'appelle Kevin McCarthy !


noir et blanc  -  1h20  -  format 1:1.66

5 commentaires:

  1. Luc, je suis inquiet...
    Ce matin, ne voyant pas Sonia, je suis allé dans son bureau, elle n'y était pas ?! A la place, un cornichon géant sur le bureau ! tu penses que... ça a déjà commencé ?
    Plus concrètement, j'ai revu le film il y a peu sur le câble.
    Oui le titre français est très con. On pense à celui d'un nanar de la Hammer. Souvent l'anglais permet des titres courts et flash. THEM traduit par "Les monstres attaquent la ville". Une histoire de fourmis géantes à cause des essais nucléaires dans le Nevada. Sympa d'ailleurs...

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  2. "Them" est exactement dans le même registre, j'aurais pu le mentionner effectivement ! Concernant Sonia... Cela a commencé depuis un bout de temps, hélas... Gros cornichon me semble assez proche de la vérité !

    (ça me rappelle cette histoire "drôle"... C'est la maman du sprinter Ben Johnson (positif au dopage) qui sort dans son jardin chercher quelques tomates. Elle revient avec une tomate de 3 kilos, grosse comme un ballon de foot. Elle appelle son fils, furieuse : Ben ! Je t'ai déjà dit de ne plus pisser dans le jardin !!!

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    1. Un sprinter dopé, on appelle ça un pléonasme ...

      Sinon, ce film je suis sûr de l'avoir vu, mais plus de souvenirs ...
      Par contre, La maison du Diable, chef-d'oeuvre total ... comme à peu près tout ce qu'a tourné le très éclectique Wise ...

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  3. Comme tu y vas... "West side story" est tout de même assez chiant...

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  4. je viens de revoir celui de 78 avec Donald Sutherland, c'est assez flippant mais celui qui m'avait terrifié quand j'étais gamin c'est "le village des damnés" d’autant que j'avais un camarade de classe qui leur ressemblait un peu...

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