vendredi 13 avril 2018

NINOTCHKA de Ernst Lubitsch (1939) par Luc B.


« Elle parle ! » pouvait-on lire sur l’affiche du premier film parlant de Greta Garbo, ANNA CHRISTIE (1930). « Elle rit ! » lisait-on sur celle de NINOTCHKA, sa première comédie, réalisée par Ernst Lubitsch (George Cukor et William Wyler étaient sur le coup). Lubitsch y déploie tout son savoir-faire en terme d’humour caustique, d’autant qu’il s’attèle ici à une critique à peine voilée de la Russie de Staline. Lubitsch, qui n’a jamais caché son orientation politique à gauche (les nazis l'avaient déchu de sa nationalité allemande), est revenu désappointé d’un séjour de deux mois à Moscou. Le paradis n'était pas chez les soviets... Il quitta même la ligue anti-Nazi, trop proche du parti communiste.
NINOTCHKA mêle satire et romance. Ninotchka Yakushova est envoyée par Moscou pour superviser une vente de bijoux (trésor de guerre des bolchéviques), par trois membres du soviet, à Paris. Les trois compères ont un peu trop pris goût à la ville lumière, son luxe, et ses loisirs bourgeois. Les premières séquences avec les trois russes sont d’une drôlerie folle, rythmées par des dialogues aux petits oignons (Billy Wilder à l’écriture). Quand Buljanoff - parano - hésite à prendre une chambre trop luxueuse, son compère lui rappelle son courage passé : « tu t’es battu sur les barricades, et t’as peur d’une salle de bain ?! ». La satire du bolchévisme se niche dans des répliques telle que : « Oui, c’est une bonne idée, mais… qui nous a demandé d’avoir des idées ? ». Ou lorsque le personnage de Léon d’Algout dit à Ninotchaka : « Ce que j'aime chez les russes, ce sont vos plans quinquennaux... sur quinze ans » 
Il y a aussi des scènes purement visuelles. Les trois russes sont dans leur chambre, un employé leur monte à diner. La caméra reste dans le couloir. Derrière la porte on entend des « aaaahhh » enthousiastes. Puis lorsqu’une employée, courte vêtue, entre à son tour avec des cigarettes, ce sont des « AAAAAAHHHH » totalement hystériques ! Ninotchka débarque à Paris, et sur le quai de la gare un porteur se précipite sur ses valises. Elle refuse net, l'homme lui dit : « mais c’est mon métier, madame » / « ce n’est pas un métier, mais une injustice sociale ! » / « ça dépend du pourboire… ». (extrait choisi en vidéo). Et ainsi de suite, c’est juste brillant !
Il y a toute une histoire avec le comte Léon d’Algout, proche de la duchesse Swana, russe blanche en exil, à qui appartenait les bijoux, et qu’elle tente de récupérer… La romance concernera d’Algout et Ninotchka, mais qui se rencontreront d’abord par hasard (le scénario est très bien ficelé) dans la rue. Ninotchka souhaite trouver la Tour Eiffel, car elle s’intéresse beaucoup à l’aspect technique de Paris ! Il essaie de flirter, et au bout d’un moment, elle ne semble pas insensible à son charme, lui avouant : « votre aspect général n’est pas désagréable, et votre cornée est excellente » (variation du fameux « t’as d’beaux yeux tu sais » !).
C’est au cours d’un diner dans un bistro ouvrier que d’Algout arrive à dérider Ninotchka. La fameuse scène où Greta Garbo rit, et qui va définitivement la faire sombrer dans les délices du capitalisme et du champagne réunis… Autre scène magnifique, quand, totalement saoule, regrettant son comportement, elle simule son exécution, bâillonnée avec la serviette qui entourait une bouteille de Champagne. Elle attend, fébrile, le coup de feu. Ce sera le plop du bouchon de champagne ! Elle s’effondre, retire son bandeau : « j’ai expié ! ». Avant d’ajouter : « et maintenant, musique ! ». Elle s’endormira avinée, devant la photo de Lénine qui trône sur sa table de chevet.
Garbo dirigée par Lubitsch
S’en suivra quelques rebondissements, et un retour forcé en Russie. Elle y reçoit d’ailleurs une lettre de Léon d’Algout, trois pages caviardées par la censure, dont on ne lit que « My darling… » au début, et « Yours, Léon » à la fin !!
Quelques soit les motifs satiriques et politiques de Lubitsch, c’est bien l’amour, et l’humour qui l’emporte au final, et à Paris s’il vous plait, ville romantique par excellence, dans les comédies américaines. Le carton inaugural précise « l’action se situe à Paris, à l’époque où une sirène n’était pas une alarme, mais une jolie brune, et que lorsqu’on éteint la lumière, ce n’est pas à cause d’une attaque aérienne ». La direction d’acteur est juste parfaite, Garbo épaules voûtées, un peu godiche, se métamorphose, comme sa voix sombre, atone, du début, qui pétille ensuite. Loin des postures théâtrales de certaines consœurs venues du muet, elle épate par le naturel de son jeu, entourée des trois histrions, dont Felix Bressart que l’on retrouvera l’année suivante dans SHOP AROUND THE CORNER. Léon d’Algout est joué par Melvyn Douglas.
En 1955, une comédie musicale – chansons de Cole Porter – sera adaptée à Broadway, elle-même reprise au cinéma en 1957, par Rouben Mamoulian, avec Cyd Charisse et Fred Astaire, sous le titre LA BELLE DE MOSCOU   
Quelques mots sur La Divine, tel qu’on surnommait Greta Garbo, suédoise à l’origine, qui tourne son premier film en 1920, et le dernier en 1941, LA FEMME AUX DEUX VISAGES (George Cukor). Ensuite, elle disparait totalement des écrans - radars. Ce qui a entretenu sa légende. Plusieurs films y font référence, dont  FEDORA (1978) de Billy Wilder ou A LA RECHERCHE DE GARBO (1984) de Sidney Lumet. Elle vivait seule à New York, mais pas recluse comme on le dit (on pouvait la croiser faire ses courses, mais de là à la reconnaître...) sans jamais réapparaitre en public jusqu’à sa mort en 1990. Rare vedette à s’être toujours tenue à l’écart du show-biz et de la peopolisation. Sa réplique célèbre avait été « Let me alone »… Jamais mariée (elle a collectionné les amants, et surtout les maîtresses, comme sa consœur Marlène Dietrich) elle prend la nationalité américaine en 1951, mais sera enterrée à Stockholm. C’est l’anti Marilyn Monroe par excellence, un nom qui, 70 ans après, et une carrière pourtant arrêtée précocement, est toujours synonyme de star.
NINOTCHKA est sans doute son film le plus célèbre. Un pur bijou. 

Rockin' ne me contredira pas, lui qui a ce DVD sur sa table de chevet depuis son plus jeune âge - à 3 ans il en connaissait déjà les dialogues par cœur (la décence m'interdit de préciser exactement depuis combien d'années) reste à savoir si à l'intérieur de ces jaquettes Ninotchka il n'y avait pas de dvd sur de jeunes danoises adeptes du naturisme. Peu importe, cette chronique lui est amicalement dédiée !


Noir et blanc  -  1h50  -  format 1:1.37

Pas simple d'avoir une bande annonce correcte et sous-titrée... Donc cet extrait, en VO, mais comme tout le monde parle avec l'accent russe, c'est très compréhensible.
    

4 commentaires:

  1. merci pour la chronique et la dédicace, effectivement je suis un fan de Lubitsch et en particulier de Ninotchka et je m’élève contre la diffamation: je n'ai plus mes dvd sur les danoises naturistes vu que je te les ai prêtés (penses à me les rendre un jour..)

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  2. Je garde effectivement le tome 3 des meilleurs moments des "Danoises", mais les 1 et 2 sont parties chez Bruno... Vois avec lui.

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  3. Idéologiquement assez caricatural (un peu d'anti-communisme primaire, comme diraient les kamarades), mais une superbe comédie effectivement ...

    Le film le plus célèbre de Garbo : la Reine Christine ? Où là, elle rigole pas du tout, mais porte des chemises blanches très fines, quasi transparentes, et sans rien dessous ... Christine était reine du Dane..., euh non, de Suède, c'est à côté ...

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    1. Anti communiste, oui, primaire je ne sais pas. Tiens, une dernière pour la route :
      - comment ça va en Russie en ce moment ?
      - formidable, les dernières purges ce sont très bien passées. Ca fera moins de russes, mais ils seront meilleurs.

      C'est primaire, ça ?!!

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