- Dites M'sieur Claude… Un
article riquiqui pour un samedi ?! C'est vrai que vous étiez en Savoie avec
M'sieur Vincent pour une réunion sur la stratégie du Deblocnot région
Alpes-Grand Sud…
- Ah ah, surtout en
vacances après une longue série d'articles étoffés dont celui sur Tristan de
Wagner. Alors, petite pause avec un joli concerto de Bach… Voilà !
- Bonne idée, la musique
baroque fait toujours plaisir… On pense un peu à Vivaldi en écoutant ce
concerto…
- Pas complètement faux
Sonia, Bach s'intéressait beaucoup à la musique vénitienne, mais inutile de
préciser qu'il y apporte sa patte personnelle…
- Pas trop austère quand
même pour le compositeur des cantates et des passions ?
- Non Sonia, au contraire,
des innovations… nous sommes dans l'esprit des concertos brandebourgeois ou des
concertos pour clavier, les soirées entre amis du Café Zimmermann
Petra Müllejans |
Quand
j'écoutais l'émission "La tribune des critiques de disques" dans les
années 60-70, cet assemblée d'anciens n'avaient pas de mots assez méchants vis-à-vis
de ce regard nouveau sur la musique baroque. On parlait de musiciens qui jouaient
faux, de trahison, etc. L'académisme scolaire régnait en maître et pourtant je rends
grâce à feux ces papis de m'avoir aidé de découvrir un grand nombre d'œuvres…
d'autres époque (classique et romantique). J'étais jeune, pas intégriste par nature et pourtant Monteverdi me
semblait prendre de bien jolies couleurs avec cette nouvelle donne…
Cinquante
ans ont passé. Et je n'appartiens toujours à aucune école… La Passion selon
Saint-Mathieu ou Le Messie en format 4 heures avec des
chanteurs d'opéra d'un Scherchen
m'emballent tout autant que ces oratorios magnifiés en effectif réduit par Gustav Leonhardt ou Paul
Mac Creesh… Seul le respect de l'esprit et de la lettre,
l'expressivité, la beauté et la pertinence du jeu instrumental a droit de citer
dans mes sélections d'enregistrements et donc le jugement intime dont je vous fais
part. Point !
Tout
ce préambule pour résumer mes recherches quant à une interprétation vivante. En
cherchant une vidéo Youtube pour écouter ce concerto assez connu, j'ai eu de
drôles de surprises. Forcément attirés par des grands noms, j'ai écouté : Yehudi Menuhin - Masters en 1960 (virtuosité
incontestable, mais dieu que c'est lent), Oïstrakh - Ormandy,
Heifetz - Wallenstein. Rien que cela et
dans tous les cas : bof !!! Techniquement irréprochable, mais j'ai le sentiment
d'entendre cette musique si gouleyante revue et corrigée à la sauce romantique
épicée Mendelssohn… Ô c'est surtout
l'accompagnement orchestral dépourvu de toute vitalité qui coince. Quant à Heifetz et ses sempiternelles coquetteries
hédonistes… Des beaux témoignages du passé, bien sûr, mais qui dit passé dit hélas
dépassé tant ce que l'on va écouter ce jour respire la fraîcheur, la joie de
vivre et l'humilité dans le sens où les instrumentistes rendent Bach à sa quintessence. Je reviendrai plus
loin sur quelques albums anciens ou récents qui redonnent sur instruments
modernes peut-être pas la grande virtuosité de ses illustres violonistes cités,
mais une vivacité festive, incontournable dans les ouvrages concertants de Bach… Pavé dans la mare comme l'on dit…
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Freiburger Barockorchester |
On
situe vers 1713 l'écriture des
concertos pour violons sans aucun doute influencée par les œuvres similaires dans
le style vénitien de Vivaldi.
Bach avait transcrit pour l'orgue des
pages de son confrère. Plagiat ? Non, fréquent à l'époque où la SACEM
n'existait pas. Haendel fera de même avec
des airs de Bach… J'émettais des réserves
sur mon intérêt à l'écoute de ce concerto joué par un grand soliste virtuose à
la manière des grands concertos romantiques de Mendelssohn, Brahms,
Sibelius, Tchaïkovski,
etc… Pour ces derniers, la partition est réellement conçue pour un affrontement
violoniste-virtuose vs orchestre. Pour le concerto de Bach, deux différences fondamentales en
font une divertissement destiné à être joué hors de concerts guindés, au café Zimmerman (Clic) par
exemple, entre une suite ou un concerto brandebourgeois… Deux argument donc :
la partition comporte cinq portées, deux pour les premier violons qui jouent
à l'unisson, le "leader" jouant la partie soliste en suivant l'indication
Solo (dans l'allegro uniquement). Trois autres portées : second
violons, altos, violoncelles. Par ailleurs les passages solistes sont prévus
pour un bon violoniste, certes, mais en aucun cas un prince de l'archet. La
technique exigée est assez facile et ne retient pas les difficultés inventées
par Bach (double cordes, écarts vertigineux) et
rencontrées dans les sonates et partitas. En résumé, ce concerto
n'est en aucun cas destiné à faire briller un violoniste illustre comme dans
ces six pièces célèbres mentionnées ou dans les beaux concertos romantiques. CQFD. 2 exemples
extraits du concerto
et de la sonate
N°1 pour étayer ma théorie :
Logique
avec mon propos, écoutons l'interprétation du Freiburger
Barockorchester, une formation fondée en 1987. Dirigé à l'origine par Thomas
Hengelbrock (auteur d'une Messe en si de Bach
sidérale de 1997 – (Clic, discographie)), l'orchestre s'est vu
coacher par de grands chefs baroqueux comme Trevor
Pinnock, René Jacobs,
Philippe Herreweghe et Ton Koopman.
Mais la plupart du temps, l'ensemble travaille de manière autonome, notamment
pour cet album des concertos de Bach.
La soliste n'est autre que Petra
Müllejans, musicienne allemande, l'un des premiers
violons et cofondatrice de l'orchestre ; également pédagogue et spécialiste de
la musique des époques baroque et classique. À noter un continuo du clavecin tenu par Torsten Johann.
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Café Zimmerman |
1 - Allegro : MI ! SOL ! SI ! Trois noirs piquées, trois coups
assenés à l'unisson par les cordes, un motif offensif digne d'un Beethoven mais aussi d'un Vivaldi (rappelons-nous les premières
mesures éclatantes du "printemps"). Un fil musical très dansant découle de ces trois notes qui constitueront le leitmotiv qui va
traverser l'allegro. Allègre, c'est le mot pour le flot mélodique en forme de
ritournelle endiablée et incisive qui cède la parole au premier violon chargé,
non pas de s'opposer à l'orchestre par une thématique très individualisée, mais de prolonger en
écho le style du discours commun… [0:27]. La forme est classique avec ses reprises et réexpositions,
mais les instrumentistes Freiburger
Barockorchester animent gaiement le propos par une articulation vivifiante
ce qui parfois sonne de manière disons… bien prosaïque. [2:07] Un second thème
très rythmé, un perpetuum mobile insistant assure une fantasque transition avant
les reprises. Bach nous entraîne dans une
ronde folle. Petra Müllejans
négocie avec alacrité sa place au sein de l'orchestre, cherchant à s'imposer,
mais justement, sans jamais parvenir à voler la chorégraphie
facétieuse de l'accompagnement, et là est la malice de Bach. L'orchestre ne sera jamais le faire-valoir du
violon virtuose.
2 - Andante [07:33] : Dans ce mouvement qui côtoie
les plus beaux arias de Bach,
le violon solo développera un chant tendre, presque sensuel (adjectif rarement
utilisé en commentant Bach).
Le continuo basse-clavecin fait jeu égal avec les cordes de l'orchestre. On ne
peut nier une certaine gravité à cet andante mais dans le sens crépusculaire du
mot, avec une pincée de spiritualité, sans atteindre cependant les dimensions
cosmiques chères au compositeur. Petites remarques : Bach
impose la secrète tonalité relative ut # mineur pour tous le concerto et, contrairement à l'allegro, le premier violon solo joue seul, jamais à l'unisson avec son groupe. D'ailleurs c'est très net à l'écoute.
3 - Allegro assai [13:42] : le concerto s'achève sur un
mouvement guilleret mais au tempo plus sage que l'allegro. Un style réjouissant
qui préfigure avec son style propre et bien scandé, l'empreinte de Bach, les divertimentos de Mozart. Malgré ses sonorités plus sévères,
très germaniques, on ne peut échapper à l'image de Vivaldi. Freiburger Barockorchester confirme ce
sentiment par la belle couleur acidulée, pour ne pas dire ensoleillée, de leur
phrasé capricieux basé sur le rythme d'une danse de cours appelé passe-pied
(proche du menuet et d'origine bretonne dit-on).
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1975, Abbey Road. Les trois potes Itzhak Perlman, Pinchas
Zukerman (pour le double concerto) et Daniel
Barenboïm avec l'English Chamber
Orchestra se réunissent pour graver deux vinyles consacrés aux
concertos de Bach. Près de vingt minutes
pour le BWV 1042 ! Mais une plastique sonore et un climat de bienêtre qui
permettent à ces disques d'être toujours présents au catalogue depuis plus de quarante
ans. Aucune lourdeur ou virtuosité gratuite… Des tenues dans l'aigu de Perlman à verser une petite larme (EMI/Warner – 5,5/6).
Autre
approche baroque, avec un violon plus en avant, celle de l'English
Concert sous la houlette de Trevor Pinnock.
Raffiné et élégant, très en place et poétique (andante) comme toujours. Une alternative sachant que
trois concertos et 46 minutes pour un CD classique, voilà qui fait chiche face (Archiv – 4/6).
On
va encore penser que je n'ai d'yeux que pour la jolie Hilary
Hahn 😊. Pour ces débuts chez DG en 2003, la jeune femme revenait à ses premiers amours : Bach et ses concertos. Sur instruments
modernes et un orchestre un peu fade, une interprétation avec beaucoup de
rigueur et de probité. Quelques pisse-vinaigres ont flingué ce disque à vue,
comme si les jeunes artistes étaient de facto incapables de rivaliser avec les
grands virtuoses cités en introduction. Résultat : un Bach
dégraissé sans métaphysique hors de propos à l'intention des allergiques aux
sonorités acides des baroqueux (DG – 4,5/6). Un peu vert mais très vivant, Maggy Toon adore…
Quant
aux grands anciens (comme disait Lovecraft), on pourra écouter avec plaisir
l'art et l'éloquence d'un Oïstrakh
ou d'un Menuhin en faisant
abstraction d'un accompagnement massif et d'une prise de son brouillonne…
- Eh Sonia, il n'est pas
si riquiqui que ça mon papier de rentrée…
- Oui, en effet, juste une
impression par rapport aux précédents…
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Deux
vidéos : le concerto dans la version baroque et pétulante de ce jour. Puis le phrasé
miraculeux de David Oïstrakh
malgré une prise de son bien datée de 1956 avec Eugène
Ormandy et l'orchestre
de Philadelphie. Le charme indiscutable des antiquités… Austère, mais pas dénué de grandeur mystique.
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